Retraites À l’annonce de la réforme, l’ensemble des organisations syndicales et de jeunesse s’unissent et appellent à une journée d’action et de grève le 19 janvier. Les partis politiques de gauche organisent un meeting unitaire le 17 janvier. Quels sont les leviers qui vont permettre au mouvement social de gagner?
Catherine Perret Secrétaire confédérale de la CGT André Chassaigne Président du groupe GDR, député PCF du Puy-de-Dôme Stéphane Sirot Historien du syndicalisme
Le rapport de forces capital-travail est-il en train de changer? Fin 2022, de nombreuses mobilisations sur les salaires ont obtenu des résultats importants. À l’heure où l’inflation explose et où la récession frappe à la porte, les classes populaires voient leur niveau de vie régresser et leurs emplois menacés. Dans le même temps, les profits du CAC 40 battent des records, avec plus de 80 milliards de dividendes versés aux actionnaires. La bataille sur les retraites semble maintenant décisive dans cet affrontement de classe. D’après les enquêtes d’opinion, et de manière encore plus marquée chez les salariés, l’opposition est très majoritaire à la réforme Macron-Borne visant à reculer l’âge du départ à la retraite et à allonger la durée de cotisation. Dans ce contexte, le mouvement social s’unit. L’ensemble des organisations syndicales et de jeunesse ont signé une déclaration commune et appellent à une journée interprofessionnelle d’action et de grève le jeudi 19 janvier. Après une première rencontre le 10 janvier, les partis de gauche tiendront un grand meeting unitaire le mardi 17 janvier au gymnase Japy, à Paris.
Les formations politiques s’organisent aussi pour avancer des propositions alternatives dans les assemblées élues et pour permettre à cette expression majoritaire de se faire entendre. À l’initiative du PCF, une pétition en faveur d’un référendum pour une autre réforme des retraites circule. Une manifestation se tiendra à Paris le samedi 21 janvier à l’appel de la FI. Toutes ces initiatives vont-elles insuffler une dynamique suffisamment puissante pour faire plier le pouvoir et imposer d’autres choix?
Comment se fait-il que le syndicalisme se rassemble aujourd’hui et soit uni sur ce dossier des retraites alors qu’il n’en a pas toujours été ainsi?
Catherine Perret Le travail à l’unité des travailleurs autour de l’ensemble des organisations syndicales qui les représentent fait partie de l’ADN de la CGT depuis ses origines. Malgré des différences voire des divergences sur certains sujets importants, la confédération, comme ses organisations, a toujours proposé des intersyndicales sans exclusive. Heureusement d’ailleurs que le syndicalisme reste uni contre la montée de l’extrême droite, arme de division des salariés. Depuis juillet 2022, et pour la première fois depuis 2010, plusieurs rencontres ont débouché sur des communiqués unitaires de toutes les organisations. Toutes ont pris l’engagement de lutter contre la retraite à 64 ans et contre l’accélération de la réforme Touraine, mais aussi pour un autre partage des richesses. C’est cette opposition solide au projet Macron qui nous réunit et débouche sur de premiers appels à la grève interprofessionnelle, telle la journée du 19 janvier. C’est très important d’être ainsi en phase avec les 80 % de citoyens qui partagent notre action. C’est essentiel si on veut gagner, et la CGT comme la CFDT et les autres syndicats veulent mener un mouvement social victorieux.
André Chassaigne J’ai une conviction: la victoire sur les retraites se gagnera grâce à un front uni et une très large mobilisation autour des organisations syndicales et de jeunesse. Pour nous, parlementaires communistes et ultramarins, le front uni, c’est d’abord savoir parler d’une même voix avec les composantes de la Nupes pour dénoncer le projet funeste du gouvernement. C’est en ce sens que nous organisons un meeting commun au gymnase Japy, à Paris, le mardi 17 janvier pour dire notre opposition unanime à la retraite à 64 ans. Ensuite, pour impulser une large mobilisation, il faut convaincre que la réforme du gouvernement n’est pas une fatalité, que rien ne nous oblige à travailler encore plus longtemps. Soyons très clairs: le gouvernement ment, le régime des retraites n’est pas en danger, l’ambition d’Emmanuel Macron n’est pas de le sauver mais de faire des économies sur le dos des travailleurs et des retraités pour financer de nouveaux cadeaux aux entreprises et pour respecter les engagements du Pacte de stabilité européen. Nous n’inventons rien, le gouvernement l’a écrit en toutes lettres dans le dernier projet de loi de finances et dans le Pacte de stabilité.
Stéphane Sirot Depuis trente ans, les retraites motivent la majorité des grands mouvements sociaux. Hormis en 2010, ils se sont déroulés sur fond de division syndicale. Le communiqué est clair sur deux points centraux: le rejet du recul de l’âge légal de départ en retraite et d’un nouvel allongement de la durée de cotisation. Rien d’étonnant à ce que la CGT et ses partenaires habituels, à l’origine des précédentes mobilisations, affirment leur opposition. Cela peut sembler différent pour la CFDT. Il y a toutefois des raisons évidentes à son refus du moment. D’abord, le projet gouvernemental qui s’annonce repose sur des bases paramétriques, la dimension systémique, regardée avec intérêt par cette centrale, étant un angle mort. Ensuite, en juin 2022, son congrès a donné mandat à sa direction de repousser les mesures phares voulues par l’Élysée. Enfin, un recul à 64 ans avec l’allongement de la durée de cotisation ramènerait le monde du travail quarante ans en arrière! Y compris symboliquement, une telle régression est inacceptable pour des syndicats qui se respectent. Ce choc a le potentiel de produire un contre-choc, illustré par les études d’opinion. Un mouvement social en sera sûrement le prolongement. Reste à savoir si le front syndical résistera, au cas où le gouvernement brandirait des « contreparties » pour inciter des organisations à se mettre en retrait, ou quand viendra le moment de décider des formes d’action.
Selon les enquêtes d’opinion, une très grande majorité populaire est opposée à un recul de l’âge du départ à la retraite. Comment alors imposer un rapport de forces gagnant?
Catherine Perret C’est exact, contrairement à la précédente réforme de 2019, où il a fallu mener un gros travail de conviction, aujourd’hui la quasi-totalité des travailleurs sont opposés à la réforme Macron. Cela irrigue toutes les catégories socioprofessionnelles, les générations d’actifs, les secteurs d’activité. Cette unanimité en dit long sur le rapport au travail, dans un pays où les jeunes ne trouvent pas de CDI avant l’âge de 28 ans et où les travailleurs expérimentés sont jetés hors de l’entreprise majoritairement avant 60 ans. C’est pourquoi la CGT propose non seulement de combattre la retraite à 64 ans, mais d’imposer des dispositifs d’amélioration du niveau des pensions, de réduction du temps de travail, des départs anticipés pour les salariés du privé aux travaux pénibles ou subissant des contraintes notamment liées à des missions d’utilité sociale. On gagnera ce conflit majeur en entraînant une majorité de travailleurs et de travailleuses à la fois contre les 65 ans et pour un nouveau projet de société autour du triptyque: « 15-32-60 », lutte pour l’augmentation générale des salaires – 15 euros de l’heure minimum –, 32 heures par semaine et retraite dès 60 ans à taux plein. Cela nécessite de construire un mouvement durable à partir du jeudi 19 janvier par des grèves d’entreprises massives et de généraliser l’arrêt des productions, mais aussi des services, et aussi d’être inventifs comme en 2020 pour nos manifestations de rue.
Stéphane Sirot Depuis un an, un pic de conflictualité se déploie notamment dans le privé et les entreprises publiques. Ces conflits sont souvent offensifs: ils précèdent ou accompagnent les négociations annuelles obligatoires et revendiquent au-delà des propositions des directions. Leurs résultats sont de surcroît volontiers positifs. Cela produit un effet d’exemplarité et d’entraînement générant une dynamique qui, sans inverser à ce stade le long cycle néolibéral à l’avantage du capital, participe de la construction des bases d’une contre-offensive. À condition que des organisations syndicales la canalisent et l’attisent, et que la critique du capitalisme sous-jacente à ces mouvements trouve un solide prolongement dans les champs politique et institutionnel. Toujours est-il que cette combativité exprime une disponibilité en la matière sur laquelle les syndicats ont tout lieu de s’appuyer dans le cadre d’une contre-réforme des retraites.
André Chassaigne Le constat est sans appel: les travailleurs qui se mobilisent font la preuve que les lignes du rapport de forces ne sont jamais figées. Il faut aussi insister sur l’injustice de cette réforme qui va frapper très fort et immédiatement, dès l’été prochain, tous ceux qui s’apprêtaient à prendre leur retraite. Pour gagner cette bataille, portons un message d’espoir: notre système de solidarité est viable, nous pouvons même le renforcer pour permettre aux retraités de vivre mieux de leur pension.
Comment faire pour obtenir une victoire salariale?
Stéphane Sirot Le constat des échecs peut être relativisé: sans rapports de forces, la dégradation des systèmes de retraite se serait faite encore plus dure et plus rapide. Les mobilisations les moins infructueuses ont quelques caractéristiques communes. Menées en dépit des clivages syndicaux, elles ont montré que l’unité est un outil, non une fin en elle-même. Le choix du corpus revendicatif et des modes d’action les plus probants est au moins aussi essentiel. Des grèves reconductibles entravant l’appareil de production, scandées par d’amples manifestations et saupoudrées de pratiques transgressives paraissent ainsi plus efficaces que des journées d’action isolées. D’autres ingrédients sont nécessaires. Celui de l’opinion est là, à faire fructifier par la mise en lumière d’une contre-logique à la logique libérale, comme l’avait initié la CGT en 2019-2020 avec l’idée d’une contre-conférence de financement des retraites. La capacité syndicale à étendre la conflictualité au-delà de ce qu’il demeure de ses bastions historiques participe aussi des dimensions à vivifier. Le contexte est en outre inflammable. Le pic inflationniste et le rétrécissement des dispositifs dits de « bouclier » sont une source de mécontentements. Et a contrario de précédentes contre-réformes lancées dans les premiers temps de gouvernements confortablement majoritaires, celle-ci émerge sous le second quinquennat d’un Macron usé, à l’autoritarisme exacerbé par ses faiblesses, telle l’absence de majorité parlementaire. S’il est illusoire de faire des pronostics, les syndicats ont des atouts dans leur manche.
Catherine Perret La CGT considère que les luttes massives de 2019-2020 contre la réforme systémique à points ont permis de faire reculer le gouvernement. Il n’a eu d’ailleurs d’autres choix, après le Covid, que d’enterrer son projet pourtant validé par un 49.3. Les groupes d’opposition parlementaire ont joué aussi un rôle essentiel en déposant des amendements et en faisant vivre les débats à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est d’ailleurs ce soutien que nous attendons à nouveau des groupes politiques de gauche, plus importants aujourd’hui, et surtout de ne pas interférer avec la conduite du mouvement social qui relève des organisations syndicales. Tout mouvement social est vivant, il évolue avec les engagements de la base, avec le pouls de celles et ceux qui luttent, et non avec des incantations de « lider maximo »… Toutes les conditions économiques, sociales et politiques sont réunies pour que la retraite centralise les colères liées aux fins de mois difficiles, aux conditions et sens du travail, aux incertitudes énergétiques et environnementales. Faisons en sorte, tous ensemble, d’aller à la gagne en 2023!
André Chassaigne Les alternatives sont nombreuses, non seulement pour pérenniser notre système par répartition et ses conquis sociaux, mais aussi pour en gagner de nouveaux. Je pense notamment à un âge de départ ramené à 60 ans, à la nécessité de revaloriser l’ensemble des pensions et de porter notamment la pension minimale à hauteur du Smic, de mettre fin aux écarts criants entre les conditions des femmes et des hommes à la retraite, de prendre en compte à sa juste valeur la pénibilité… Oui, une autre réforme des retraites, humaniste et progressiste, est possible! Pour cela, il faut renforcer le financement par la cotisation en mettant fin, progressivement et sur des critères sélectifs, aux exonérations de cotisations employeur dont l’effet bénéfique sur l’emploi n’est pas démontré. Ces exonérations représentent aujourd’hui près de 80 milliards d’euros. À titre de comparaison, le déficit annoncé pour le régime des retraites est entre 7,5 et 10 milliards en 2027! De meilleures retraites, c’est aussi agir pour une meilleure répartition des richesses en augmentant les salaires et en assujettissant par exemple les revenus financiers des sociétés.
Une très grande majorité populaire est opposée à un recul de l’âge du départ à la retraite. Faut-il, comme vous le proposez, organiser un référendum pour se faire entendre?
André Chassaigne En effet, l’opposition à la réforme est nette: 80 % des Français la refusent. C’est encore plus net chez les ouvriers (82 %) et chez les employés (90 %). Le gouvernement est inquiet, mais il feint de ne pas s’en préoccuper. Il nous revient à nous, parlementaires, de faire entendre cette voix de la contestation, c’est pourquoi notre groupe a proposé le dépôt d’une motion référendaire qui permettrait de suspendre l’examen du projet de loi pour le soumettre à un référendum. Il ne s’agit pas d’un artifice de procédure, c’est un moyen concret et efficace d’associer le peuple à ce débat et aux bouleversements qu’engendrerait la réforme du gouvernement.
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