Missak Manouchian et sa femme Mélinée vont entrer au Panthéon

  • L’entrée du résistant communiste arménien, Missak Manouchian, au Panthéon avec sa femme Mélinée, a été annoncée ce dimanche par Emmanuel Macron. Cela devrait se passer le 21 février 2024.
  • Lors de cette cérémonie, plus de 90 résistants et otages étrangers fusillés au Mont-Valérien pendant l’Occupation allemande vont être reconnus « morts pour la France ».

La décision, attendue depuis des années, est désormais une quasi certitude. Selon plusieurs sources, Emmanuel Macron s’apprêterait a annoncer la panthéonisation du résistant d’origine arménienne Missak Manouchian, fusillé par les Allemands sous l’Occupation, ainsi que sa femme Mélinée, qui lui a survécu. « Il nous a autorisés à dire qu’il était extrêmement favorable à cette initiative et qu’il donnerait sa réponse dimanche », à l’occasion du 83e anniversaire de l’Appel du 18-Juin, a déclaré, vendredi à l’AFP, Jean-Pierre Sakoun, le président du comité qui soutient ce projet, après un entretien avec le chef de l’État.

Une telle décision marquerait la « reconnaissance de la résistance des étrangers, d’un héros qui a manifesté tout au long de sa courte vie l’amour de la France et l’amour des idéaux républicains », a-t-il ajouté. « L’entrée de Missak Manouchian au Panthéon, c’est aussi celle de tous ces étrangers anonymes qui sont morts pour la France », estime également Katia Guiragossian, petite-nièce du résistant arménien et de son épouse Mélinée, qui lui a survécu.

En février dernier, l’Humanité-Magazine avait consacré sa une à cet ouvrier et poète, figure incontournable de la lutte contre le nazisme. « Son engagement dans la Résistance rappelle le rôle majeur qu’ont joué les immigrés dans l’histoire de France, écrivions-nous alors. A l’heure où l’extrême droite se fait toujours plus menaçante, l’Humanité magazine relaie les voix qui plaident pour la panthéonisation de ce  membre des FTP-MOI. Plus qu’un symbole, l’entrée pour la première fois dans la nécropole républicaine d’un résistant communiste constituerait une juste reconnaissance. »

Pour l’historien Denis Peschanski, auteur du livre Des étrangers dans la Résistance (éd. de l’Atelier) et responsable scientifique du comité Missak Manouchian au Panthéon, ce dernier incarne une « convergence mémorielle » en tant que « résistant, communiste, survivant du génocide arménien, homme de culture et amoureux de la France des droits de l’Homme ».

Admiration pour la France

Né en 1906 à Adiyaman dans l’actuelle Turquie, Missak Manouchian se retrouve orphelin dès son plus jeune âge, après la mort de son père, tué lors du génocide arménien de 1905, puis de sa mère, emportée par la famine. Caché par une famille kurde, il est recueilli avec son frère aîné dans un orphelinat de Joubieh (actuel Liban), où il se découvre un goût pour l’écriture et apprend le métier de menuisier. En 1925, à bord du bateau qui emmène les frères Manouchian à Marseille, Missak s’épanche dans un long poème sur les espoirs et les rêves que lui inspire sa future terre d’accueil. « Beaucoup d’Arméniens qui ont débarqué en France à cette époque avaient une image extrêmement positive du pays, ils lui vouaient une véritable admiration », rappelle Astrig Atamian, historienne du mouvement arménien communiste en France.

Si Missak Manouchian exerce un temps comme menuisier à Marseille, il n’apprécie guère ce travail et monte avec son frère à Paris, où il est embauché comme tourneur à l’usine Citroën. De crise personnelle, avec la mort de son frère de maladie, en crise économique, avec la perte de son travail lors de la Grande dépression, Missak Manouchian exerce « mille métiers » tout en continuant d’explorer sa fibre artistique. « Il s’intéressait aussi à la musique, à l’histoire, il suivait des cours à la bibliothèque ouvrière, fréquentait la bibliothèque Sainte-Geneviève, écrivait des poèmes… Il avait même suivi des cours d’écriture de scénario ! », raconte Katia Guiragossian.

Militant communiste et clandestin

En 1934, le jeune homme rejoint le PCF et le Comité de secours pour l’Arménie, où il rencontre Mélinée, elle aussi orpheline survivante du génocide arménien. Liés par leur amour des mots, le fils de paysan et la fille de fonctionnaire partagent les mêmes convictions politiques, sur le point d’être mises à l’épreuve. Après le début de la guerre, en 1939, Missak Manouchian est interné comme communiste étranger dans un camp puis incorporé dans l’armée. A son retour dans Paris occupée en 1940, il poursuit son activité militante clandestinement, distribuant des tracts anti-hitlériens avec son ami Arsène Tchakarian.

Début 1943, Missak Manouchian rejoint le groupe armé de la résistance communiste, les Francs-tireurs et partisans – main-d’oeuvre immigrée (FTP-MOI).  « Pratiquement les seuls à l’époque à mener la lutte armée en région parisienne, parce que tous les groupes étaient tombés les uns après les autres », précise Denis Peschanski. Il forme le groupe Manouchian, composé d’une soixantaine d’hommes et de femmes. Durant l’été et l’automne 1943, il réalisa près d’une centaine d’opérations armées et de sabotages en région parisienne, dont l’exécution à Paris du général SS Julius Ritter, responsable du Service du travail obligatoire.

« Honorer notre mémoire dignement »

Le groupe fut démantelé en novembre 1943. Vingt-deux de ses membres, dont Missak Manouchian, furent alors fusillés au Mont-Valérien, à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 21 février 1944. Les visages de ces martyres resteront célèbres pour avoir figuré sur l’Affiche rouge, un document de la propagande allemande, placardée massivement en France afin de discréditer des mouvements de résistance, présentés comme une « armée du crime » aux mains de l’étranger. Juste avant d’être exécuté, Missak Manouchian écrivit à son épouse Mélinée: « Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement. »

Une entrée au Panthéon est ardemment soutenue par la gauche française. Et notamment le PCF qui se bat depuis des années pour obtenir une telle reconnaissance de cette figure de la résistance. Parmi eux, le sénateur PCF des Hauts-de-Seine, Pierre Ouzoulias, qui a salué hier une décision « qui pourrait être historique ». Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, sera présent également lors de la cérémonie qui se déroulera dimanche dans la Clairière des fusillés, au Mont-Valérien, principal lieu d’exécution de résistants et d’otages par l’armée allemande durant la Seconde guerre mondiale. Emmanuel Macron y prononcera un hommage aux résistants morts pour la France et décorera Robert Bierenbaum, ancien résistant FTP-MOI. Et frère d’arme et d’honneur de Missak Manouchian.


Pierre Ouzoulias « Ils sont morts pour une nation animée par un idéal »

Le sénateur PCF des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias parraine le colloque « Les étrangers dans la Résistance : vers l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian », organisé au palais du Luxembourg le 18 février. Il nous explique les raisons de cette bataille pour la reconnaissance institutionnelle du héros de l’Affiche rouge.

Fin 2022, le président de la République évoquait une possible annonce de l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian. Comment réagissez-vous ?

En 2015, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, Germaine Tillion, Pierre Brossolette et Jean Zay avaient été reçus sous la coupole. Ils représentaient, selon l’expression du président de la République, François Hollande, « l’esprit de la Résistance ». L’hommage de la nation à la résistance contre le nazisme et la collaboration ne pouvait être complet sans associer à ces grandes figures celle de Manouchian, qui symbolise le sacrifice ultime de celles et ceux venus d’ailleurs pour défendre l’idée qu’ils se faisaient de ce que devait être la France. Missak Manouchian suivra Joséphine Baker : deux vies dressées contre toutes les oppressions sont ainsi honorées.

Vous êtes engagé depuis plusieurs années dans cette bataille pour la panthéonisation de Missak Manouchian. Que représente-t-elle pour vous ?

Mon grand-père, Albert Ouzoulias, le « colonel André », commissaire militaire national des FTP, a, jusqu’à sa mort, rappelé ce que la Résistance devait à Missak Manouchian et Joseph Epstein, le « colonel Gilles », à la tête des FTP-MOI. Lorsqu’ils sont arrêtés par la police en novembre 1943, ils sont torturés, mais ne parlent pas. Albert était persuadé qu’il devait à leur héroïsme de ne pas être tombé avec eux. Manouchian demeure un compagnon de combat. Beaucoup ont œuvré pour ce transfert au Panthéon. Le travail d’équipe autour de Jean-Pierre Sakoun, Denis Peschanski, Katia Guiragossian, petite-nièce de Missak, et d’autres a été décisif. Le colloque organisé au palais du Luxembourg, le 18 février, leur permettra de s’exprimer.

Pourquoi est-ce si important de faire connaître l’histoire de ces combattants de l’ombre, étrangers souvent apatrides et morts pour la France ?

À une époque où certains s’interrogent sur « l’identité française », il est essentiel de rappeler l’engagement de ces « étrangers » , dont beaucoup avaient fui les pogroms antisémites en Europe. Ils n’étaient pas des Français au sens de l’état civil, mais ont combattu jusqu’à la mort pour la France parce qu’elle était pour eux non seulement un pays, mais un projet politique, une nation animée par un idéal de liberté, d’émancipation humaine et d’universalisme. L’expression « devoir de mémoire » est bien faible pour décrire ce qui nous unit encore à eux. Pour paraphraser Nerval, je pense que nous continuons à vivre leurs espoirs et que leurs combats vivent encore en nous. Je suis heureusement surpris de constater que les jeunes, qui cherchent parfois un sens à leur existence, sont souvent bouleversés par l’histoire de ces « étrangers morts pour la France » .

Le résistant de l’Affiche rouge fusillé au Mont-Valérien était arménien. En quoi cette origine fait-elle écho à l’actualité ?

Missak et son frère Garabed fuient, en 1915, le génocide perpétré par l’État turc. Missak tombe, en 1944, sous les balles d’un État qui a organisé la Shoah. De façon terrible, son existence est ainsi liée aux deux génocides qui ont ouvert deux plaies béantes sur le flanc de notre humanité. En Turquie, comme en Allemagne, le projet nationaliste des génocidaires était de donner une base raciale à l’État. Aujourd’hui, des thèses similaires resurgissent. Dans le Caucase du Sud, la Turquie et l’Azerbaïdjan n’ont pas abandonné l’idée de constituer une entité « ethniquement pure » en annihilant l’Arménie. Comme le disait Jean Jaurès : « Nous en sommes venus au temps où l’humanité ne peut plus vivre avec, dans sa cave, le cadavre d’un peuple assassiné. »

Entretien réalisé par Pierre Chaillan

 


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