Néolibéralisme et contre-révolution conservatrice: l’université française va-t-elle connaître le même sort qu’aux États-Unis ?

En France, l’exécutif prétend accueillir les chercheurs licenciés en masse aux États-Unis mais la politique française en matière d’enseignement supérieur et de recherche emprunte les mêmes logiques néolibérales et les mêmes biais idéologiques.

En France, le statut du chercheur qui garantit la liberté académique est menacé. Notre pays doit favoriser l’indépendance de la recherche.

Stéphane Bonnéry, Professeur à l’université Paris-VIII et membre du CEN du PCF

La France possède des atouts pour résister à des attaques similaires à celles que conduit Trump aux États-Unis contre l’université et la recherche. Ce sont ces atouts que sape la politique de Macron, contradictoire avec ses propres déclarations. Il dit vouloir recruter des chercheurs états-uniens ? À la suite de tous les gouvernements depuis vingt ans, il obéit aux mêmes dogmes néolibéraux et étrangle la recherche française en imposant aux universités, CNRS, etc., la baisse du budget et celle du nombre de postes.

À cause de cette politique, la plupart des universités sont au bord de la cessation de paiements. Ces restrictions veulent imposer le modèle des pays où l’emploi scientifique est précaire, donc vulnérable face à un Trump. Si des chercheurs étrangers envisagent de venir en France, c’est en raison de ce qu’ils nous envient : notre statut de chercheur fonctionnaire, qui permet de se libérer l’esprit de la quête permanente d’un nouvel emploi et de planifier des recherches à moyen terme.

La science dépendante est affaiblie, que cela soit aux États-Unis ou en France. Sur l’aspect idéologique, Trump veut bannir la compréhension de certains faits et injustices, en matière sociale et climatique. L’emprise autoritaire va aussi croissant en France quand les gouvernements décident quelles sont les « bonnes » recherches en éducation, les seules financées.

La France doit cesser d’imiter les politiques états-uniennes, stopper les financements sur objectifs définis par les intérêts des actionnaires des industries (découvertes marchandisables à court terme). Par exemple, les recherches sur les virus avaient vu leurs budgets baisser dans les années 2000 car la probabilité de pandémie apparaissait faible aux « stratèges ».

Sanofi a renoncé à un vaccin français et supprime des postes de chercheur tout en bénéficiant des cadeaux fiscaux du crédit impôt recherche à hauteur de 150 millions d’euros par an (au total, c’est 8 milliards d’euros par an donnés aux grandes firmes censées encourager la recherche).

La science française doit rompre avec les logiques d’évaluation stupides, imposées internationalement, qu’ont suivies les États-Unis. Le pilotage bureaucratique décourage les programmes de long cours au profit de projets garantissant de nouveaux financements, parce qu’assurés d’obtenir des résultats, peu novateurs.

De l’urgence environnementale à celles de la santé ou des inégalités scolaires, tout appelle à ce que la France tourne le dos aux logiques qui rendent nos collègues états-uniens si fragiles. Notre pays peut jouer un rôle décisif pour réorienter la science mondiale vers l’indépendance (contre l’autoritarisme et l’emprise de l’argent) en montrant l’exemple d’un service public doté de moyens et d’une relance de la politique de démocratisation de l’enseignement supérieur public, afin d’élever le niveau de connaissance des futurs citoyens et d’élargir le vivier de recrutement des chercheurs. Un changement radical d’orientation doit s’effectuer dans l’intérêt d’une large partie de la population.

L’éclatement de l’enseignement supérieur et l’asphyxie budgétaire conjuguée à une mise au pas de la recherche sont les logiques à combattre.

Anne Roger, Cosecrétaire générale du Snesup-FSU

Aux États-Unis, les attaques obscurantistes de l’administration Trump, les coupes budgétaires, les licenciements en masse dans les services publics, sa croisade contre l’esprit critique sont gravissimes et constituent un véritable coup de semonce. Chaque jour, la prise de contrôle des universités et des scientifiques par le pouvoir se fait plus forte dans le cadre de ce qui reste pourtant une démocratie.

En France, la condamnation de cette politique a été quasi unanime. Ceux-là mêmes qui depuis des années contribuent à l’éclatement de l’enseignement supérieur et de la recherche et à l’asphyxie budgétaire, ceux-là mêmes qui n’ont pas manqué de faire des procès en islamo-gauchisme ou en laxisme face à l’antisémitisme, tous, ou presque, n’ont pas manqué d’exprimer émoi et indignation, par ailleurs légitimes, cherchant à invisibiliser les mobilisations en cours dans les universités et organismes de recherche en France.

Pourtant, la situation financière des universités est désastreuse. Les alertes successives des organisations syndicales, de parlementaires et même de président·es d’université n’ont donné lieu à aucun arbitrage budgétaire susceptible d’envisager l’avenir sereinement.

La volonté politique d’asservir les formations supérieures et la recherche aux besoins immédiats de l’économie capitaliste et de brider leur potentiel émancipateur ne cesse de devenir plus évidente. Ce qui se passe aux États-Unis pousse à son paroxysme ce que le Snesup-FSU combat au quotidien et qui s’est accéléré en France depuis quelques années.

Un double mouvement se dessine avec, d’un côté, le discrédit ou encore la déconsidération de la production scientifique et sa relégation au rang d’opinion comme une autre ; de l’autre, un mouvement de diminution du niveau d’éducation et de formation de la population qui passe par la limitation des capacités d’accueil dans les formations supérieures publiques, la mise au pas de la formation des enseignant·es, la multiplication des formations en apprentissage, etc.

Le renforcement de l’autonomie des universités et la multiplication des statuts dérogatoires des établissements pourraient finir de donner les pleins pouvoirs aux président·es et conduire localement à des décisions autoritaires sans contre-feux démocratiques. Le fléchage des financements ou leur concentration sur certains laboratoires reviennent à piloter la recherche et à restreindre la liberté académique.

Plus que jamais, nous devons défendre les collègues dans l’exercice de leur métier contre les attaques individuelles, qui vont du discrédit scientifique aux entraves à l’exercice de leur métier en passant par des menaces de révocation.

Le service public de l’enseignement supérieur et de la recherche est aujourd’hui attaqué pour ce qu’il est : un outil puissant d’émancipation et de lutte contre l’expansion des idées réactionnaires et d’extrême droite. Face à cette lame de fond, un seul mot d’ordre : se mobiliser avec l’ensemble des forces progressistes, dans l’unité, et amplifier le mouvement en cours depuis le mois de décembre pour le défendre.


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