Le livre d’Ostrovski Erreur ou trahison dans sa dernière partie, intitulée “la fin” ne laisse pas beaucoup de place au doute, il y a eu “trahison” et celle-ci a nécessité de la ruse et de l’obstination. Il décrit pourtant le caractère “objectif” d’un écroulement de l’URSS sous les effets conjugués d’une crise économique, de l’affaiblissement du pouvoir de l’union, de sa centralité autant que de sa maitrise sur les événements, de la croissance d’un mouvement d’opposition lié de fait directement à Washington, y compris sous ses formes nationalistes, qui développe sa prise sur le terrain que le pouvoir de l’union laissait en jachère, ainsi que de l’effondrement de l’ancienne idéologie et de la diffusion de nouvelles valeurs idéologiques occidentales. Si l’on en restait à ce constat, ce que font la quasi totalité de ceux qui parlent de la fin de l’URSS en France, communistes compris, l’affaire peut être jugée, ce système n’était pas viable.
En général, c’est même pire, la chute de l’URSS est devenue un lieu obscur dont on ne parle pas, le diagnostic est bien le caractère invivable et sordide, et ce silence sur les FAITS conditionne des attitudes fondamentales et devient force d’inertie. La première conclusion que l’on peut tirer de ce livre est qu’il est urgent que les communistes français mais en s’appuyant sur les nombreux travaux qui se développent au plan international affrontent à partir de leur propre but et valeurs cette question des raisons de la fin de l’URSS, comme celle de la liquidation de leur parti, une réalité.
Il a fallu détruire l’État socialiste et sa relation au parti, en finir avec la centralité, jouer les nationalismes et ambitions locales…
Parce que ce silence soit entérine l’idée que le communisme a fait la preuve de son échec et c’est sa condamnation, soit l’idée qu’il y a eu la déformation stalinienne qui expliquerait tout. Et l’adjectif stalinien est la référence qui économise toute analyse, permet la stigmatisation sans preuve. Or il me semble que c’est par un mode de dénonciation erroné que commence la désagrégation. Le livre n’en fait pas le centre de la démonstration mais il est sans équivoque là-dessus. Il reflète assez bien à ce propos l’opinion russe largement majoritaire qui premièrement continue à voir dans Staline le véritable fondateur de l’URSS, son défenseur. J’ajouterai que les Russes haïssent plus Gorbatchev qu’Eltsine, le second n’est que la conséquence du premier, un potentat local qui a profité de la destruction opéré par le premier. Je propose une hypothèse de recherche qui part de cette destruction de l’Etat socialiste et de sa rupture avec le parti, de revenir à la définition de Lénine de la démocratie socialiste par cette articulation parti/ Etat, ainsi que sur ce que dit Lénine sur l’Etat socialiste “à déformation bureaucratique”, le combat qu’il faut mener contre ce fait lié au sous développement de l’URSS, à sa modernisation dans des conditions de guerre de différentes intensités menées contre le socialisme par l’impérialisme.
Parce que ce que montre le livre est que l’on pourrait penser l’effondrement à partir de facteurs imputables au système si chacun de ces faits était spontané. Alors que même Gorbatchev et ses complices admettent qu’en 1985 la crise économique n’existait pas encore dans le pays, il y avait seulement un retard sur l’occident en matière de forces productives (avec y compris le bluff de la guerre des étoiles) mais il y a eu non pas effort pour s’attaquer aux problèmes mais volonté de les exacerber et attribuer au socialisme cette aggravation. Tout le livre est une démonstration convaincante de cette volonté de détruire l’URSS, pierre par pierre par une méthode qui a besoin non seulement d’un traitre en chef, Gorbatchev mais de l’existence d’un corps de dirigeants acquis à ce projet et qui y trouvent leur avantage. Donc il y a eu trahison, au meilleur des cas, Gorbatchev ne voulait pas améliorer le socialisme, l’URSS, il voulait les détruire et avec ténacité, il a tout fait pour que cela se passe ainsi. Le réquisitoire du livre est imparable, il l’a fait en liaison avec Washington, un contact permanent et au plus haut niveau. Il a constitué une équipe qui a adopté ses vues et les a mise en oeuvre. il reconnait avoir su biaiser, manoeuvrer en recul. La seule chose qui indigne Gorbatchev et ses complices est l’ingratitude des Etats-Unis qui non seulement ne leur ont pas donné le pouvoir escompté mais continuent à dire qu’ils ont vaincu l’URSS, alors que ce sont les dirigeants soviétiques eux mêmes qui ont détruit l’empire totalitaire. Et cette bande pitoyable continue à dénoncer là un manque de reconnaissance, voire un manque de parole puisqu’il leur avait été promis monts et merveilles, d’être intégrés à l’occident et d’en finir avec l’OTAN.
Mais la trahison n’est-elle pas encore un mode d’effondrement ? Le terme d’effondrement renvoyant bien à l’idée d’une destruction sous son propre poids par vice de structure alors que toute la démonstration du livre décrit la manière dont il a été volontairement donné vie à des forces sociales et des politiques destructrices. C’est peut-être déjà là que le livre nous laisse sur notre faim parce que nous ne savons rien sur les luttes qui doivent se mener dans le socialisme et qu’à l’inverse du texte de Staline sur la lutte contre la bureaucratie que nous citons en deuxième partie, n’est pas abordée la manière dont ce corps de traitres a peut-être surgi de l’absence de lutte contre “la bureaucratie”, a été abandonné le combat politique sur le nature de l’Etat, a été entériné le passage à une gestion administrative et de quand ça date.
Parce que ce que décrit le livre n’est pas un Etat qui ne serait plus socialiste avec à sa tête une classe de bureaucrates, diagnostic cher aux Trotskistes (notons que Trotski accuse Lénine des mêmes maux et se plaint de l’Etat jacobin, alors que la destruction de la centralité de l’URSS est le moyen essentiel de sa fin). Le livre décrit au contraire à quel point il a fallu briser l’Etat socialiste tant sur les plans économiques, politiques, et idéologiques pour en finir avec l’URSS.
C’est d’ailleurs ce qui rend le réquisitoire de “traitrise” convaincant, que ce soit l’Etat ou le parti, il a fallu les détruire pierre après pierre, et cela ne s’est pas limité à l’URSS. Les Etats baltes, la Lituanie sont des cas exemplaires, les plus achevés, parce que l’on peut même considérer qu’il y a des vestiges qui tiennent bon en Russie. Il est clair que le modèle a été appliqué dans tous les pays, leurs partis communistes relèveraient sans doute d’une même “autopsie”, et le parti communiste de la France de Robert Hue et de sa mutation en fournit l’exemple, comme le PCI, la centralité, la presse, les élus coupés du parti, la destruction de l’idéologie remplacé par une vague bonne conscience social démocrate. Oui mais ce spectacle du communisme européen pose autrement la question de la trahison : quelle lutte n’a pas été menée comment expliquer non seulement Gorbatchev mais la possibilité de trouver un tel personnel.
Il est indispensable de lire ce livre pour y découvrir des faits, des dates, et effectivement la description d’une trahison. La perestroïka a été conçue comme une préparation à l’entrée de l’URSS dans l’économie mondiale et la création non seulement d’une “maison commune européenne” mais aussi d’un nouvel ordre mondial, un plan qui en finissait avec l’URSS comme état matrice du socialisme, pour atteindre cet objectif il fallait privatiser l’Etat et rétablir une économie de marché et pour cela retirer le pouvoir au PCUS, renoncer au monopole du marxisme et imposer une idéologie de type occidental, transférer le pouvoir et la propriété du centre vers les Républiques. Mais par définition ce modèle de destruction de l’URSS est devenu celui imposé à toute l’Europe, un nouvel ordre mondial, qu’aujourd’hui on qualifie de néo-libéral en percevant son caractère autodestructeur. Il a été en quelque sorte procédé à une mise à feu qui se poursuit aujourd’hui et la guerre en Ukraine n’en est qu’un épisode, ce dont les Russes sont conscients.
Mais “ces réformateurs” étaient-ils conscients ? Sur ce point encore Ostrovski répond par l’affirmative en citant les acteurs de l’époque. Ils ont utilisé l’idée de la nécessaire transformation du socialisme en se camouflant derrière des mots, les coups ont d’abord été portés contre Staline, puis contre Lénine et enfin contre tout le système soviétique dont ils visaient l’effondrement. Ils ont même choisi le chaos en affirmant que l’on ne pouvait détruire l’ancien système sans subir une longue période de chaos. Ce discours je l’ai entendu au sein du PCF terme à terme par ceux qui initiaient le même processus et dans mes mémoires je le découvre à l’identique en Hongrie et en Italie, un modèle est appliqué partout et il est très proche du néo-libéralisme. L’abandon est allé au-delà de leurs espérances tant dans la désorganisation de la mutation que dans l’absence de formation avec l’abandon maintenant du marxisme “en utilisant des facteurs tels la discipline et la confiance dans le secrétaire général” (p. 789).
Ce qui manque au livre est de savoir comment on a pu aboutir à une telle direction qui espéraient sans doute de l’occident plus de reconnaissance que ce qu’ils n’en ont obtenu ? Et là bien sûr on ne peut pas se contenter de l’argument de la classe de bureaucrates avec le rôle de Staline… Il s’agit de la description d’un combat pour détruire l’Etat socialiste et le parti. Gorbatchev procède d’abord par une évacuation des cadres communistes, son remplacement par des technocrates cyniques et on sait désormais qu’il y a eu une importante résistance dont l’actuel parti communiste de la fédération de Russie est issu. Partout encore aujourd’hui il existe non seulement des organisations mais une influence qui se retrouve dans toute la vie politique et sociale, voire culturelle post soviétique partout dans le monde. En finir avec le socialisme est un processus toujours à l’oeuvre parce que les braises sont actives et le livre passionnant, stupéfiant même d’Ostrovski en reste trop souvent aux arcanes du pouvoir soviétique. Alors que ce qui s’est passé devrait être encore plus riche d’enseignement concernant la “démocratie” socialiste et le rôle du parti dans ce mode d’exercice nouveau de la démocratie.
Libertés économiques et libertés politiques sont indivisibles
J’ajouterai qu’à l’inverse des grands sentiments et des “indignations” orientées de la gauche dans nos “démocraties”, la démonstration que le capitalisme dans sa phase néo-libérale à infligé à la majeure partie de l’humanité est d’une vérité criante : effectivement les libertés économiques et politiques sont indivisibles. Toute restriction sur la première est une menace pour la seconde, ceux qui en Russie et dans les ex-pays socialistes comme dans le tiers monde ont subi à la chute du socialisme cette démonstration en gardent un souvenir cuisant qui les fait douter des vertus du “libéralisme”. Cette leçon dans les FAITS qui a voulu que le processus de destruction et de chaos se poursuive jusqu’à son stade actuel, l’impérialisme des Etats-Unis l’inflige à son propre peuple et à ses “alliés”. D’où la nécessité de repenser tout le narratif historique et de considérer les fautes, les erreurs, les crimes de notre point de vue, celui justement où libertés économiques et politiques sont inséparables, et ce point de vue étant adopté de corriger les fautes, les erreurs, pour gagner et non subir.
Sous nécessité d’analyse plus approfondie, puisque ce serait par lui qu’aurait débutée la mise à feu, il semble que les deux grandes accusations portées contre Staline, celle de pouvoir personnel et celle de bureaucratie ne soient pas convaincantes. Ce qui caractérise Staline par opposition à Trotski et qui a consacré sa victoire sur ce dernier c’est sa capacité à travailler collectivement et avoir avec lui l’ensemble du parti et non une fraction. Comme ce qui lui est reconnu y compris par de féroces anticommunistes (1) c’est d’avoir su constituer une équipe travaillant jusqu’aux limites de leurs forces et avec une grande efficacité et qui lui a survécu, alors que la création d’une bureaucratie s’imposant à la démocratie du parti, ce que Staline définit encore comme “la persuasion” a été plutôt du fait de Khrouchtchev qui a dans le même temps entretenu des illusions gauchistes sur le communisme en s’appuyant sur une technocratie (2).
Il manque dans le livre d’Osrovski le récit de cette évolution (3). Comment a-t-on pu aboutir à cette véritable “bureaucratisation” dont le livre montre bien que comme les retards économiques, il aurait fallu s’y attaquer et c’est là que les “recettes” de Staline méritent d’être étudiées comme celles du parti communiste chinois et a contrario la liquidation des partis de l’eurocommunisme. Gorbatchev va porter jusqu’à l’extrême avec ce que montre bien le livre “erreur ou trahison” à savoir la rupture de l’appareil d’Etat avec le parti qui permet d’exercer la dictature du prolétariat avec et contre l’Etat socialiste en lui substituant une direction qui échappe totalement au contrôle du parti sous couvert de “liberté” et de “démocratie”(4). Le processus est assez comparable à celui du néolibéralisme tel que nous l’avons vu décrit par un citoyen des USA. Un processus qui logiquement confond la liberté sans contrôle de la propriété dans la privatisation, la fin de l’Etat socialiste avec la liberté individuelle devenue celle du consommateur. Staline conserve en Russie une adhésion réelle populaire, et ce n’est pas selon la caricature occidentale parce que le peuple russe adore les dictateurs, en tout cas pas plus que le peuple français a une passion pour les maréchaux et autres généraux… ou pour les présidents empereurs… les plébiscites… Mais parce que l’URSS a connu une véritable modernisation qui a en quelques générations assuré la promotion et l’éducation de tout un peuple outre la victoire sur l’Allemagne nazie dans laquelle Staline a joué un rôle déterminant (5).
Ce qui est difficilement niable c’est que Staline a une vénération pour Lénine et comme ce dernier, il ne cesse de se battre contre le fait que le sous développement de l’URSS crée un “Etat socialiste à déformation bureaucratique”.
J’ai reçu récemment ce texte sur la manière dont Staline concevait le nécessaire combat contre la bureaucratie et l’importance qu’il accordait à ce titre au rôle dirigeant du parti comme une véritable démocratie. Effectivement l’expérience que nous avons eu du PCF correspond à cette manière de se sentir acteur à part entière dans un processus d’action mais aussi de réflexion et d’enrichissement intellectuel. Cette expérience d’une autre démocratie mérite des approfondissements.
Nous sommes dans une crise profonde de la démocratie qu’on aurait dit bourgeoise et la nécessité de l’intervention populaire face à des dangers qui mettent en péril l’humanité.
Reprendre cette analyse de Staline sur le combat constant qu’il faut mener contre la tentation d’avoir une simple gestion administrative de l’Etat socialiste et avoir un parti qui ne soit pas l’instrument d’une formation à la citoyenneté des masses, on le retrouve chez Lénine y compris dans sa querelle avec Trotski sur la nécessité des syndicats comme école du communisme, alors que le sujet réel est la NEP. Il reste bien sûr à voir et à analyser comment par exemple avec brutalité a été mené ce combat par Staline, en prenant en compte le fait que cette brutalité a essentiellement concerné les cadres communistes et de ce fait a été sans doute plutôt populaire dans les masses, ce qui reste encore sous-jacent en Russie, alors que l’image de la répression stalinienne se combine avec un nationalisme parfois complètement tronqué comme en Ukraine aujourd’hui. Il reste également à voir les effets de la grande guerre patriotique, la mort massive de cadres communistes, l’état d’épuisement de Staline lui-même, les réformes qui n’ont pas été menées à temps, ce qui est la position des Chinois.
Combattre la bureaucratie en Union soviétique sous la direction de Staline, par Carlos Roel
Traduit par : Ali Ibrahim
PARTIE I – 10 -13/8/2023
Staline parle d’un défaut dans le travail du parti :
« Un deuxième défaut. Introduire des styles administratifs dans le parti, c’est remplacer le style de persuasion, qui est crucial pour le parti, par le style de gestion. Ce défaut n’est pas moins dangereux que le premier. Pourquoi ? Parce que cela crée le risque de transformer les organisations du parti, qui sont des organisations auto-opérantes, en de simples institutions bureaucratiques. « Étant donné que nous avons au moins soixante mille fonctionnaires les plus actifs répartis à tous les types d’institutions économiques, coopératives et étatiques, luttant contre la bureaucratie, il faut reconnaître que certains d’entre eux, tout en luttant contre la bureaucratie dans ces institutions, peuvent parfois se transmettre eux-mêmes en bureaucratie et transmettre cette infection. ”
Organisation partisane. “Et ce n’est pas de notre faute les gars, mais c’est notre malheur, car ce processus continuera plus ou moins tant que l’État existera”. « Puisque ce processus a quelques racines dans la vie, nous devons nous armer pour lutter contre ce défaut, nous devons élever l’activité du bloc du parti, attirer les militants à la prise de décision sur les questions concernant le leadership de notre parti, inculquer systématiquement la démocratie interne au parti et changer sans remplacer le style de persuasion dans nos pratiques de parti dans le style de management. “
“Le troisième défaut. Il s’agit de vouloir qu’un certain nombre de nos camarades nagent avec le flux, sans problème et sans horizon, sans regarder vers l’avenir, d’une manière que l’ambiance des festivals et des vacances remplacent le but au point qu’on devrait avoir des réunions festives tous les jours, avec des applaudissements partout, et que nous devrions tous être élus comme membres fiers de toutes sortes d’organes présidentiels. (Rires, applaudissements, clap). “Cette envie irrésistible de voir l’ambiance festive partout, cette impatience pour les décorations, toutes sortes d’anniversaires, nécessaires et non essentiels, cette envie de nager avec le flux sans faire attention à l’endroit où ça nous mène (rire, clap) – tous constituent l’essence du troisième défaut dans nos pratiques de parti, et la base des défauts dans notre vie de parti.”
Dans le discours lui-même, le camarade Staline a désigné un autre élément de la bureaucratie – l’incapacité à mettre en œuvre la ligne que le parti a réellement adoptée : « Certaines personnes pensent qu’il suffit de tracer une ligne correcte de parti, de l’annoncer en audience publique, de faire une déclaration sous forme de thèses et de résolutions publiques, et de voter à l’unanimité, pour que la victoire soit obtenue par elle-même, automatiquement telle qu’elle est. “« C’est bien sûr mal. ” C’est une illusion sauvage. Seuls les bureaucrates incurables le croient. En fait, les succès et les victoires ne sont pas arrivés automatiquement, mais le résultat d’une lutte acharnée pour faire respecter la ligne du parti. La victoire ne vient pas automatiquement – elle s’obtient souvent après l’effort.« Les bonnes décisions et annonces en faveur de la ligne générale du parti ne sont que le début ; elles expriment simplement le désir de victoire, mais elles ne sont pas la victoire en soi. ” Après avoir tracé la bonne ligne et trouvé la bonne solution au problème, le succès dépend de la façon d’organiser le travail ; de l’organisation du combat pour mettre en œuvre la ligne du parti ; du choix des bonnes personnes ; de la vérification de l’exécution des décisions des organes dirigeants
De plus, après avoir posé la bonne ligne politique, c’est le travail d’organisation qui décide tout, y compris le sort de la ligne politique elle-même, son succès ou son échec. “
Staline a poursuivi cette question en suggérant qu’un système à grande échelle doit être en place pour vérifier la mise en œuvre des décisions afin de se débarrasser des bureaucrates de routine. Staline a également signalé d’autres faiblesses dans le travail du parti dans son rapport au comité central soviétique de 1937 : « Peut-on dire que cette règle balte est mise en œuvre par nos camarades du parti ? ” Malheureusement, on ne peut pas le dire. On en a parlé ici en pleine séance. Mais tout n’est pas dit. La vérité est que cette règle bien expérimentée est violée de gauche à droite dans notre pratique, et surtout, la violation est flagrante. « Le plus souvent, les travailleurs ne sont pas sélectionnés selon des normes objectives, mais selon des normes locales occasionnelles, étroites. Les connaissances, les amis personnels, les collègues d’une même ville, les personnes qui ont montré leur loyauté personnelle et les professeurs de louanges envers leurs dirigeants sont souvent choisis, qu’ils soient politiquement et pratiquement appropriés. « Naturellement, au lieu d’un groupe de leadership de travailleurs responsables, un groupe familial est formé, un groupe dont les membres essaient de vivre paisiblement, de ne pas se déranger, de ne pas répandre publiquement leur linge sale, de se complimenter mutuellement et de temps en temps envoient des rapports triviaux et écoeurants au Centre “« Il n’est pas difficile de comprendre que dans de telles circonstances de relations étroites, il ne peut y avoir de place ni pour critiquer les manquements au travail, ni pour l’autocritique des dirigeants d’entreprise. “Naturellement, ces relations de parenté créent un environnement propice pour donner naissance à des opportunistes, des gens qui n’ont aucun sens de la dignité. « Prenez par exemple les camarades Mirzoyan et Vinov. Le premier est le secrétaire de l’organisation régionale du parti au Kazakhstan; le second est le secrétaire de la organisation du parti dans la région de Yaroslav. Ces gens ne sont pas les travailleurs les plus arriérés parmi nous. Comment ont-ils sélectionné les travailleurs ?« Le premier a traîné avec lui de l’Azerbaïdjan et de l’Oural, où il avait auparavant travaillé, au Kazakhstan trente ou quarante membres de son groupe « spécial », et les a placés dans des postes officiels au Kazakhstan. ” Le deuxième a couru avec lui du Donbass, où il avait auparavant travaillé, à Yaroslav une dizaine de membres de son groupe “spécial”, et les a également mis en position d’autorité. Ainsi le camarade Mirzoyan a sa propre équipe. Et comme le camarade Finnoff. « Était-il vraiment impossible de choisir des travailleurs parmi les populations locales, guidés par la règle bien connue de Bishp qui consiste à choisir les gens et leurs emplacements ? ” Bien sûr, cela aurait pu être possible. Alors pourquoi n’ont-ils pas fait ça ?
Parce que la règle communiste dans le choix des travailleurs exclut la possibilité de suivre une telle approche qui manifeste une étroitesse d’esprit, et elle exclut la capacité de choisir les travailleurs selon les normes de parenté et d’être des “membres de gangs”. « De plus, lorsqu’ils choisissent des personnes ayant une allégeance personnelle comme travailleurs, il est clair que ces gars voulaient créer des conditions qui leur donneraient une certaine indépendance vis-à-vis des habitants et du comité central du parti. “Supposons qu’en raison de certaines circonstances, les camarades Mirzoyan et Vinov aient été transférés de leur lieu de travail actuel à un autre endroit. Comment sont-ils censés agir dans une telle situation au sujet de leurs “queues” ? Va-t-il vraiment falloir les ramener à leur nouveau lieu de travail ? “C’est le désordre résultant de la violation de la règle concernant la sélection et la répartition correctes des travailleurs. “
La discussion est ouverte : on rêve d’un temps où il se trouvera un nouveau Maurice Thorez pour déclarer : que les bouches s’ouvrent pas de mannequins dans le parti, je crains de ne pas le voir de mon vivant… Mais on peut toujours comme nous avons commencé à le faire, ici et dans d’autres lieux entamer cet indispensable travail sur le passé, le présent et l’avenir.
Danielle Bleitrach
(1) L’ouvrage de référence sur cette question est celui de Sheila Fitzpatrick Dans l’équipe de Staline traduit de l’anglais par Jacques Bersoni, ouvrage publié avec le CNL par Perrin, 2018. L’auteur insiste sur l’importance et les responsabilités d’un groupe d’hommes fidèles et remarquablement efficaces depuis la fin de années 1920 jusqu’à la mort de Staline en 1953. Ce livre étudie cette équipe dont “Staline” était le capitaine. Si Khrouchtchev joua le rôle que l’on sait dans le démantèlement, d’autres lui demeurèrent d’une fidélité à toute épreuve et d’un désintéressement absolu comme Kaganovitch et Molotov.
(2) c’est le sujet réel du film de Konchalovsky, “chers camarades”, il ne s’agit pas d’une dénonciation de l’URSS comme on l’a imaginé en occident mais d’une dénonciation du khrouchtchévisme dans ses multiples conséquence et la manière dont il s’est heurté à une résistance prolétarienne.
(3) On sait en effet que dans un premier temps Brejnev tente de réparer les dégâts du Khroutchévisme.
(4) c’est en particulier dans la dernière partie intitulée “la fin” que l’on mesure comment après que tout ait été fait pour en partant de problèmes qui auraient pu être résolus, a été organisée la destruction totale de l’appareil d’Etat, celle-ci étant effectivement un coup d’Etat. Eltsine avec sa démagogie habituelle donne apparemment le coup de grâce dans le cadre de sa campagne électorale en dénonçant “les privilèges du parti” et en avançant un programme se résumant en 4 points : a) la privatisation de 90% de la propriété de l’Etat. b) la transition vers l’économie de marché c) l’abolition de l’article 6 de la Constitution sur le rôle dirigeant du PCUS d) l’organisation d’un parti russe des communistes. (p.524) et il se prononce lors d’une réunion avec les électeurs à l’institut polytechnique de l’Oural en faveur d’une transformation de l’URSS en une “confédération”. Mais ce que l’on voit tout au long du livre c’est qu’Eltsine quel que soit la déchéance et la démagogie du personnage n’est qu’un des agents locaux d’une désagrégation qui n’aurait pas pu intervenir sans le rôle joué par Gorbatchev et le contexte des “élections locales” de 1990 a permis pour Eltsine comme pour d’autres arrivistes démagogues de commencer le dépeçage. Parce que dans le cadre de ces élections locales la question du sort de l’Union soviétique était posé directement. (p.532) Et cette décision dépendait de Gorbatchev. Dans de nombreuses républiques une opposition mena les élections tambour battant sur des thèmes nationalistes et “démocratiques” mais souvent comme l’Azerbaïdjan sous la conduite de monopoles étrangers (BP en l’occurrence) mais ce fut surtout dans les pays baltes où comme en Lituanie, avec deux partis communistes, l’un qui voulait préserver le PCUS et l’URSS, l’autre l’indépendance, les deux battus par un nationaliste libéral. Et partout cette opposition s’entretenait directement avec de hauts fonctionnaires du département d’Etat et des hommes politiques de Washington. (p.534) En Russie où les communistes restaient majoritaires à 90% mais divisés entre ceux qui voulaient conserver l’URSS et le PCUS et ceux qui étaient les “communistes” de Russie derrière Eltsine, Gorbatchev rencontra les délégués du congrès pour les exhorter à soutenir la faction “communiste de Russie”. A la lecture de ces faits, largement inconnus en Occident, nous sommes frappés par le rôle de Gorbatchev et l’on comprend mieux que les Russes le détestent encore plus qu’Eltsine. Mais aussi par le parallélisme entre ce qui s’est passé en URSS et dans les pays de l’Eurocommunisme, y compris en France, et comment la désorganisation, la rupture des élus, de la presse, avec le parti se poursuit en engendrant des situations locales apparemment dominées par des questions de clans.
(5) Même Joukov qui fut un allié de Khrouchtchev dans la “déstalinisation” reconnait ce rôle déterminant de Staline.
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