Fabien Roussel et Édouard Philippe ont débattu dimanche à l’Agora de l’Humanité. Une confrontation entre deux visions de la société.
Inflation, blocage des prix, salaires, réindustrialisation, retraites, 49.3, extrême droite… Le secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, et l’ex-premier ministre et actuel maire du Havre, Édouard Philippe, se sont livrés à un véritable débat gauche-droite dimanche, lors de la 88e édition de la Fête de l’Humanité.
De plus en plus de Français peinent à se nourrir. Le gouvernement a annoncé des négociations sur les prix et une « conférence sociale » sur les bas salaires. Ces mesures vous paraissent-elles à la hauteur ?
Édouard Philippe : J’ai l’impression que tout se passe comme si on arrivait à la fin de la société du travail. Même quand on travaille, on n’y arrive plus. L’un des fondements de notre organisation sociale, qui consiste à dire que par un travail sérieux et digne on arrive à vivre, est en train de tomber. C’est une très mauvaise nouvelle. Je suis certain qu’il y a des mauvaises solutions : le blocage des prix en est une. Je sais que c’est populaire, mais à moyen terme la situation est pire.
Fabien Roussel : L’inflation est le fléau qui mine le plus le pouvoir d’achat de nos concitoyens. S’attaquer à la vie chère, c’est bloquer les prix alors que les salaires et les retraites stagnent. Il faut baisser la TVA sur les produits de première nécessité, les taxes sur l’essence et bloquer les marges des grandes entreprises.
Édouard Philippe : L’Espagne a baissé la TVA sur les produits de première nécessité. Elle a connu une inflation de 10 à 15 % tout pareil. Mettre la TVA à 0 %, c’est laisser les industriels, les distributeurs, les entreprises réaugmenter et refaire leurs marges. Ça n’arrête pas l’inflation.
Fabien Roussel : Il faut d’autres mesures. L’État doit intervenir dans la répartition des marges, depuis le paysan jusqu’au consommateur, de la fourche à la fourchette. Car l’industrie alimentaire et les grandes surfaces dictent le jeu et imposent leurs prix. Il faut mettre en place un prix rémunérateur pour que le paysan ait un bon salaire et le consommateur un prix juste. Et il y a d’abord une inflation provoquée par les prix de l’énergie, alors baissons les prix de l’électricité et du gaz, retrouvons notre souveraineté énergétique. Enfin, agissons sur les salaires, sur les retraites. Plusieurs pays l’ont fait, et ça marche. Ce ne sont pas les salaires qui sont responsables de l’inflation.
Édouard Philippe : Je ne suis pas sûr que ce soit à l’État de refaire la marge sur les prix. Mais sur l’énergie, on n’est pas très loin d’être d’accord. On doit avoir une souveraineté de production fondée en grande partie sur l’énergie nucléaire, qui permet de produire de l’électricité à bas prix et de façon constante, et aussi sur les énergies renouvelables. Sur les salaires et les pensions, on peut dire qu’il faut les augmenter. Mais le risque à la fin, c’est qu’à force de le faire à chaque fois qu’il y a l’inflation, on auto-alimente l’inflation. On ne sait pas arrêter ça. Et à la fin, ceux qui paieront la boucle inflation-salaire, ce sont les plus modestes.
« Que les gros payent gros, que les petits payent petit. »
Fabien Roussel
Fabien Roussel : En 2027, il y aura deux projets très différents. Le vôtre, sans augmentation des salaires et des retraites. Et le nôtre, à gauche, où nous dirons que les salaires vont augmenter de 10 % pour les agents de la fonction publique, et qu’ils seront indexés sur l’inflation pour ceux du privé. L’argent public doit aider les services publics et les petites entreprises mais ne doit plus aller vers les entreprises du CAC 40 qui se gavent. Nous allons reprendre la main sur l’argent public pour ceux qui en ont besoin. Notre pays n’a jamais été aussi riche : les richesses doivent revenir à celles et ceux qui les produisent. Et nous voulons que les salariés décident dans leur entreprise. C’est une révolution démocratique. J’entends déjà Édouard Philippe dire qu’il faut augmenter les salaires en baissant les cotisations. Ce projet, c’est ce que défend Marine Le Pen. C’est un projet qui tue la Sécurité sociale.
Édouard Philippe, qu’allez-vous répondre ? La dette, la dette, la dette ?
Édouard Philippe : C’est un énorme sujet. Nos amis grecs, six mois avant la faillite, ne l’ont pas vue venir. Une fois qu’elle était là, ils ont compris ce qu’elle leur coûtait. Bien sûr qu’il faut faire attention à la compétitivité de l’économie française. Et il faudrait que par l’intéressement, la participation, on arrive à associer la création de richesses aux salariés.
Fabien Roussel : Je ne veux pas dire aux Français qu’il ne faudra pas payer la dette. Ce ne serait pas responsable. Il y a 3 000 milliards d’euros de dette qu’on agite devant nous comme une clochette en nous disant qu’il faut la payer. Mais moi président de la République, la dette je vais l’agiter devant les 500 plus grandes fortunes de France. Elles n’ont jamais gagné autant d’argent. Je leur dirai : participez à l’effort de reconstruction de la nation. À elles de payer leur part de la dette. Macron propose d’augmenter les ordonnances médicales, les franchises sur les médicaments. Ils envisagent d’augmenter les taxes sur l’alcool. Pourquoi pas une taxe sur le caviar, sur les yachts, sur les jets ? Ce sont toujours les ouvriers, les enseignants, les aides-soignantes qui payent. Que les gros payent gros, que les petits payent petit.
« La seule vraie solution pour remettre sur pied la démocratie, c’est de remettre des idées dans le débat. »
Édouard Philippe
De nombreux salariés sont touchés de plein fouet par les délocalisations. Édouard Philippe, quel regard portez-vous sur le bilan industriel de la France lorsque vous étiez aux commandes ?
Édouard Philippe : La voie de la France est de se réindustrialiser, j’en suis convaincu. Depuis 2018, nous avons ouvert plus de boîtes industrielles qu’on en a fermées. Cette reconquête est possible mais elle est difficile. Il y a des questions de formation, de techniciens, d’hommes et femmes prêts à travailler dans l’industrie. Je défends la réforme de l’apprentissage parce qu’elle a permis de faire passer le nombre d’apprentis à plus de 700 000, là où on était à 350 000 quand je suis devenu premier ministre. Plus d’attractivité, plus de formation, cela me paraît indispensable.
Fabien Roussel : D’abord, s’il y a aujourd’hui plus d’usines et d’industries en France, il ne faut pas oublier qu’il y a eu une crise pandémique énorme qui a été un choc. Quarante mille emplois industriels ont été supprimés sous Édouard Philippe. Je l’ai vécu dans ma chair, avec les Bridgestone. À cause du traité de Maastricht, nous avons toujours la concurrence libre et non faussée et l’organisation d’un dumping fiscal et social. Les grands groupes sont tentés de s’installer là où ils paient le moins d’argent. Il faut une orientation publique pour que l’État et les salariés participent aux choix de l’entreprise et pour garantir que les brevets, les machines, les savoir-faire ne quittent pas le pays. Quand on réindustrialise la France, ça doit être au service de la France.
Comment rendre compatible la réindustrialisation avec l’urgence de la transition écologique ?
Édouard Philippe : Une partie de nos investissements industriels sont déjà orientés vers l’écologie. Ça ne va pas assez vite, mais ils sont enclenchés. Au Havre, on a supprimé une centrale thermique, avec 200 salariés, et créé une entreprise d’éoliennes offshore qui en emploie 1 000. Les boîtes industrielles sont en train de se transformer, parce qu’il y a une contrainte législative considérable et une demande des clients.
Fabien Roussel : La première chose que je ferai, c’est de sortir du marché spéculatif européen de l’énergie. Les libéraux veulent que les marchés continuent de nous dicter les prix. Nous n’atteindrons pas nos objectifs climatiques sans investir dans la production nucléaire, mais cela doit se faire à travers une grande entreprise publique de l’énergie.
La réforme des retraites a laissé de traces. Une loi adoptée sans vote de l’Assemblée, des manifestations pacifistes réprimées, des syndicalistes convoqués à la gendarmerie…
Édouard Philippe : Je peux parler de ce que j’ai fait en 2020 et ça ne plaira pas plus. J’ai considéré que c’était une bonne réforme qu’il fallait conduire. Je le pense toujours. J’ai utilisé le 49.3 qui est, je le sais, extrêmement impopulaire. Je ne crois pas qu’il faille le supprimer. La seule vraie solution pour remettre sur pied la démocratie, c’est de remettre des idées dans le débat.
Fabien Roussel : Nous sommes pour retirer le 49.3 qui n’est pas démocratique. Le président nous a encore dit qu’il était prêt à l’utiliser pour le budget de la Sécu. Je lui ai demandé, solennellement, d’oser construire ce budget en discutant avec tout le monde, sans 49.3. Ce serait tellement meilleur pour notre démocratie. On a mis dans la tête des gens que les députés ne servent plus à rien, c’est dévastateur.
Le risque de l’extrême droite au pouvoir n’est plus une hypothèse farfelue. Quelle est la responsabilité de chacun pour éviter le pire ?
Édouard Philippe : Plusieurs fois au Havre, lors de seconds tours entre des candidats communistes et candidats FN, j’ai dit qu’il fallait battre le FN. Je ne l’ai pas fait de gaieté de cœur, mais ma pratique est très claire. La porosité, le flou idéologique font que ça dérive.
Fabien Roussel : Ce que je cherche, à la différence de l’extrême droite, c’est de ne pas reporter le changement à 2027. Je veux que ça change pour les Français tout de suite. Leur pouvoir d’achat et leur retraite, c’est maintenant. C’est pour ça que j’appelle à l’action. J’ai été très clair avec la première ministre, à qui j’ai dit : « Vous agissez sur les prix, l’essence, les salaires, les retraites, ou nous passons à l’action. » On ne se laissera pas faire. Nous appellerons à des mobilisations pacifistes, non violentes. Il ne faut pas avoir peur d’un peuple qui réclame simplement de pouvoir vivre et payer ses factures. C’est un tremblement de terre social, les Français sont écrasés sous le poids des factures. Il faut qu’ils entendent là-haut que la cocotte est en train de bouillir.
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