Le dimanche est un jour destructeur pour celles et ceux qui vivent sur le continent de la nostalgie. Ce fait est particulièrement prégnant pour les militantes et les militants communistes au soir du dernier jour de la fête de l’Huma. À cet instant, l’immense satisfaction d’avoir vécu quelques heures dans un espace chimérique et partagé des moments de fraternité avec des milliers de personnes est balayée par la triste réalité matérielle. En dépit de la fatigue, tout doit être rangé et nettoyé, avant de retourner dans un quotidien à la saveur bien terne.
Hélas, le tribut est encore plus lourd à payer cette année, la faute à quelques individus qui ont décidé de transformer cet évènement populaire en festival de la bêtise crasse, où la part belle est donnée aux propos stigmatisants, méprisants et malhonnêtes.
Beaucoup d’entre nous avaient un mauvais pressentiment avant l’ouverture de la fête. Après la polémique « Médine » (lisez mon précédent billet si vous désirez connaître mon avis sur le sujet), il ne fallait pas être grand clerc pour estimer que les dérapages risquaient d’être nombreux.
Mais, un peu candide et sans doute trop rousseauiste sur les bords, j’avais espéré que le contexte social dramatique favoriserait une concorde temporaire qui n’empêcherait en rien l’indispensable débat d’idées qui doit avoir lieu entre nous. Il en était manifestement trop pour certaines personnes, incapables de masquer le mépris qui est le leur pour les militantes et les militants communistes.
Commençons par Jean Massiet, puisqu’il faut bien le citer, animateur de l’émission politique Backseat, diffusée sur twitch et invité pour la première fois, ès-qualités, à la fête de l’Huma. Celui-ci s’est rapidement enorgueilli d’avoir obtenu la présence de Jean-Luc Mélenchon, vendredi soir à 20 h 50. Qui aurait pu lui reprocher pareille réaction ? Personne, tant la venue du septuagénaire, trois fois candidat à l’élection présidentielle, allait être synonyme d’audience et de prises de parole intempestives. Celles-ci n’ont d’ailleurs pas manqué, en particulier vis-à-vis de Fabien Roussel et des communistes, une fois encore cible des diatribes verbales de l’ancien sénateur socialiste. Durant cette émission, Jean-Luc Mélenchon a également indiqué que les insoumis ne participeraient pas une primaire dans la perspective de l’élection présidentielle de 2027, signant du même coup son nouvel acte de candidature. Soit. Ce n’est pas une surprise pour ceux qui ont l’habitude de vivre avec cet homme persuadé d’avoir un destin, prêt à sacrifier l’intérêt général pour se donner raison de penser ainsi.
Pour autant, tout comme des milliers camarades, j’aurais aimé entendre dans cette émission — le soir même ou durant les deux autres jours de fête — la réaction d’un élu communiste, et ce quel que soit sa sensibilité. Quoi de plus normal après tout ! Dans ces circonstances, inviter un élu communiste dans une fête montée de toutes pièces par des militantes et des militants communistes eût été l’expression légitime d’une politesse rudimentaire.
Il n’en fut rien. Jean Massiet, d’ordinaire si proactif sur les réseaux sociaux, a décidé d’ignorer les innombrables interpellations qu’il a reçues sur ce sujet, signe que son geste ne relevait pas d’une maladresse, mais bel et bien d’un choix assumé.
Mépris 1-0 Fraternité.
Le lendemain, Sandrine Rousseau, Ian Brossat, Olivier Faure et François Ruffin étaient à inviter à débattre au sujet de l’extrême droite. Devant un public comme toujours attentif et déterminé, la députée EELV de Paris s’est laissée aller à l’expression d’un mépris de classe que j’avais rarement entendu en ce lieu. Ainsi s’est-elle permis de résumer l’engagement des militantes et des militants communistes à l’assemblage des tentes présentes sur la fête, mettant sur le même pied l’organisation de cet évènement – regroupant plus de 400 000 personnes – et les universités d’été des différents partis de la NUPES. Conquérante, elle ajouta « nous pouvons avoir une fête de l’humanité socialiste, écologiste et insoumise quatre fois plus grande. »
Passons sur l’inculture — Sandrine Rousseau ignore manifestement l’histoire de la fête de l’Huma — et les multiples arguties prononcées durant ce débat et revenons au fond de cette déclaration. Pour Sandrine Rousseau, voici ce qu’est fondamentalement une militante ou un militant, de surcroit communiste. De la chair à canon, tout juste prompte à monter l’estrade sur laquelle elle nous fera grâce de ces interventions ou à voter dans la prochaine circonscription dans laquelle elle se fera parachuter, quitte à mépriser les militants locaux et à jouer avec les règles fixées par le code électoral. Cette vision du monde — partagée avec Aymeric Caron qui s’est insurgé que la sécurité ait repoussé un homme voulant empêcher le débat entre Édouard Philippe et Fabien Roussel — ne me surprend guère. La députée EELV est profondément libérale. Tout est individuel dans sa philosophie politique. Les entreprises collectives n’ont de sens que si elles donnent une réalité à ses propres velléités, parfois acquises sur le tard. Au fond, Sandrine Rousseau est la version féminine de Macron, avec un bracelet brésilien. La toile est teintée de vert, mais pour le social, on repassera, preuve en fut une nouvelle fois donnée samedi.
Mépris 2-0 Fraternité.
EDIT : manifestement, la nuit n’a pas été bonne conseillère pour François Ruffin, lui aussi protagoniste de ce débat. Il vient en effet de déclarer sur France Inter : « j’ai passé mon week-end à la fête de l’Huma, j’ai interrogé les communistes, ils étaient quand même plus en train de préparer des punchs que la prise du Palais d’hiver vous voyez. » Pas mal pour celui qui prétend être le parangon des classes populaires et de l’union de la gauche. Merci François, et bonne chance le jour où tu appelleras les militantes et les militants communistes à l’aide pour te soutenir dans ta course vers l’Elysée !
J’en viens maintenant aux multiples réactions insoumises intervenues après le discours de Fabien Roussel.
Lors de sa prise de parole, le secrétaire national s’est lancé dans un développement au sujet de l’incompréhension qui a cours entre le gouvernement et les classes populaires :
« Et voilà qu’aujourd’hui, ils ne savent même plus parler aux classes populaires. À tel point qu’ils en font même des conférences. Vous avez vu avec Darmanin ? Comment parler aux classes populaires ? Mais quel sketch, c’est incroyable. On dirait que pour eux, les classes populaires elles vivent dans un autre pays, elles ne parlent pas la même langue, c’est des gens à part… » (…) « J’imagine le conseiller d’un ministre faire la sortie d’une usine : “Monsieur le ministre, j’ai trouvé une classe populaire, c’est un monsieur il est habillé tout en bleu. Je vous l’amène, vous voulez un traducteur ? On va l’interroger (…) ‘Il faut s’imaginer ! Ils sont capables de faire ça ! Moi je vais vous dire un truc, nous on parle à tout le monde, à toute la nation, et s’il y a une classe qu’on connaît bien, c’est la classe du monde du travail, c’est la classe ouvrière, c’est la classe travailleuse. Et c’est classe, elle est belle, elle est grande, elle parle français et elle a beaucoup de choses à dire et à revendiquer. »
Présent sur place, je peux témoigner que les applaudissements furent nombreux, y compris de la part de ceux dont je sais qu’ils ne partagent pas la ligne majoritaire du PCF.
Quelques minutes plus tard, quel ne fut pas mon étonnement de constater que Fabien Roussel était repeint en vichyste de la première heure pour avoir dit que la classe ouvrière parlait français… En effet, des comptes influents, relayés par des cadres de la France insoumise (Manuel Bompard, Daniel Simonnet) se sont empressés de diffuser une vidéo dans laquelle la dernière phrase de l’intervention a été isolée. Chacun y est allé de sa petite sortie violente, Aurélien Saintoul en tête, habitué du genre, alors même qu’il est député dans un territoire communiste où les camarades, indépendamment de leur sensibilité, se sentent insultés à chaque fois que le secrétaire national du PCF, élu à 82 %, se fait vilipender par celui qui avait traité Olivier Dussopt d’assassin.
Il faudra attendre l’article de Libération (https://www.liberation.fr/checknews/la-classe-ouvriere-elle-parle-francais-les-propos-de-fabien-roussel-ont-ils-ete-tronques-20230917_2ARV2V3RVVHD5B4CNZWB4IZ4UA/?redirected=1) pour que le malentendu se dissipe et que certains, dans le meilleur des cas, reconnaissent leur erreur. Force est d’admettre qu’une fois encore, le mal a été rendu possible par des personnes, à très grande majorité insoumises, qui étaient tout heureuses de manger et danser à nos côtés ce week-end, profitant de notre accueil fraternel pour mieux nous tirer dessus avec des méthodes abjectes.
Mépris 3-0 Fraternité.
Je ne voudrais pas conclure ce billet non exhaustif — je n’ai pas parlé des t-shirts imprimés contre Fabien Roussel — en exonérant l’Humanité, mon journal, de ses responsabilités.
Depuis quelques mois, la rédaction s’oriente vers une ligne que l’on peut aisément qualifier d’hostile à la direction nationale du PCF. Les preuves sont nombreuses et quotidiennes et le fait que le journal ait été obligé de démentir l’information selon laquelle les journalistes affubleraient Fabien Roussel des surnoms de « Dubosc » ou « Ciotti » en dit long sur le fossé qui s’est creusé. Que le journal fondé par Jean Jaurès ne soit plus un satellite du parti ne me choque pas. Le PCF ne dispose plus de son influence d’antan et il ne sert à rien de se réfugier dans des bulles gonflées à l’anachronisme. Ce que je conteste en revanche, c’est que l’Humanité entend devenir le pendant imprimé de Mediapart, une sorte de journal de la NUPES, sans se soucier le moins du monde du mal que certains papiers font aux camarades, alors que ces derniers sont souvent les seuls lecteurs du journal et qu’ils se mobilisent chaque semaine pour vendre des numéros à la qualité incertaine. En agissant ainsi, l’Huma prête le flanc à tout le mépris qui s’est exprimé ce week-end contre les militantes et les militants.
La rédaction a ouvert les bras à ceux qui n’ont cure de l’Huma et espèrent faire de la fête la scène de leurs propres désidératas, au mépris de la logique fraternelle qui a toujours prévalu durant ces trois jours. Cette schizophrénie éditoriale commence à produire ses effets. En effet, je ne compte plus les témoignages de camarades m’indiquant qu’ils souhaitent se désabonner de l’Huma. C’est également mon cas et je dois dire que ce que j’ai vu ce week-end me rapproche encore un peu plus de l’inévitable.
Depuis Pascal, nous savons que le cœur a ses raisons que la raison ignore. Je crains toutefois que la raison me pousse à chasser l’Humanité de mon cœur. En attendant, je remercie tous les camarades qui ont tant donné – physiquement, mentalement, économiquement – pour que cette fête voit le jour.
Votre intégrité vaudra toujours plus que leur mépris.
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