Éducation: À l’ombre des JO 2024, comment le sport scolaire est laissé à l’abandon

Installations vétustes, manque d’enseignants, formation dégradée, recul de la pratique : à moins d’un an de l’ouverture des jeux Olympiques de Paris, le sport scolaire se débat pour garder sa place… que lorgne le secteur privé, avec l’appui du gouvernement.

Depuis la grande vague de construction des infrastructures scolaires des années 1970, pas grand chose n’a été fait. Plus de trois quarts des professeurs d’EPS considèrent qu’elles devraient être améliorées.
© Julie Sebadelha/ABACAPRESS

C’est comme si on avait deux réalités parallèles. Celle d’une France qui se réjouit d’accueillir, dans dix mois, les jeux Olympiques, la flamme, la clameur des stades, les cérémonies, la fraternité, les joies et les larmes… Et celle de jeunes Français qui, de l’école au lycée, tentent de faire du sport dans la grisaille de gymnases glacés et décrépits, dans des stades lointains ou des piscines au planning surchargé.

Pendant ce temps, fidèle au cliché du coq qui chante, les ergots plantés dans la fiente, le gouvernement vante les mérites de sa politique de sport scolaire à coups de slogans, « trente minutes de sport par jour » en primaire, « deux heures de sport » supplémentaires au collège… et pousse « en même temps » les pratiques sportives des jeunes vers le secteur marchand, avec ce que cela implique d’inégalités.

1200 postes de professeurs de sport perdus depuis 2017

Ce double discours peut faire illusion quelque temps pour qui suit le sujet d’un peu loin, mais pas auprès des professionnels que sont les professeurs d’EPS (éducation physique et sportive). Leur syndicat, le Snep-FSU, les a interrogés, dans une enquête dont il a rendu les résultats publics la veille de la Journée nationale du sport scolaire, ce mercredi 20 septembre.

Et ils sont éloquents : ils sont en effet 9 professeurs sur 10 à juger que la place de leur discipline à l’école s’est dégradée depuis 2017 et 82 % à estimer que la tenue des jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) en 2024 n’y changera rien. « Dans l’architecture du sport français, déplore Benoît Hubert, cosecrétaire général du Snep-FSU, l’EPS devrait être la base pour démocratiser la pratique, renforcer la pyramide dont le haut niveau est le sommet. Mais, depuis 2017, le bilan est lourd : nous avons perdu 1 200 emplois, si bien qu’en cette rentrée, nous avions 2 600 heures de cours par semaine qui ne pouvaient être assurées, faute d’enseignants. »

Sur la même période, le nombre de personnels contractuels en EPS a augmenté de… 152 %. « En lycée professionnel, complète le syndicaliste, nous avons subi une baisse du volume horaire hebdomadaire, et cela risque d’être encore pire avec la réforme, qui projette de renforcer les périodes de stages. »

Quant aux programmes vantés par le gouvernement, pour les professeurs d’EPS, ils n’apportent rien… quand ils n’aggravent pas la situation. « Les fameuses trente minutes d’activité physique par jour en primaire, reprend Benoît Hubert, ce n’est pas du sport. La formation des professeurs des écoles en EPS a été fortement dégradée : dans certains Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation), elle n’est plus que de vingt heures ! Les collègues ne se sentent pas “armés” pour le sport. »

L’autre facteur de recul de la pratique sportive en primaire, c’est la pression mise sur les « fondamentaux », français et maths : « Quand on a fait ces trente minutes de “gigotage”, on estime que ça suffit, et qu’il vaut mieux travailler les fondamentaux », déplore Benoît Hubert. Il est vrai que, depuis le passage de Jean-Michel Blanquer Rue de Grenelle, on ne doit plus parler d’EPS, ni de sport scolaire, mais seulement de « sport à l’école » – ce qui permet, grince le syndicaliste, « de faire beaucoup de bla-bla et d’affichage sans rien de sérieux derrière ».

Un recul de la place des filles dans le sport scolaire

Même musique au collège avec les « deux heures de sport supplémentaires » qui doivent être proposées aux élèves en difficulté dans ce domaine, mais confiées à des intervenants extérieurs, venus de clubs et associations. La disparité du maillage associatif étant ce qu’elle est, cette disposition induit une grande inégalité entre les élèves de milieu rural et les autres. Et puis, note Benoît Hubert, « un animateur de club, ce n’est pas un professeur d’EPS. Même s’il est de bonne volonté, il n’a pas l’habitude de travailler avec ce genre de public ».

Dernier étage de la fusée du sport scolaire, le lycée subit, lui aussi, le contrecoup de la politique de gribouille menée ces dernières années. La réforme du bac, avec ses emplois du temps impossibles à élaborer du fait de la multiplication des spécialités, a eu pour conséquence d’empiéter très lourdement sur les mercredis après-midi, traditionnellement réservés au sport. L’activité des associations sportives des établissements s’en trouve très affectée.

Et, comme pour les matières scientifiques, un recul de la présence des filles se dessine. Une tendance que le Snep perçoit dans les étapes suivantes : « Dans les filières Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) à l’université, comme dans les candidatures aux concours, révèle Benoît Hubert, on note un recul des inscriptions féminines, tombées à environ 40 %. Alors que les filles sont plutôt meilleures que les garçons ! »

L’autre gros point noir du sport scolaire, ce sont les installations. Depuis la grande vague de construction des années 1970, pas grand chose a été fait, et nombre des gymnases dans lesquels s’exercent les élèves datent encore de cette époque. La situation est pire pour les piscines, nombre d’entre elles ayant été fermées par des collectivités territoriales, surtout dans les petites villes qui ne trouvent plus les moyens de les entretenir.

Quant au plan gouvernemental de 5 000 équipements nouveaux, il concerne essentiellement des « city stades » et autres plateaux urbains, qui ne conviennent pas aux pratiques scolaires ou de club. Dans l’enquête du Snep-FSU, plus des trois quarts (76 %) des professeurs d’EPS jugent que les installations sur lesquelles ils travaillent ont besoin d’être améliorées.

Autre conséquence de la raréfaction de ces dernières : dans 30 % des établissements, les élèves perdent au moins vingt minutes par semaine en déplacements pour les atteindre. « Les Jeux auraient dû permettre un grand rattrapage dans ce domaine, regrette Benoît Hubert. Mais nous sommes à moins d’un an, il est déjà trop tard. »

Coup de pied de l’âne, en pleine année olympique : le gouvernement a ressorti des oubliettes le « coupon sport », créé en 1998 par Marie-George Buffet. Rebaptisé Pass’Sport, il propose une aide de 50 euros pour s’inscrire à une activité sportive. Mais, en voyant son champ d’action étendu aux structures privées, il n’est plus une aide au milieu associatif mais une subvention déguisée aux entreprises du secteur. JOP ou pas, le sport scolaire, lui, va devoir continuer sa course d’obstacles.


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