À l’étranger comme en France, le droit à l’IVG fait l’objet d’attaques de plus en plus vives de la part de militants identitaires ou de responsables politiques d’extrême droite. À l’occasion de la Journée mondiale pour ce droit, visite au Planning familial de Bordeaux.
Bordeaux (Gironde), envoyée spéciale
Le Planning familial de Bordeaux aurait préféré souffler tranquillement ses bougies pour fêter ses 60 ans. Mais l’année a mal commencé. Comme dans plusieurs antennes à Lyon, Lille (Nord) ou Angers (Maine-et-Loire), les locaux girondins ont dû faire face à la haine de personnes qui n’acceptent pas qu’une femme puisse choisir d’avorter plutôt que de donner naissance. Son corps, leur choix. Située dans une rue calme près de la gare, la devanture du siège bordelais a été taguée par trois fois en février. Une action revendiquée et signée par le groupe d’extrême droite, Action directe identitaire. « La récurrence de ces attaques est nouvelle dans la région, alerte Myrtille Bondu de Gryse, coprésidente du Planning familial 33. On constate, en parallèle de la dédiabolisation actuelle de l’extrême droite, une façon de plus en plus décomplexée d’occuper la place sur notre territoire. Par le passé, on s’est déjà fait salir la devanture de façon plus trash ou sanglante. Mais là, la régularité de l’action, l’assise politique qu’il y a derrière nous font redoubler de vigilance. »
Pas de quoi freiner pour autant les préparations de la Journée mondiale du droit à l’avortement, qui ouvrira à Bordeaux un mois de célébrations en l’honneur de ce Planning familial historique. Ses dix salariés et l’équipe d’une quarantaine de bénévoles y accueilleront, ce jeudi, Bérangère Couillard, la ministre déléguée à l’Égalité entre les femmes et les hommes, venue fêter leurs soixante années d’action sur l’éducation à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à l’égalité, à la défense des minorités de genre et contre toutes les discriminations.
Chaque année, 47 000 personnes décèdent lors d’avortements clandestins
En attendant, tout le week-end, militants et militantes se sont affairés à confectionner des pancartes. Dans la salle de réunion, un carton déborde de cintres. Un objet chargé de cauchemars, lourd de tant de grossesses dangereusement stoppées quand l’interruption volontaire était alors illégale. Un moyen comme d’autres, violents et dangereux, qui provoque chaque année la mort de 47 000 personnes lors d’avortements clandestins. Sur une dizaine de tables s’étale aussi une immense banderole appelant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Un combat remis au goût du jour depuis que la Cour suprême américaine a renoncé à garantir ce droit dans tout le pays, entraînant une cascade d’interdictions dans différents États. Comme en Pologne. Et bientôt peut-être en Italie, en Espagne…
Le contexte international inquiète et réveille les spectres en France. À Bordeaux, au même moment que le Planning familial, d’autres associations défendant les droits humains ont aussi subi des dégradations, une permanence d’un élu FI a été vandalisée, une mosquée aussi… Lors de la Pride de juin 2022, alors que les communautés LGBTQI + défilaient sur les quais, un groupuscule d’une dizaine d’individus a escaladé la Maison écocitoyenne, lançant des projectiles sur les manifestants tout en effectuant le salut nazi. Libérées rapidement de leur garde à vue, sept personnes étaient convoquées un an plus tard au tribunal correctionnel, obtenant pour la moitié d’entre elles de légères condamnations. Les autres ont été relaxées.
« À Bordeaux, avant, ce genre d’événement ne dégénérait jamais, reprend Myrtille Bondu de Gryse. Mais pour la Pride 2023, nous avons dû déployer un dispositif de sécurité conséquent. » Au lendemain des attaques, le Planning familial 33 a appelé à un rassemblement de soutien qui lui a permis d’identifier des collectifs jusqu’ici invisibles, victimes aussi des agressions de l’extrême droite. Une coopération plus large a pu s’organiser au-delà des alliés traditionnels constitués par la LDH, SOS Racisme ou le Girofard, l’association tête de réseau qui défend les droits LGBT en Gironde. « En réponse à ces attaques-là, c’est important d’affirmer : ”Plus vous nous attaquez, plus nous nous rapprochons et nous renforçons, plus nous resserrons nos rangs.” Il faut montrer la convergence des luttes dans notre réponse à l’extrême droite. »
L’extrême droite guette
C’est cette même tactique qui a été mise en place à Lyon, où l’extrême droite est encore plus traditionnellement enracinée. Les groupuscules peuvent changer de nom au gré des interdictions, mais se retrouvent systématiquement dans la salle de boxe ou le même bar du Vieux-Lyon. Leurs attaques en marge des matchs de foot ou des manifestations sont connues. Mais, en 2021, pour la première fois, une trentaine d’individus munis de barres de fer sont intervenus lors de la Journée de la visibilité lesbienne, où 300 femmes et enfants s’étaient tranquillement retrouvés, un samedi après-midi. Les organisatrices ne seront plus prises au dépourvu.
Une nouvelle forme d’activisme moins frontal, plus pervers, s’est aussi révélée : l’appropriation par des femmes d’extrême droite des codes et des éléments de langage féministes qui désarçonnent les militantes attaquées. Le collectif Némésis joue les victimes en ligne lorsque ses militantes, prétendant agir « au nom des femmes », sont exclues des manifestations pour leurs actions racistes et islamophobes. « Il y a de la place pour les féministes dans la lutte antifasciste, argumente Jeanne Ravaute, militante du Planning familial 69. Et il faut déviriliser tout ça. Avec le collectif Droits des femmes 69, nous avons suivi des formations en non-mixité pour notre service d’ordre. C’est important de travailler sur ce qu’est une autodéfense féministe. »
À Bordeaux, le Planning est resté ferme face au Rassemblement national, qui tentait de l’instrumentaliser. « L’ex-ministre à l’Égalité a organisé un déplacement ici après les tags identitaires, raconte Myrtille Bondu de Gryse. La députée RN Edwige Diaz a voulu s’y joindre en tant qu’élue de la République invitée à accompagner la délégation ministérielle. Nous nous sommes opposés à sa venue. La veille, nous avions organisé un large rassemblement pour dénoncer collectivement les messages de haine de l’extrême droite. Nous n’allions pas prendre le thé le lendemain avec l’extrême droite dans nos locaux. Les recevoir, c’est les cautionner, donc leur permettre d’accéder au pouvoir. »
« Il y a une bataille décomplexée contre l’avortement au Parlement européen. Le RN, là-bas, ne se cache pas. »
Manon Aubry, députée européenne
Face aux attaques ciblées sur Internet dont les associations féministes et le Planning font souvent les frais, la veille s’organise aussi sur les réseaux sociaux. Pour la politiste Magali Della Sudda, « les réseaux sociaux sont une grande force utilisée par la droite radicale pour connecter la stratégie locale au réseau transnational et international. Un réseau qui s’est formé depuis vingt ans grâce aux études Erasmus ».
Invitée par le Planning familial national à la Fête de l’Humanité, la députée européenne Manon Aubry confirmait un lobbying omniprésent : « Il y a une bataille décomplexée contre l’avortement au Parlement européen. Le RN, là-bas, ne se cache pas. Nous, parlementaires, avons reçu des fœtus en plastique d’associations antichoix, c’est particulièrement scandaleux ! Des événements anti-IVG sont organisés et financés par des associations catholiques conservatrices. Quand nous avons manifesté notre opposition par une haie du déshonneur en brandissant des cintres, nous avons été rappelés à l’ordre par la présidente du Parlement qui est maltaise et anti-IVG. En 2023, le droit à l’avortement n’est plus une évidence. »
Or, comme le souligne Marie-Liesse Montes, directrice du Planning familial 33, « il faut en finir avec le stéréotype de la jeune écervelée qui a recours à l’IVG. Les deux tiers des femmes qui ont pratiqué un avortement utilisaient un moyen contraceptif. L’IVG est un acte de soin, il fait partie de la vie courante des femmes. Un tiers d’entre elles vont avorter dans leur vie ». Leur choix est un droit.
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