Syndicats : pourquoi un rapprochement entre la CGT et la FSU ?

Avec une méthode et un calendrier de travail en commun établis, les deux centrales ont engagé un processus qui ne fait que commencer et qui pourrait s’élargir.

Le 25 août 2023, à Bobigny, lors de l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités, Murielle Guilbert et Benoit Teste (FSU) et Sophie Binet (CGT)
Arnaud Cesar VILETTE

 

Va-t-on vers un rassemblement d’une partie du syndicalisme français ? Alors que, depuis la Libération, le champ syndical a tendance à se fractionner, la CGT et la FSU ont engagé un processus de rapprochement. « Comme l’écrivait Karl Marx, l’unique puissance sociale du côté des ouvriers est leur masse. Cependant, la puissance de la masse est brisée par la désunion », résume Thomas Vacheron, secrétaire confédéral CGT qui pilote pour la centrale le groupe de travail.

Depuis le 10 juillet, la CGT et la FSU ont multiplié les rencontres. « La FSU entame un travail pour construire un nouvel outil syndical sans exclusive », dont les contours précis restent à définir, insiste Benoît Teste, son secrétaire général. « Une fusion ? Un outil syndical pérenne, mais qui maintient l’existence de nos organisations ? À ce stade, nous ne voulons rien acter, pour ne pas paralyser notre démarche », poursuit le dirigeant.

Dans cette optique, le sociologue Laurent Frajerman note « le besoin objectif de rapprochement dans le syndicalisme », dont les nuances au sein des différents blocs « ne sont pas identifiables » par les salariés. Une démarche qui viserait selon lui « à compenser les reculs de la CGT, passée seconde centrale syndicale », tout en donnant du poids à la FSU « qui n’est pas reconnue au plan interprofessionnel, la privant de leviers d’action ».

Construire un « syndicalisme de transformation sociale à vocation majoritaire »

C’est l’objectif partagé par la CGT et la FSU dans leur texte de congrès. Ainsi, dans le document d’orientation confédéral de mars 2023, la CGT vise une « unification respectueuse du fédéralisme », nécessitant « un travail commun et démocratique avec les organisations syndicales qui souhaitent en finir avec l’éparpillement syndical ». Quant à la FSU, le congrès de février 2022 lui confère le mandat de « réunir le syndicalisme de transformation sociale », en créant « les conditions d’une reconstruction et d’une refondation du syndicalisme ».

« La CGT et la FSU ont dans leurs fondamentaux la double besogne syndicale : la défense des conditions de travail des salariés, mais aussi la transformation en profondeur de la société, mesure Benoît Teste. Ce syndicalisme de transformation sociale doit impérativement travailler sa vocation majoritaire. Parfois, nos organisations peuvent se draper dans leurs vertus, seules contre tous, sans que les salariés nous suivent. Sans mobilisation majoritaire, le syndicalisme est improductif. »

De son côté, Thomas Vacheron justifie la démarche par l’application de la réforme des retraites : « Ce qui nous a empêchés de gagner, c’est la construction de la grève dans les lieux de travail. Or, pour généraliser les grèves, comme nous avons voulu le faire le 7 mars, il faut qu’elles aient lieu. Nos organisations syndicales doivent être encore mieux implantées dans les entreprises et les services. »

En 2009, un processus avait été engagé par Bernard Thibault (CGT) et Gérard Aschieri (FSU), sans succès. « Les discussions dans nos organisations respectives n’ont sans doute pas été assez poussées. À la CGT, la Fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture (Ferc) était jusqu’alors opposée à la démarche. Le changement de position de la Ferc, qui participe aux réunions de travail, est un point d’appui important », reconnaît Thomas Vacheron. Pour Benoît Teste, « ce processus ne vient pas concurrencer l’intersyndicale, qui a fait preuve de son utilité, nous ne voulons pas rejouer le camp de la radicalité syndicale contre un camp prétendument réformiste ».

Un calendrier et une méthodologie de travail commun

Le 14 novembre, ces deux organisations se sont arrêtées sur une feuille de route, dont l’application sera confiée à des groupes de travail dans les directions respectives. « La méthode est sérieuse, incluant les premiers responsables de nos organisations dans les groupes de travail. Nous établissons systématiquement des comptes rendus, sans éviter les questions épineuses. Nos discussions doivent être transposables envers les militants et les salariés », mesure le secrétaire général de la FSU. Selon le sociologue Laurent Frajerman, « ce plan de travail dégage un objectif et une méthode. La démarche politique est réfléchie ».

Ainsi, la CGT et la FSU se sont accordées pour « systématiser la préparation commune des instances paritaires, les déclarations préalables et les amendements portés dans les instances de concertation ». Pour Thomas Vacheron, « l’enjeu est de mieux peser dans les trois fonctions publiques. Cela demande un travail en commun, en commençant par des sujets comme les rémunérations ». Pour ce faire, la CGT et la FSU ne partent pas d’une feuille blanche.

Le secrétaire confédéral cégétiste rappelle qu’elles « produisent déjà un travail conséquent dans de nombreux départements urbains (Seine-Saint-Denis, Haute-Garonne, Rhône), comme ruraux (Aude, Aveyron, Pyrénées-Orientales). Les problèmes d’accès au service public y sont une réalité pour les citoyens qui impacte les conditions de travail des agents. Les intérêts y sont déjà confédéralisés ».

La CGT et la FSU ont également listé des travaux thématiques, notamment sur l’égalité femmes-hommes, la pratique syndicale, la montée de l’extrême droite ou encore les élections professionnelles. « Ces thématiques seront approfondies par des groupes de travail en commun, avant un retour dans les organisations respectives pour une évaluation », précise Thomas Vacheron.

Et elles ont établi un calendrier commun : l’année 2024 sera consacrée à la bataille sur l’inflation, tout en associant les structures des deux centrales dans la démarche de rassemblement. Ces travaux se poursuivront en 2025, avec un point d’étape au congrès de la FSU et, en 2026, lors du congrès de la CGT et des élections dans la fonction publique. Un bilan sera dressé en 2027. « Cette séquence électorale sera un moment de vérité. En cas de victoire de l’extrême droite, nous devons être prêts », insiste Benoît Teste.

Quel contour pour ce rassemblement ?

Le 10 septembre 2022, à la Fête de l’Humanité, une table ronde sur la « recomposition » unitaire du syndicalisme avait réuni Simon Duteil et Murielle Guilbert (Solidaires), Philippe Martinez (CGT) et Benoît Teste (FSU). Plus d’un an plus tard, Solidaires n’est pas partie prenante de ce cheminement entre la CGT et la FSU.

« Lors de son dernier congrès, Solidaires a rejeté la possibilité de la réunification intersyndicale à la base. Voyons si Solidaires change de position, notre démarche n’est pas exclusive et pourra s’élargir à d’autres, note Thomas Vacheron. Si la CGT vise à abolir l’exploitation, nous voulons au quotidien arracher des victoires concrètes pour les salariés. La possibilité de travailler en commun, immédiatement, est avant tout posée. » De son côté, Benoît Teste, prévient : « Nous nous réjouissons de la main tendue par la CGT. Mais la FSU a un mandat pour discuter avec d’autres forces, dont Solidaires. »

Des cultures syndicales disparates

La CGT et la FSU devront apprendre à se connaître. La première, comptant plus de 600 000 syndiqués, est la centrale historique du mouvement ouvrier, créée en 1895 et structurée lors du regroupement des fédérations professionnelles et des bourses du travail en 1902.

La seconde (150 000 adhérents) est implantée dans la fonction publique ; 80 % de ses syndiqués travaillent dans l’éducation nationale où la CGT est historiquement peu implantée. « Dans ce rassemblement, la FSU peut avoir un apport sur l’identité professionnelle et dans sa faculté à parler aux cadres, mesure Laurent Frajerman. La CGT a pour force de faire cohabiter des cultures professionnelles diverses, dont celle des fonctionnaires.  »

Surtout, là où le fonctionnement de la CGT est marqué par une souveraineté des fédérations et un rôle central du Comité confédéral national (CCN), la FSU fait vivre en son sein différentes tendances, en prenant ses décisions grâce à une majorité qualifiée de 70 %. Thomas Vacheron et Benoît Teste s’accordent sur le besoin central de démocratie dans leur démarche.

 


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