Maladresse, erreur, bévue, boulette, mépris, la nouvelle ministre de l’Éducation a réussi le tour de force de se mettre une très grande partie de la communauté éducative à dos dès sa première intervention. Mais doit-on vraiment parler de maladresse ? Ses propos ne révèlent-ils pas un changement de paradigme en cours depuis 2017 et la nomination de Jean-Michel Blanquer dont les enfants étaient également scolarisés dans le privé ?
Jusqu’ici, y compris les défenseurs de l’école privée, quand ils étaient au pouvoir, considéraient l’enseignement privé comme un enseignement dans lequel des familles pouvaient inscrire leur enfant au nom de la liberté de choix ; c’était le résultat d’un rapport de force dans la société ou une partie de la bourgeoisie a toujours considéré qu’elle pouvait choisir la nature des enseignements, de l’éducation que devait recevoir leur enfant.
Mais l’école publique restait malgré cela l’école de la République, la seule dont un ministre de l’Éducation nationale devait véritablement s’occuper. La tâche du ministère envers le privé sous contrat consistait à vérifier que justement ce contrat était bien respecté par les établissements.
Ce que dit la ministre est d’une autre nature. Elle considère visiblement, et le Président de la République l’a clairement énoncé lors de son intervention télévisée, que l’école publique et l’enseignement privé sous contrat sont les deux revers de la même médaille et font partie au même titre du système éducatif et républicain, qui au passage ferme les yeux sur les manquements criants à la laïcité concernant l’enseignement privé tout comme l’absence de mixité sociale.
Le public étant ainsi directement mis en concurrence avec le privé, les deux seraient ainsi complémentaires… Complémentaires dans un projet politique néolibéral, celui de l’instauration d’une école à deux vitesses, une école a minima pour les catégories populaires, laminée par la baisse de la dépense publique depuis plus de 15 ans, ayant vu les heures d’enseignements réduites pour les élèves au point qu’ils perdent entre une et deux années scolaires de temps d’enseignement sur toute leur scolarité. Sans compter les heures non remplacées dont les premières victimes sont les élèves des quartiers populaires. Une école du tri, de la ségrégation, du séparatisme social.
De fait, pour madame Oudea-Castera l’école publique n’est pas l’école qu’il faut à ses enfants. Elle entendait ainsi s’adresser aux parents qui, voulant le meilleur pour leurs enfants, choisissent l’enseignement privé sous contrat au lieu de l’établissement de secteur.
La première raison du choix du privé aujourd’hui, c’est d’abord les conditions dégradées d’enseignement que l’on trouve dans le public du fait de politiques de baisse de la dépense publique en matière d’éducation. Les causes sont donc directement liées à la politique du gouvernement et de la majorité dont elle fait partie et qui est au pouvoir depuis 2017.
Elles sont même plus anciennes, puisqu’en 15 ans les élèves ont perdu l’équivalent d’au moins une année scolaire, quand la dépense de l’État passait de 7,5 % du PIB à un peu plus de 6 % dans un moment où l’école accueillait les enfants du baby-boom de l’an 2000 et qui se sont vu imposer une gare de triage avec Parcoursup quand ils ont été en âge d’accéder à l’enseignement supérieur.
Les enseignants lui demandent des excuses publiques, mais ils appellent surtout de leurs vœux un véritable changement de politique, une ambition nouvelle en matière d’éducation. Peut-elle rester ministre dans ce contexte ? La question se pose.
Sébastien Laborde
Article publié dans CommunisteS n°980, le 24 janvier 2024.
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