Après sa déclaration de politique générale, Attal attise la colère des agriculteurs

Tous les syndicats ont annoncé la poursuite et l’intensification de leurs actions, chacun de leur côté, jusqu’à au moins jeudi. Les cinq minutes réservées par le premier ministre au malaise paysan dans son discours de politique générale ont été prises comme un camouflet par les agriculteurs.

Les agriculteurs français écoutent Gabriel Attal prononcer la déclaration de politique générale de son gouvernement à l’Assemblée nationale, alors qu’ils participent à un barrage routier sur l’autoroute A6 près de Lisses, au sud de Paris, le 29 janvier 2024.
© JULIEN DE ROSA / AFP

Est-ce un malentendu, une bourde ou l’aveu qu’il n’y a plus rien à attendre du gouvernement ? Quinze jours après le début des mobilisations du monde paysan, les participants aux blocages autour de Paris, de Lyon et d’autres grandes agglomérations avaient coché ce mardi après-midi, et le discours de présentation de politique générale de Gabriel Attal à l’Assemblée nationale, comme un possible moment de nouvelles annonces censées répondre à la crise du modèle agricole. La porte-parole du gouvernement l’avait laissé entendre la veille. C’est peu dire que le moment fut déceptif.

« On n’entendait rien, tellement il parlait vite. Son énumération de mesures est passée en quelques secondes. Et quand il ralentissait, c’était pour dire des banalités », souffle Sylvie Colas, secrétaire nationale de la Confédération paysanne, qui se trouvait sous les ors parlementaires.

Pour le troisième syndicat représentatif, l’absence de mesures assurant aux agriculteurs de ne pas travailler à perte conforte les mobilisations, points de blocage sur les grands accès comme devant les centrales logistiques de la grande distribution, où transitent 90 % de l’alimentation en France.

Des mesures déjà annoncées

D’autant que plusieurs des mesurettes énoncées par Gabriel Attal avaient déjà été annoncées vendredi. Comme le renforcement des contrôles sur les contrats commerciaux signés entre la grande distribution et ses fournisseurs dans le cadre des lois Egalim. Ou l’action que se fait fort de mener Emmanuel Macron lors du Conseil européen de jeudi et vendredi au sujet des traités de libre-échange, des importations ukrainiennes ou de l’obligation des 4 % de terres en jachère par exploitation.

Quant aux déblocages d’avances de trésorerie dans les quinze prochains jours, elles ne sont que des rattrapages du scandaleux non-versement des aides de la PAC, à l’installation, ou liées aux tempêtes (Bretagne), à la maladie hémorragique épizootique (MHE) ou la fièvre porcine.

« il a fait le discours qu’il avait prévu de faire avant que la crise n’éclate, mais il nous a intégrés pour le geste. Le résultat est forcément creux »

Nicolas Girardot, agriculteur dans les Ardennes et adhérent à la FNSEA, sur le barrage de l’autoroute A15

« Les coupes des dernières années dans les effectifs de fonctionnaires font que les administrations ne sont plus en mesure de mettre en pratique les annonces du gouvernement, explique Sylvie Colas. À chaque tempête, sécheresse, ou maladie animale, le ministère parle de mettre en place un système indemnitaire. Les services doivent alors à chaque fois embaucher et former des vacataires, le temps de mettre en place le portail, puisque tout est dématérialisé. Les aides sont versées avec six mois de retard. »

Sur les barrages autour de Paris tenus par la FNSEA et les Jeunes agriculteurs, le discours de Gabriel Attal a été accueilli avec désintérêt. Sous le barnum installé par la FDSEA et la JA à même le bitume de l’autoroute A15, à hauteur d’Argenteuil, Nicolas Girardot, agriculteur dans les Ardennes et adhérent à la FNSEA arrivé « en renfort » ce mardi matin, fait la moue. « Au fond, on se doutait bien que l’on n’allait pas entendre un discours de politique agricole, analyse-t-il. En fait, il a fait le discours qu’il avait prévu de faire avant que la crise n’éclate, mais il nous a intégrés pour le geste. Le résultat est forcément creux. »

« Gabriel Attal fait du bricolage »

Pour préparer son grand oral, le premier ministre avait pourtant passé la veille trois heures et demie en face-à-face avec les représentants des deux syndicats majoritaires. « Tout ce qu’a voulu faire Attal, c’est calmer nos nerfs, croit savoir Yoann, 41 ans, céréalier ardennais et bloqueur de l’A15. Sauf qu’aujourd’hui, on est tous déterminés à aller au bout. On ne peut plus exercer dans les conditions actuelles. On consacre de moins en moins de temps au vivant, et de plus en plus à notre bureau pour justifier notre activité. Ce ne sont pas de belles paroles vides qui changeront ça ».

Un peu plus loin, Ludovic Allart, 43 ans, observe les oignons finement coupés pour le repas du soir avec un air dubitatif. La faute au ministre, pas aux bulbes. « On n’en attendait rien, on n’est pas déçus. Mais je reste quand même sur ma faim, sourit-il. J’attends davantage de la visite de Macron demain à Bruxelles (où le président a prévu de rencontrer Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne – NDLR). C’est là-bas que ça va se décider pour nos préoccupations principales : le libre-échange, les jachères, la volaille ukrainienne… On sera peut-être un peu plus avancé ».

Vendredi, pour ses premières annonces, le chef du gouvernement avait affirmé « mettre l’agriculture au-dessus de tout. (…) Aujourd’hui, c’est un jour du sursaut, un nouveau chapitre qu’il faut ouvrir pour l’agriculture française ». Son deuxième chapitre fait flop et il continue le tour de force de liguer contre lui des syndicats aux préconisations diamétralement opposées.

Il n’a pourtant pas manqué de lyrisme : « Notre agriculture est notre force, et notre fierté aussi. Alors je le dis ici solennellement : il doit y avoir une exception agricole française. » Là encore, le concept est creux. Il aurait pourtant pu y mettre du contenu en reprenant à son compte l’appel des associations d’élus des collectivités territoriales, lancé il y a un an « Pour une exception alimentaire et agricole », visant à faire de la commande publique un « levier d’action » pour un « ancrage territorial des achats alimentaires ».

« Gabriel Attal fait du bricolage en empilant les mesurettes, mais il nous manque le fond. Il n’y a rien, dans ce qu’il a dit, de nature à opérer le changement de politique agricole dont nous avons besoin pour atteindre la souveraineté alimentaire et répondre aux défis du réchauffement », synthétise Pierre Thomas, président du Mouvement de défense des exploitants familiaux.

« C’est une bonne chose d’accélérer les versements des aides de la PAC, mais cela permettra seulement aux agriculteurs de payer une facture ou deux plus vite, grâce à cet afflux de trésorerie. Rien de plus. Les agriculteurs expriment une chose simple : ils ne peuvent pas vivre de leur boulot. Gabriel Attal ne l’entend pas. »

 

 


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