Pré-recrutement à bac + 3 mais reprise en mains des contenus et crainte pour la qualité des savoirs : la réforme de la formation initiale des enseignants, dévoilée le 4 avril par le président de la République, suscite plus d’inquiétudes que d’espoirs.
Les « écoles normales du XXIe siècle » sont… en marche. L’expression est parfaitement appropriée puisque, tout en cherchant une réponse à la crise d’attractivité des métiers enseignants, les annonces sur la réforme de la formation initiale des professeurs, faites le 4 avril par Emmanuel Macron lui-même, sont vertement critiquées comme témoignant d’une volonté de reprise en main de la profession par le pouvoir politique.
Pour faire simple, le principe est celui de concours de recrutement après la licence (bac + 3), et non plus après le master (bac + 5), comme c’est le cas depuis 2011. Objectif : élargir le vivier des candidats potentiels, forcément plus large à ce niveau, tout le monde n’ayant pas les moyens de financer de longues études. Les lauréats entameraient ensuite deux années de formation en ENSP (Écoles normales supérieures du professorat), les fameuses « écoles normales du XXIe siècle », se concluant par l’obtention d’un master.
La première de ces deux années comporterait un tiers de stages d’observation, la deuxième se ferait à mi-temps en responsabilité devant une classe. La seule différence à ce stade entre les futurs professeurs des écoles et ceux des collèges et lycées résiderait dans le fait que ces derniers passeraient par une licence disciplinaire, tandis que leurs collègues de primaire suivraient des « licences préparatoires au professorat des écoles » (LPPE), pluridisciplinaires et plutôt axées sur les savoirs dits « fondamentaux ».
Une rémunération sous le seuil de pauvreté
Précision importante : ces deux années seraient rémunérées. 900 euros par mois pour la première, si l’on en croit la ministre de l’Éducation, Nicole Belloubet, et 1800 euros par mois pour la seconde. Cela en échange d’un engagement à servir l’État dont la durée n’est pour l’heure pas précisée. Ce que l’on peut observer en revanche, c’est que les 900 euros mensuels promis pour la première année sont inférieurs au seuil de pauvreté (1158 euros par mois) : pour l’attractivité, ce n’est pas gagné…
À ce « détail » près, qui n’en est surtout pas un puisqu’il donne une indication de l’engagement financier du gouvernement dans sa propre réforme, le projet pourrait sembler intéressant. Comment dès lors comprendre la véritable levée de boucliers qu’il a suscitée, tant chez les principaux syndicats enseignants que dans le milieu universitaire ? C’est que le diable se niche, précisément, dans les détails.
Absence de concertation et calendrier à marche forcée sont les premiers griefs. Syndicats et universités – ces dernières organisant aujourd’hui, à travers leurs composantes que sont les Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation), la formation des enseignants – ont été tenus à l’écart du travail préparatoire et se sont vus présenter un projet déjà ficelé.
La mise en œuvre est prévue dès la rentrée 2025, ce qui impliquerait de modifier dès la rentrée 2024 le cursus des étudiants en 3e année de licence, alors que les attendus de la nouvelle formation ne seront pas connus avant mai : intenable, jugent les syndicats d’enseignants-chercheurs.
« On cherche à faire des enseignant des exécutants »
Mais ceux-ci craignent avant tout, écrit le Snesup-FSU, une « maltraitance institutionnelle », tandis que la CGT-Ferc annonce « un plan social d’envergure dans les Inspé ». Car les ENSP sortiraient du giron universitaire : leurs directeurs seraient des inspecteurs nommés par les ministères de l’Éducation nationale et de la Recherche, formateurs choisis par les rectorats et dont il n’est écrit nulle part qu’ils devraient être des enseignants-chercheurs – au contraire même, puisqu’il pourrait s’agir d’agrégés ou de professeurs des écoles « expérimentés ».
L’enjeu est double : d’abord la qualité et l’ambition de ces formations, et ensuite la mainmise directe du gouvernement sur leurs contenus, qui relèvent aujourd’hui de la liberté pédagogique. Sur le site du « Café pédagogique », la porte-parole du Snuipp-FSU, Guislaine David, y voit le risque que l’on « cherche à faire des enseignant des exécutants, et non plus des concepteurs de leur enseignement ».
Alors que pour faire face à un public toujours plus hétérogène et éloigné de l’école, reprend-elle, « il faut des enseignants qui soient en mesure de répondre aux difficultés des élèves ». Les éloigner de la recherche en éducation au cours de leur formation initiale constitue en effet un très mauvais signal dans ce domaine. Mais tout à fait cohérent, hélas, avec « l’école du futur » selon Macron et le « choc des savoirs », qui retirent à l’école toute ambition émancipatrice pour en faire une machine à tri social. Pour y parvenir, il faut de futurs enseignants dociles plutôt que bien formés et autonomes.
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