Les agences de notation n’ont pas dégradé la note de la France vendredi dernier. Du coup, le Premier ministre est intervenu le lendemain, lors d’un déplacement dans le département de la Manche, pour annoncer quelques petites mesures en faveur des paysans en grande difficulté. Mais aucune ne vise à favoriser une juste rémunération du travail des agriculteurs.
Le Premier ministre promet pour le début de mois de mai un plan éco-phytosanitaire de réduction des pesticides. Lors de son déplacement dans la Manche, il a promis une somme globale de 100 millions d’euros pour apporter une aide ponctuelle à des paysans en grande difficulté, un possible dégrèvement de la taxe foncière en cas de sinistre climatique ou sanitaire. Le gouvernement prévoit aussi un plan spécifique doté de 50 millions d’euros pour venir en aide à des exploitants victimes de la sécheresse ou du gel. Enfin, les pensions de retraite seront calculées sur les 25 meilleures années de cotisation à partir de 2026.
A propos de cette dernière annonce, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau , a cru devoir déclarer : « on aura fait ce qui n’a jamais été fait depuis 40 ans » . Ce futur passage du calcul de la pension sur les 25 meilleures années de la carrière professionnelle appelle au moins deux précisions. En 1993, le Premier ministre Edouard Balladur, nommé à ce poste par le président Mitterrand, fit voter par sa majorité de droite, le passage aux 25 meilleures années pour calculer la pension de base des retraités du secteur privé. Mais c’était pour diminuer les pensions puisque le calcul précédent s’effectuait sur les 10 meilleures années. Pour les chefs d’exploitation agricole, il est question de passer de la carrière complète actuellement aux 25 meilleures années en 2026. Il reste à voir quel sera le pourcentage de personnes vraiment gagnantes. Car l’accès au statut de chef d’exploitation se fait souvent après de longues années passées comme aide familial Les fils succèdent ainsi à leur père. Les mamans accèdent parfois à ce statut pour quelques petites années quand leur mari fait valoir ses droits à la retraite.
Un répulsif odorant contre les pucerons
En prévision des mesures annoncées par le Premier ministre le 27 avril, un communiqué du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire était publié trois jours plus tôt. Il commentait la future expérimentation de cette nouvelle méthode pour lutter contre les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave à sucre. On sait que la France a interdit l’usage des néonicotinoïdes, alors qu’elles sont autorisées dans d’autres pays membres de l’Union européenne qui produisent de la betterave à sucre. La France a pris cette décision d’interdiction en affirmant qu’elle permet de lutter contre la mortalité des abeilles quand elles butinent les fleurs de betteraves. Mais la betterave ne fleurit jamais entre le semis du printemps et l’arrachage des racines en automne pour produire du sucre. Pour fleurir, elle doit rester une seconde année en terre avant de monter en graine.
L’expérimentation annoncée par le ministère pour 2024, sera « composée de kairomones sur 500 hectares. Les kairomones sont des molécules odorantes qui ont un effet répulsif sur les pucerons et qui peuvent diminuer les niveaux d’infestation, et ainsi retarder le moment où les traitements insecticides sont nécessaires. En raison d’un hiver très doux, le risque de jaunisse de la betterave est particulièrement élevé en 2024 », indique aussi le communiqué du ministère.
Concours de démagogie entre Fesneau et Pannier-Runacher
La France cultive chaque année quelques 370.000 hectares de betterave à sucre. Comme l’essai porte sur 500 hectares, la quasi-totalité de la mise en culture en sera exclue de ce dispositif à l’essai. Néanmoins, Marc Fesneau a déclaré que « l’expérimentation de cette solution permet de démontrer l’efficacité du Plan national de recherche et d’innovation destiné à faire émerger des solutions alternatives aux néonicotinoïdes ».
Ministre déléguée auprès de Marc Fesneau , Agnès Pannier-Runacher y est allée également de son commentaire ainsi rédigé : « l’expérimentation que nous lançons aujourd’hui permet de tester en grandeur réelle une solution prometteuse de bio-contrôle pour les betteraviers confrontés à un risque de jaunisse de la betterave. Cette décision illustre concrètement la méthode du Gouvernement pour ne pas laisser les agriculteurs face à des impasses, et les accompagner dans la transition agro-écologique ». Sauf que tout reste à prouver avec ces essais.
700.000 tonnes de sucre ukrainien importée par l’Europe en 2023
Le 23 avril également, la Confédération générale de betteraviers (CGB) publiait un communiqué dans lequel on pouvait lire qu’avant la guerre entre la Russie et l’Ukraine, « l’Union européenne n’autorisait l’importation que de 20.000 tonnes de sucre ukrainien par an. La libéralisation des échanges, décidée à l’été 2022, avait conduit à multiplier ce flux par 40 durant la campagne sucrière 2022-2023 (420.000 tonnes de sucre), puis à quasiment encore doubler en 2023-2024 (plus de 700.000 tonnes). Conséquence, depuis mai 2023, les cours du sucre sur le marché spot ont perdu 30% de leur valeur, partout dans l’Union européenne ».
Certes, les parlementaires européens ont récemment voté un texte qui prévoit que les importations de sucre ukrainien en Europe sans droits de douane pourraient être limitées à 260.000 tonnes l’an prochain. Ce volume annuel a été calculé à partir d’une moyenne mensuelle des exportations de sucre ukrainien en Europe entre juin 2021 et décembre 2023. Mais le texte de la CGB indique aussi une autre distorsion de concurrence du fait que « 29 substances actives (fongicides, insecticides, herbicides) utilisées en Ukraine sont interdites dans l’Union européenne » tandis que la superficie moyenne des exploitations est dix fois plus grande en Ukraine qu’en France.
Quand on produit de la betterave à sucre, on cultive également des céréales à commencer par le blé, du fait de l’indispensable rotation des cultures. Mais pour le blé, aucune limite n’a été mise pour les exportations de l’Ukraine dans les pays membres de l’Union européenne. Or du fait de cette concurrence, le prix de la tonne de blé français pour l’exportation dans d’autres pays membres de l’Union européenne était de 191€ le 19 avril dernier contre 250€ un an plus tôt et 380€ en avril 2022.
Ainsi, même si les cours du sucre remontent un peu à partir de la prochaine récolte, rien de prouve qu’il en ira de même pour le blé chez les mêmes exploitants.
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