Le fameux « Héritage des Jeux », largement mis en avant à l’occasion de Paris 2024, est rattrapé par la réalité. Les nouvelles mesures viennent encore grignoter le temps consacré au sport à l’école. Quatre professeurs d’EPS racontent à l’Humanité les difficultés de leur pratique, pourtant bénéfique à tous les élèves.
Nathalie Vernier : « En une heure, nous faisons 25 minutes de cours effectif »
C’est la communauté de communes qui nous prête ses installations. Nous disposons d’un gymnase, d’une salle plus petite et d’une salle de gym avec tapis. Cela nous permet de faire cours avec trois classes en intérieur. Mais avec la mise en place des groupes de niveau en 6e et 5e et les très fortes contraintes que cela fait peser sur l’emploi du temps, on se retrouve parfois avec 4 voire 5 classes sur le même créneau horaire. Cela signifie qu’en hiver, au moins une classe se retrouve dehors.
Même raison, autre conséquence : alors qu’on arrivait à préserver des créneaux de deux heures, nous nous retrouvons à présent avec certains cours sur une heure. Avec le trajet, même si nous avons la chance qu’il soit court, dix minutes pour se changer au début, autant à la fin, l’échauffement… le résultat, c’est qu’en une heure nous faisons vingt-cinq minutes de cours effectif.
Cela réduit considérablement le temps de pratique sportive des élèves et nous sommes contraints de leur faire faire des exercices courts, du travail superficiel. Trois classes du collège sont concernées. Quant au fameux ”héritage des Jeux”… on constate surtout le gouffre entre les équipements construits pour les JOP et les moyens consacrés à la pratique de masse.
Mon stade, c’est de la terre battue, il n’y a même pas de marques. Dans l’Eure, beaucoup de gymnases sont dans un état catastrophique ; certains, comme à Louviers, contiennent de l’amiante, et la seule mesure prise a été de tendre une toile au plafond pour limiter les retombées. D’autres ne sont pas chauffés l’hiver. Ici, on en a un qui fuit depuis des années, et qui continue à fuir malgré les réparations effectuées voilà cinq ans : le sol se déforme, c’est dangereux.
Pierre Leveil : « L’héritage des jeux, on peine à le voir »
De nombreux élèves du collège viennent des villages alentour, donc nous avons 85 % de demi-pensionnaires qui restent dans l’établissement le midi. Comme en plus il existe une offre sportive extérieure conséquente le mercredi après-midi, le créneau 12 heures-14 heures revêt une grande importance pour l’association sportive (AS) du collège : sur 800 élèves, nous en avions 260 qui participaient aux activités de l’AS sur ce créneau, avant le Covid.
En sachant que la licence donne accès à une offre très diversifiée : escalade, tennis de table, badminton, danse, gymnastique, basket…, à laquelle ils peuvent accéder tous les jours, dans toutes les disciplines proposées. Le problème, c’est qu’en cette rentrée, avec l’obligation de créer des groupes alignés sur les mêmes horaires en français et maths pour les 6es et 5es, compliquée par le fait que notre collège a une capacité de 600 élèves à la base et manque de salles, la direction a été obligée de mettre des cours sur le créneau 13 heures-14 heures.
Nous avons ainsi des 6es qui ont cours à cet horaire trois jours sur quatre, si on ne tient pas compte du mercredi, et qui ne peuvent plus participer aux activités de l’AS. Cela crée une rupture d’égalité avec les 4es et les 3es, qui, eux, continuent de venir à l’AS comme ils veulent. Surtout, après la baisse due au Covid, nous avions déjà eu du mal à relancer l’activité.
Cette nouvelle contrainte vient s’ajouter, et le résultat c’est qu’en cette rentrée, seulement 180 élèves ont repris une licence : cela représente une baisse d’un tiers des effectifs. Ceux qui sont très motivés à faire du sport, quelle que soit l’activité, arrivent toujours à trouver un moment pour en faire ; mais ceux qui ont un sport de prédilection se retrouvent en difficulté.
Du coup, en termes de facilitation pour l’EPS et le sport scolaire, l’héritage des Jeux, on peine à le voir. La pratique sportive n’est toujours pas une priorité. Même si l’an dernier nous avons organisé, dans le cadre de l’EPS, une action de sensibilisation aux situations de handicap avec des associations qui ont mis les élèves de 4e en situation. Ça, ça a été très positif.
Mélanie Peltier : « Une piscine, c’est un équipement cher et pas rentable, mais ça doit rester un bien public »
Chez nous, toute une génération d’élèves, entre 2015 et 2022, n’a pas eu accès à la natation. La piscine de Maurepas, faute d’entretien, a fermé en 2015. Elle était utilisée par sept collèges et lycées des environs, dont le nôtre. En 2022, nous avons appris les tarifs de la nouvelle piscine, gérée en délégation de service public (DSP) par Castalia, une filiale du groupe Eiffage : ils étaient multipliés par cinq ! Et les municipalités refusaient d’aider les établissements à financer ce coût supplémentaire.
En plus, le contrat liant le prestataire aux communes stipulait que ces dernières étaient tenues de compenser le manque à gagner financier dû à la sous-fréquentation de la piscine du fait que les collèges et lycées ne pouvaient plus y aller. Non seulement les élèves de 6e ne pouvaient plus faire de natation, mais leurs parents devaient quand même payer la piscine via leurs impôts locaux !
Nous avons mené la bataille avec le collectif citoyen Une piscine pour tous, nous avons distribué des tracts sur les marchés, et cela a payé : au final, cette année, les municipalités se sont décidées à augmenter les subventions aux établissements de manière à compenser la hausse des tarifs. Nous avons même gagné la mise à disposition gratuite de lignes d’eau pour les associations sportives, le mercredi après-midi.
Il n’empêche que, dans les Yvelines, un tiers des collèges n’ont pas accès à la piscine. Et quand on y a accès, le nombre d’élèves par classe et le manque d’encadrement font qu’on ne peut pas développer des pratiques comme le water-polo, la natation synchronisée, le sauvetage. Savoir nager n’est pas seulement une question de sécurité : ça conditionne l’accès à toutes les activités aquatiques.
Le modèle des DSP se répand parce qu’une piscine, c’est un équipement cher et pas rentable, mais ça doit rester un service public. On ne peut pas se plaindre tous les étés du nombre de gens, d’enfants qui se noient et laisser ça en l’état.
Emeline : « On se sent laissés-pour-compte, voire empêchés de faire notre métier »
Émeline Professeure d’EPS dans le centre de la France
Nous faisons partie de ces collèges où les entraînements de l’association sportive (AS) se déroulent sur le temps de la pause méridienne, parce que nos élèves viennent de loin et qu’il n’y a pas de transports scolaires qui nous permettraient de les organiser le mercredi après-midi.
Mais, depuis la rentrée 2023, il y a des cours le midi, parce qu’il y a eu la création de séances de soutien pour les 6es (abandonnées depuis – NDLR) faites par des professeurs des écoles qui ne peuvent pas venir à un autre horaire : ça a compliqué les choses. Et cette année, avec les groupes de niveau, les difficultés se sont aggravées puisque encore plus d’élèves ont cours à 13 heures. Beaucoup d’entre eux ne peuvent pas s’inscrire.
On reçoit des messages de parents déçus qui nous disent : ”On parle de l’héritage des Jeux et de l’importance de la pratique sportive chez les jeunes, mais nos enfants ne peuvent pas continuer le sport cette année.” L’AS, c’est un vrai accès au sport, avec une licence à 25 euros qui permet plusieurs activités, alors que, en club, c’est 200 ou 250 euros.
Il y a quelques années, 50 % de nos élèves étaient licenciés : en 2023, c’est tombé à 32 % et, cette année, les inscriptions viennent de commencer mais on s’attend à une nouvelle baisse. Par ailleurs, depuis quinze ans, nous avions obtenu des créneaux de piscine supplémentaires, entre 16 et 17 heures, pour faire du soutien en natation aux élèves de 5e qui n’avaient pas obtenu leur BSNS (brevet du savoir-nager en sécurité) en 6e.
Mais cette année, les deux classes où se trouvent les élèves concernés ont cours sur ce créneau : on ne va pas les sortir de cours pour les emmener à la piscine – d’autant que, souvent, les élèves qui ne savent pas nager sont en difficulté dans d’autres matières. Est-ce que le savoir-nager est bien une priorité nationale ? Quand à ”l’héritage des Jeux”… Nous n’avons qu’un gymnase et une salle avec huit tables de ping-pong.
Quand on arrive avec une classe de 30 élèves, calculez, ça fait 3 à 4 élèves par table. Leur temps de pratique est réduit d’autant. Or, il y aurait l’espace dans l’enceinte du collège pour construire une autre salle de type dojo. Mais on le demande en vain depuis dix ans… On se sent laissés-pour-compte, voire empêchés de faire notre métier.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.