En campagne pour les services publics et une nouvelle industrialisation !

Par Aymeric Seassau
Le conseil national du 19 octobre dernier a décidé le lancement d’une grande campagne pour l’emploi dans les services publics et l’industrie et adopté un plan de travail en ce sens. Aymeric Seassau, responsable de la commission Entreprise et lieux de travail du PCF, revient pour Cause commune sur les enjeux et les objectifs de cette campagne.

CC : Le conseil national a décidé 
le lancement d’une campagne pour l’emploi dans les services publics 
et l’industrie, quels sont les objectifs de cette campagne ?

Je veux d’abord insister sur le fait que le Parti communiste ne s’était pas engagé depuis longtemps dans une campagne au long cours, avec des objectifs, des attendus travaillés collectivement, quantifiables et évaluables. Ce que nous voulons organiser avec les militants, c’est une campagne inédite, ancrée dans l’expérimentation et l’organisation, utile au renforcement du parti lui-même comme à l’influence communiste dans la société, si nécessaire pour gagner le changement.

Et la situation politique est particulièrement « propice ». D’une part le calendrier électoral permet en principe de déployer ces expérimentations sans que l’urgence électorale n’absorbe l’énergie militante. D’autre part, il s’agit de faire front pour faire reculer l’extrême droite et empêcher le gouvernement Barnier d’affaiblir nos services publics pendant que les annonces de fermeture de sites et les destructions d’emplois se multiplient.

Dans ce temps politique si particulier où s’accumulent les crises, nous voulons rassembler nos forces, dans la lutte et dans l’action, dans le même temps que nous voulons hisser le niveau de notre production intellectuelle dans la bataille idéologique qui fait rage.

CC : Comment s’inscrit-elle dans le cadre de la conférence nationale ?

Il s’agit, au fond, de contribuer à répondre dans l’action aux questions posées par la conférence nationale. Et nous n’entendons pas mener le débat en chambre, exclusivement à partir des discussions internes qu’anime la richesse militante du parti communiste, mais à ciel ouvert, dans l’aller-retour permanent avec celles et ceux que nous voulons mettre en mouvement pour gagner le changement.

« Les services publics sont pour nous au centre de la visée communiste en tant qu’ils permettent de développer les capacités et la créativité humaines, pour un développement efficace de toute la société et de l’économie. »

Du reste, la campagne est connectée à chacune des trois grandes questions posées, qu’il s’agisse de notre efficacité électorale, de la lutte contre l’extrême droite et les politiques capitalistes qui nourrissent sa progression ou encore de notre rapport au monde du travail et aux catégories populaires.

Nous voulons remettre la question du travail et de l’emploi au cœur du débat politique. Le développement des services publics ou la mise en œuvre d’une nouvelle industrialisation permettent de répondre à des besoins immédiats comme à l’ouverture d’une perspective révolutionnaire.

CC : En quoi cette campagne peut répondre à la séquence politique post-législative après l’arrivée du gouvernement Barnier qui propose un premier budget d’austérité ?

Tel qu’il a été proposé aux débats parlementaires, le budget Barnier tape fort avec une ligne austéritaire assumée. Ce sont des milliers de suppressions de postes d’enseignants, alors qu’il en manque déjà, comme à l’hôpital, des milliers. C’est le gel du point d’indice des fonctionnaires, alors que leurs salaires ont baissé de plus de 18 % depuis 2010. C’est une nouvelle attaque sur les collectivités qui pourraient voir leurs ressources ponctionnées de près de 9,5 milliards au total. Soit autant en moins pour l’économie et l’investissement public que les collectivités assument pourtant à plus de 70 % comme pour toutes les politiques publiques locales du quotidien.
La dissolution Macron a ouvert une nouvelle impasse politique, économique, sociale. La casse de notre appareil productif se poursuit avec des destructions d’emplois, des fermetures de sites et nos services publics sont à nouveau attaqués.

« Chaque section est invitée à cibler a minima un lieu d’expérimentation pour déployer la campagne, une entreprise ou un service public ou encore un territoire marqué par le recul de services publics ou la désindustrialisation. »

Alors oui, nous avons besoin d’une mobilisation sans précédent des communistes contre l’austérité pour contribuer au rapport de force social, pour l’emploi et la formation, pour défendre et développer nos services publics, pour une nouvelle industrialisation, pour faire grandir des solutions face aux sentiments de déclassement sur lesquels l’extrême droite fait son lit.

CC : En quoi les services publics peuvent-ils être considérés comme des éléments de transformation 
au cœur du combat de classe ?

Les services publics sont pour nous au centre de la visée communiste en tant qu’ils permettent de développer les capacités et la créativité humaines, pour un développement efficace de toute la société et de l’économie.

Ils sont au cœur d’un affrontement de classe majeur, avec d’un côté des besoins qui ne cessent de croître dans une perspective civilisationnelle et de l’autre un capitalisme en crise qui recherche de nouvelles sources de profit et glisse vers une conception autoritaire des activités humaines. Ils sont un enjeu très important de luttes, un levier de transformation de la société tout entière, un espace de résistance et d’expérimentation sous le feu d’un capitalisme financiarisé en crise.
Or la dépense publique mesurée en pourcentage de PIB décroît depuis 2013 en dépit d’une stagnation moyenne des recettes, avec la baisse la plus significative en 2019, juste avant « le quoi qu’il en coûte » de la crise sanitaire.

Les fonctionnaires représentaient en 2006 16,3 % des effectifs en emploi dans l’ensemble de l’économie, ils sont passés à 14,6 % en 2021.

Au lieu de s’attaquer au coût du capital, à celui des externalisations, aux mille milliards annuels d’évasion fiscale dans les pays de l’Union européenne, le gouvernement nous prépare une énième réduction de la voilure qui appauvrira le pays tout entier.

« Nous recherchons une nouvelle industrialisation en phase avec la transformation écologique, utile à la revitalisation de nos territoires, à notre souveraineté, à la réponse aux besoins humains. »

Les services publics continuent de tenir un rôle majeur dans la société française, au titre des besoins auxquels ils répondent (et non des moindres : santé, sécurité, éducation…), mais aussi pour leur place dans l’économie.

Les élus locaux le savent, lorsqu’une entreprise cherche à s’implanter sur un territoire, elle observe avant tout les services auxquels elle aura accès pour ses besoins logistiques comme pour ses salariés (du transport au logement).

En outre, un emploi industriel génère des emplois dans le reste de l’économie, alimentant aussi les besoins et la réponse à ces derniers, parmi lesquels des exigences en matière de services publics.

À ce titre, la question de la formation est centrale. La DARES indiquait par exemple fin 2023 que le nombre d’emplois vacants dans l’industrie a doublé en trois ans, passant de 30 000 à 60 000, principalement en raison du manque de formation et donc d’un déficit de jeunes diplômés entrant sur le marché du travail chaque année. Nous savons les besoins qui existent dans des pans entiers de services publics, de l’éducation à la santé qui nécessiteraient prérecrutements et plans de formation massifs.

Voilà pourquoi en liant « services publics et nouvelle Industrialisation » nous recherchons dans cette campagne une cohérence d’ensemble.

CC : Une « nouvelle industrialisation », c’est quoi au juste ?

C’est une question à laquelle la campagne que nous engageons, en mêlant expérience de terrain et débat théorique, va s’employer à répondre.
Nous recherchons une nouvelle industrialisation en phase avec la transformation écologique, utile à la revitalisation de nos territoires, à notre souveraineté, à la réponse aux besoins humains quand la crise pandémique a cruellement révélé nos dépendances ou quand réapparaissent des pénuries en pharmacie.

  • En combinant des orientations stratégiques pour les filières industrielles et de nouveaux pouvoirs pour les salariés pour agir avec efficacité sur toute la chaîne ;
  • En faisant le pari du développement des capacités humaines pour répondre aux besoins à venir (la formation initiale et tout au long de la vie) ;
  • En investissant dans nos infrastructures pour produire l’énergie à bas coût dont l’industrie a besoin et pour gérer la chaîne logistique la plus économe en émissions, en favorisant le mix transport ferré et transport maritime et fluvial ;
  • En permettant les financements nécessaires avec un crédit bon marché conditionné et contrôlé ;
  • En dynamisant la démocratie sociale avec de nouveaux pouvoirs pour les salariés (droit de véto et de proposition sur les choix stratégiques), pour les citoyens (contrôle sur les aides publiques et planification démocratique);
  • En mettant en place une nouvelle stratégie nationale de reconstruction des filières industrielles stratégiques (métallurgie, sidérurgie, chimie…) intégrant les sous-traitants, empêchant les délocalisations et les licenciements boursiers.

En l’état, le constat est sans appel :
en vingt ans, le pays a perdu la moitié de ses usines et la France traîne désormais aux toutes dernières places d’Europe en part de l’industrie manufacturière dans le PIB avec 10 %, quand la moyenne est de 16 %.

« Nous demeurons une force militante nationale, la seule dotée de structures souveraines sur une série de lieux de travail et la seule à déployer une activité pensée et soutenue en direction des entreprises. »

Là encore, la prédation du capital est féroce. Pour faire des profits à court terme, les groupes et leurs actionnaires ont multiplié les délocalisations et fermetures de sites industriels : 62 % des emplois des grandes entreprises françaises se trouvent à l’étranger, contre seulement 38 % pour les allemandes et 28 % pour les italiennes.

Le fantasme du patriotisme économique français promu par le RN a du plomb dans l’aile et le made in France ne représente plus que 36 % de la consommation nationale.

Ça ne peut plus durer ! La désindustrialisation est une catastrophe sociale, économique et écologique.

Qu’il s’agisse d’engager la transition écologique, de redresser notre balance commerciale et notre économie, ou d’éradiquer le chômage (nous ne répéterons jamais assez qu’un emploi industriel crée trois à quatre emplois dans le reste de l’économie et que la moyenne des salaires est de 20 % supérieure dans l’industrie par rapport aux services), une nouvelle industrialisation est urgente et nécessaire. Comme vecteur de la transformation sociale, elle est au cœur de la visée communiste.

CC : Quelles seront les ressources mises à disposition et quels gestes militants mettre en place pour y parvenir ?

La campagne est désormais lancée. Un tract générique sur les services publics, un autre sur une « nouvelle industrialisation » sont à la disposition des militants. De nombreux matériels ont déjà été produits en lien avec l’actualité (Filière Auto, Sanofi, Michelin…) ainsi qu’un numéro spécial d’Agir (le journal des communistes à destination de l’activité sur les lieux de travail) sur l’Industrie (un numéro sur les services publics suivra). Un dossier d’animation et des visuels de communication sont en cours de réalisation. Les outils militants ne manquent pas.

En revanche, nous voulons impulser une campagne d’un type nouveau, fondée sur la proximité et sur la régularité et non sur des distributions ponctuelles sur des endroits de passage génériques (marchés, sorties de gare…) auxquels nous sommes (et la population avec nous) habitués. Ciblons les lieux de travail !

Le plan de travail adopté par le conseil national propose une méthodologie. Chaque section est invitée à cibler a minima un lieu d’expérimentation pour déployer la campagne, une entreprise ou un service public ou encore un territoire marqué par le recul de services publics ou la désindustrialisation pour y conduire par exemple une bataille pour ouvrir un service public ou une lutte pour relocaliser une industrie ou améliorer un appareil productif.

Dès lors que ces lieux ont été identifiés, déterminons une régularité (une action par mois a minima) et mettons-nous en lien avec les syndicats et associations d’usagers pour enrichir notre panel d’action (tracts, journaux, réunions publiques, porte-à-porte, pétitions…) avec des objectifs ambitieux de renforcement par l’adhésion.

Nous nous sommes dotés d’un calendrier soutenu et soutenable.

Le mois de novembre sera mis à profit pour finaliser en assemblée générale de section l’identification des endroits sur le(s)quel(s) la section souhaite décliner cette campagne.

Décembre devrait être utile à la rencontre avec les syndicats locaux et la construction des campagnes locales (tracts, pétitions, rétroplannings).

Le 14 décembre prochain, la conférence nationale du sera un moment de convergence de la campagne avec le recensement du déploiement de cette campagne dans les sections.
Restera à la déployer dans tout le pays avec l’ambition de construire des revendications nationales pour développer une nouvelle industrie et de nouveaux services publics en France avec une conférence de presse et des interpellations des ministres concernés et la publication de plans nationaux pour l’industrie et les services publics.

CC : Comment cette campagne 
peut-elle être un point d’appui 
pour structurer le parti 
dans l’entreprise ?

La situation du parti dans l’entreprise est assez contradictoire. La question a été trop longtemps laissée en jachère, avec des choix dans nos statuts au début des années 2000 conduisant à un affaiblissement structurel à l’entreprise s’ajoutant à la baisse des effectifs militants. Pour autant, nous demeurons une force militante nationale, qui plus est la seule dotée de structures souveraines sur une série de lieux de travail et la seule à déployer une activité pensée et soutenue en direction des entreprises. Depuis le 38e congrès du chemin a été parcouru : des réseaux nationaux de communistes par secteur d’activité ont été construits ou renforcés, le journal Agir est régulièrement mis à la disposition des militants, une commission s’est désormais structurée dans un travail transversal régulier avec plusieurs commissions thématiques, un gros tiers des fédérations s’est doté de responsables ou collectifs aux entreprises, des pans de notre projet sont mieux investis, sur les services publics, la nouvelle industrialisation, les nouveaux pouvoirs aux travailleurs.

La dernière évolution des statuts a été utile pour réaffirmer le militantisme à l’entreprise comme un objectif stratégique et statutaire et s’adapter aux

expérimentations de terrain et ainsi répondre à la nature actuelle de la vie au travail de millions d’actifs : réseaux nationaux, expérimentation de cellules souveraines, sections de bassins d’emploi entre autres.

Reste à en faire l’affaire du parti tout entier. De mon point de vue, la question était centrale, elle est devenue vitale. Et ce n’est pas un hasard si lors de la dernière fête de l’Humanité, dans un programme très riche, le stand du conseil national a positionné au centre un débat avec Fabien Roussel, Sophie Binet et Lucie Castets sur le thème « Reconquérir le monde du travail face au Rassemblement national ».

Pour porter le combat jusqu’au cœur du système capitaliste, il faut renforcer l’intervention du parti dans les entreprises et les lieux de travail, lieux décisifs de la lutte des classes. Lieux de pouvoir du capital sur l’économie, l’État, les collectivités territoriales, la société et la vie quotidienne, les entreprises permettent au patronat d’imposer ses idées. Ce sont des là où se forgent un vécu d’expériences et des mentalités sur lesquelles peuvent s’imposer les idées dominantes comme se construire une conscience de classe », écrivions-nous en 2019 dans un relevé de décisions, adopté à l’unanimité du conseil national consacré à la question.

Beaucoup a été fait. Beaucoup reste à faire. La campagne nationale que nous engageons offre un formidable terrain d’expérimentation et des perspectives encourageantes pour notre parti.

Cause commune n° 41 • novembre/décembre 2024

 


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