JEAN PAUL DELAHAYE Une image contenant Visage humain, personne, sourire, habits Description générée automatiquement Les scandales et dérives de certaines écoles privées éclatent, l’absence de contrôle sous les projecteurs ne doit pas faire oublier que cette école financée à ¾ d’argent public est aussi un des facteurs de ségrégation sociale dans les établissements. Dans cette tribune, Jean-Paul Delahaye plaide pour la mixité sociale à l’école.

« Près de 180 ans après Michelet, on prêche encore dans le désert en France sur l’école commune. Au pays de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, on peut à la fois se déclarer, la main sur le cœur, très favorable à la mixité sociale et se battre pour que ce ne soit pas le cas dans le collège de ses enfants » écrit Jean-Paul Delahaye, Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire.

Le combat pour une école commune à tous les enfants de la République, pour une école mixte est toujours d’actualité.

« L’absence de mixité sociale à l’école »

Il faut lire ou relire Le Peuple de Jules Michelet, œuvre achevée en janvier 1846, et qu’on peut trouver en édition de poche[1]. Dans cet ouvrage, Michelet, comme bien d’autres après lui, appelle de ses vœux une école commune à tous les enfants. Michelet le dit avec ses mots à lui, dans le contexte politique et éducatif de l’époque, mais l’objectif nous parle d’autant plus aujourd’hui que nous n’y sommes pas encore : « Au reste, pour l’enfant, l’intuition durable et forte de la Patrie, c’est, avant tout, l’école, la grande école nationale, comme on la fera un jour. Je parle d’une école vraiment commune, où les enfants de toute classe, de toute condition, viendraient […] s’asseoir ensemble, avant l’éducation spéciale… ». Dire cela est prêcher dans le désert sous la monarchie de juillet. Mais il est désolant de constater que c’est encore un objectif à atteindre aujourd’hui en France où, par exemple, le collège unique (qui n’est d’ailleurs toujours pas « unique ») est attaqué par tous ceux qui estiment que la décision de scolariser leurs enfants avec les enfants du peuple a été une erreur historique.

En publiant les indices de position sociale des établissements scolaires en 2022, l’éducation nationale a donné à chacun la possibilité d’observer un fait catastrophique pour notre pays : l’absence de mixité sociale à l’école. Depuis, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, des propositions de lois se font jour pour mettre la mixité sociale à l’école au cœur de l’agenda politique. Malgré les actions conduites depuis 2015 qui montrent, comme à Toulouse, qu’il est possible de combattre le séparatisme social à l’école, ces propositions de lois ne semblent guère trouver d’écho au gouvernement.

Près de 180 ans après Michelet, on prêche encore dans le désert en France sur l’école commune. Au pays de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, on peut à la fois se déclarer, la main sur le cœur, très favorable à la mixité sociale et se battre pour que ce ne soit pas le cas dans le collège de ses enfants.

Quelle société préparons-nous ?

Nous suggérons aux honorables et courageux parlementaires qui font de la mixité sociale un enjeu majeur de politique publique d’inclure les propos suivants dans l’exposé des motifs de leurs propositions de lois. Se donner Michelet comme boussole ne pourra pas faire de mal à ceux qui nous dirigent et qui ne perçoivent pas que l’absence de mixité sociale met en danger notre pacte républicain : « Nous nous hâtons de parquer nos enfants parmi des enfants de notre classe, bourgeoise ou populaires, à l’école, au collège ; nous évitons ainsi tous les mélanges, nous séparons bien vite les pauvres et les riches à cette heureuse époque où l’enfant de lui-même n’eût pas senti ces vaines distinctions. Nous semblons avoir peur qu’ils ne connaissent au vrai le monde où ils doivent vivre. Nous préparons, par cet isolement précoce, les haines d’ignorance et d’envie, cette guerre intérieure dont nous souffrons plus tard ».

Quelle société préparons-nous si nous ne parvenons pas à faire vivre et à faire apprendre ensemble, au moins pendant le temps de la scolarité obligatoire de 3 à 16 ans, dans des établissements hétérogènes, toute la jeunesse de notre pays dans sa diversité ? Quelle démocratie peut fonctionner durablement quand les « élites », de droite comme de gauche, prétendent gouverner un peuple qu’elles n’ont jamais vu de près, y compris à l’école ?

D’ailleurs combien sont-ils ceux qui nous gouvernent, hier ou aujourd’hui, à avoir fréquenté l’école publique ?

Jean-Paul Delahaye

[1] Jules Michelet, Le Peuple, Garnier-Flammarion, 1992.