La reprise de SAFRA par le groupe chinois Wanrun : un révélateur des contradictions en cours du capitalisme mondialisé.
La reprise de SAFRA, dernier constructeur français d’autobus à hydrogène, par le groupe chinois Wanrun ne peut être interprétée comme un simple fait économique ou industriel. Elle constitue un révélateur des mutations profondes du capitalisme mondial dans un contexte de basculement géopolitique.
Depuis la crise financière de 2008 et, plus encore, depuis le ralentissement relatif de l’hégémonie américaine, on assiste à un rééquilibrage multipolaire de l’économie mondiale dans lequel la Chine joue un rôle croissant.
Selon une lecture marxiste, cette situation illustre ce que Marx appelait la tendance du capital à s’internationaliser pour surmonter ses propres contradictions. Aujourd’hui, les grandes puissances capitalistes historiques (États-Unis, Europe) voient leurs secteurs industriels stratégiques mis en concurrence avec des puissances émergentes capables de mobiliser un capital productif conséquent à l’échelle mondiale.
La Chine, avec sa stratégie « Belt and Road Initiative » (La ceinture et la route) et ses investissements ciblés dans les infrastructures, les transports et l’énergie, s’inscrit dans cette dynamique de conquête économique structurée. Contrairement aux Etats-Unis et à l’UE, sa planification socialiste lui permet de construire des entités industrielles puissantes qui vont à la conquête du marché planétaire qui, lui, demeure capitaliste. C’est cette contradiction que nous avons souvent du mal à interpréter comme un phénomène nouveau et certainement durable de l’économie mondiale. L’Etat socialiste chinois régule et planifie les forces productives capitalistes de sa nation comme aucun autre État au monde n’est en capacité de le faire parce qu’ils sont dominés, eux, par le grand capital prédateur, comme l’est celui de la France.
Le cas SAFRA illustre, à l’échelle locale, ce processus de pénétration industrielle par le capital chinois dans des secteurs technologiques européens en difficulté.
La dimension stratégique de cette reprise dépasse largement la seule question de la viabilité de l’entreprise albigeoise. L’enjeu est ici double : d’une part, l’accélération de l’internationalisation du capital chinois dans les technologies « vertes » (hydrogène, électricité, batteries), et d’autre part, la vulnérabilité croissante de la souveraineté industrielle française.
Lénine, dans « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », analysait déjà la tendance des puissances économiques à exporter non seulement des marchandises, mais surtout du capital, afin de s’assurer le contrôle de ressources stratégiques et de marchés. Cette lecture s’avère étonnamment actuelle : Wanrun, qui ne possède pas encore de technologie hydrogène mais souhaite s’implanter sur le marché européen, utilise SAFRA comme base avancée d’acquisition technologique et commerciale.
Le projet de faire venir des bus préassemblés de Chine pour leur homologation en France montre bien l’ambivalence du partenariat : il ne s’agit pas d’un transfert de technologie dans le sens Nord-Sud, mais bien d’une intégration fonctionnelle du tissu industriel français au sein de chaînes de valeur contrôlées par un capital exogène.
Ce type de stratégie n’est pas isolé : en Allemagne, des entreprises de robotique ou d’équipements industriels comme KUKA ont également été rachetées par des groupes chinois, suscitant des débats similaires sur la souveraineté économique.
Dans ce contexte, les forces politiques de gauche, notamment communistes, doivent repenser leur rapport à l’internationalisme, à la souveraineté industrielle et au rôle de l’État dans l’économie. Mao Zedong d’ailleurs insistait sur la nécessité d’un développement autonome basé sur les conditions concrètes d’un pays donné.
Or, l’exemple de SAFRA montre que, faute de soutien stratégique à long terme et d’une vision industrielle cohérente de la transition écologique, l’État français s’est contenté d’un soutien conjoncturel (commandes publiques, subventions), sans garantir la pérennité de la filière. En effet il n’y a pas eu de cohérence nationale de développement de réseaux routiers équipés de stations d’alimentation des véhicules à hydrogène, ni de planification de cette industrie laissant les régions dans ce domaine avec des initiatives dispersées.
De 2018 à 2023, SAFRA a vendu 23 bus à hydrogène ; mais malgré des commandes récentes, l’entreprise n’a pu produire que deux prototypes de son nouveau modèle, faute de moyens. Ce déficit de stratégie nationale ouvre la voie à une absorption par des acteurs plus puissants, capables d’imposer dans le cas de la Chine sa propre logique dans un cadre mondialisé.
Pour les marxistes, il ne s’agit pas de défendre un capitalisme national contre un capitalisme étranger, et il est plutôt anachronique de voir le concert unanime du protectionnisme entonné par des forces syndicales, des partis de gauche avec des forces locales de droite, mais de montrer comment l’abandon des leviers publics de planification industrielle favorise la soumission des forces productives à des intérêts extérieurs, en contradiction avec un développement démocratique et planifié de l’économie nationale.


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