Bétharram : les leçons de trois mois d’enquête pour en finir avec les violences scolaires

En quelques semaines, la commission parlementaire a révélé l’ampleur des violences exercées sur les élèves, établit les responsabilités, les complicités, les défaillances du système de contrôle. Elle prévoit de faire des propositions pour y mettre un terme.

 

Sous le perron du collège du Beau-Rameau, à Lestelle-Bétharram (Pyrénées-Atlantiques), le Gave de Pau écoule imperturbablement ses eaux noires. C’est sur ce perron devenu tristement célèbre que les élèves du Beau-Rameau – « beth arram », en Béarnais – effectuaient des séjours punitifs, de nuit, quasi nus, dans un froid glacial. Mais depuis les premières révélations sur les sévices subis, pendant des années, par les enfants scolarisés dans cet établissement privé catholique sous contrat, un autre flot s’est mis à grossir, à gronder sans que l’on puisse dire où il s’arrêtera : celui de la parole des victimes.

C’est pour elles que la représentation nationale a voté, le 19 février, la création d’une commission d’enquête sur les « modalités du contrôle par l’État et de la prévention des violences dans les établissements scolaires ». Présidée par Fatiha Keloua-Hachi (PS), elle a commencé ses travaux le 20 mars et les achève cette semaine. Ses deux co-rapporteurs, Violette Spillebout (Ensemble) et Paul Vannier (LFI), ont prévu de rendre leur rapport d’ici à la fin juin. Il sera attendu, tant la commission a levé le voile sur le cortège de violences, parfois inouïes, traîné dans son sillage par une certaine conception de l’éducation. Mais aussi sur le halo de complicités, de lâchetés et d’intérêts qui a couvert ces horreurs jusqu’à aujourd’hui.

140 personnes, victimes, experts, enseignants, inspecteurs, ministres auditionnés

La commission a auditionné plus de 140 personnes, victimes, experts, enseignants, inspecteurs, ministres… Elle s’est déplacée aussi : à Bétharram, au village d’enfants de Riaumont, près de Liévin (Pas-de-Calais), et au lycée (public) Bayen de Châlons-en-Champagne (Marne). Premier enseignement, l’étendue et la gravité des violences exercées sur les enfants : maltraitances psychologiques, humiliations, violences physiques allant de la gifle à de véritables actes de torture, travaux forcés, malnutrition, violences sexuelles jusqu’au viol…

Des actes dont les représentants des victimes ont détaillé les effets multiples et de long terme sur leur santé, leur vie personnelle et professionnelle. « Ça vous démolit pour la vie », a résumé devant la commission Éveline Le Bris, ancienne pensionnaire de la congrégation du Bon Pasteur à Angers (Maine-et-Loire).

Tout le territoire national et tous les types d’établissements sont concernés, mais avec une prédominance du privé qui, a rappelé Jean-Marc Sauvé, président de la Ciase (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église), représente 2 % des abus recensés et le public, 3,4 %, alors que ce dernier scolarise 80 % des élèves.

Une part de l’explication peut tenir à un aspect culturel : l’historien de l’éducation Claude Lelièvre rappelle ainsi le rôle central de l’obéissance, voire de la soumission, au sein des congrégations religieuses historiquement en charge de l’éducation dans l’Église catholique, où les châtiments corporels étaient intégrés et ritualisés. Un autre aspect est plus matériel et repose sur le poids des internats, lieux « à risque » beaucoup plus présents dans ces établissements.

Une omerta organisée autour des violences

Les auditions ont aussi mis en évidence l’omerta autour des violences. L’organisation même des établissements privés, placés sous l’autorité de diocèses et de congrégations enclins à privilégier l’image et la réputation de leurs écoles, plutôt que d’écouter victimes et lanceurs d’alerte, l’explique. Les relations incestueuses entre, notamment, les associations gestionnaires des établissements, les parents d’élèves, les familles des responsables et le tissu des notabilités locales, scellent ce couvercle de silence posé sur les violences.

Mais les responsabilités sont encore plus lourdes au-delà de ce premier cercle de complicités coupables. À la question « qu’on fait ceux qui devaient protéger les enfants, contrôler, enquêter, sévir ? », la réponse a trop souvent été : « Rien. » Devenu emblématique en raison de ses responsabilités actuelles et de son statut d’ancien parent d’élèves de Bétharram, le cas de François Bayrou n’est qu’un parmi d’autres : président du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques – et chargé, à ce titre, de la protection de l’enfance – au moment de la première plainte pour violences, il n’a rien vu.

Ministre quand la professeure de mathématiques, Françoise Gullung, tente en 1995 de l’alerter sur les violences dont Bétharram est le théâtre, il la traite d’« affabulatrice » lors du naufrage que fut son audition. En 1996, il diligente précipitamment une inspection, mais il reconnaît devant la commission n’avoir lu que les cinq lignes de conclusions du rapport de trois pages qui en est issu. Des conclusions qui lui conviennent puisqu’elles sont rassurantes… alors que le rapport énonce des manquements graves.

Défaillances de tout le système de contrôle

Au-delà du cas Bayrou, ce sont bien les défaillances de tout le système de contrôle qu’il faut pointer. Elles commencent par des médecins, infirmiers, assistants sociaux, psychologues scolaires si peu nombreux qu’ils ne peuvent jouer leur rôle de détection et de recueil de la parole. Et elles remontent jusqu’au sommet, quand les inspecteurs généraux chargés d’enquêter sur le prestigieux collège-lycée Stanislas, à Paris, dénoncent le tripatouillage du rapport par la cheffe de l’inspection générale à l’époque, Caroline Pascal, effaçant les faits d’homophobie, de sexisme et d’autoritarisme pourtant pointés dans le texte.

Caroline Pascal occupe aujourd’hui le poste de directrice générale de l’enseignement scolaire, numéro deux du ministère… Ce n’est pas une coïncidence : les travaux de la commission ont aussi permis de montrer les prévenances et les complaisances dont bénéficie, rue de Grenelle, l’enseignement catholique, à qui on demande, par exemple, son avis sur le plan de contrôle des établissements privés lancé à la suite du scandale Stanislas. Une intégration qui frôle dangereusement les limites de la loi de 1905 de séparation de l’Église et de l’État.

Le positif, dans tout cela ? D’abord le fait que la libération de la parole des victimes, enfin entendues, a contraint le gouvernement à réagir. C’est ce qu’a traduit le plan de contrôle des établissements privés, mais aussi l’annonce en mars par la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, du plan « Brisons le silence », comprenant en particulier l’extension au privé du dispositif de signalement « Faits établissements ». De premières réactions, encore loin du compte et dont les modalités, à venir, détermineront l’efficacité réelle. Les propositions de la commission devront être entendues. Ce serait un vrai premier pas pour faire reculer les violences exercées, dans le cadre scolaire, sur les enfants.


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