Hausse des prix, infrastructures datées et manque d’ambition de l’État, les colonies réunissent de moins en moins d’enfants. Une tendance particulièrement marquée chez les familles les plus modestes. Et si on réinventait ces moments de vacances solidaires ?

© JACQUES LOÏC / PHOTONONSTOP
Moins d’enfants, moins de centres, des séjours écourtés… « Il ne faudrait pas que, pour des choix financiers de l’État, les colos disparaissent. » Comme de nombreux acteurs de l’éducation populaire, Jean-Baptiste Clerico, directeur général des Cemea (Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active), s’inquiète du devenir des colonies de vacances. Longtemps symbole des grands départs estivaux populaires, elles subissent une érosion continue depuis les années 1990, aggravée par la crise sanitaire. En 1960, ils étaient 4 millions d’enfants à partir chaque année. Ils n’étaient plus que 589 432 en 2020-2021, selon les chiffres de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep).
Si un léger rebond a été observé en 2023-2024, les perspectives pour 2025 restent moroses. « Il y a énormément d’inquiétudes dans de nombreux organismes, qui anticipent déjà une baisse de fréquentation par rapport à 2024, note Yasmine Boudjenah, première adjointe à la mairie de Bagneux et présidente de l’association VVL (Vacances Voyages Loisirs). Ce qui est préoccupant, c’est que le rebond post-Covid n’a pas permis de retrouver les niveaux d’il y a dix ans, alors même qu’ils étaient déjà en recul. »
« C’est devenu un luxe »
Principal frein au départ en colonie : le coût du séjour. Avec un tarif moyen de 550 euros la semaine en été, selon la Jeunesse au plein air, beaucoup d’enfants se voient privés de départ. Une étude de l’Injep de 2021 le confirme : « Les collégiens issus de milieux favorisés partent davantage. » Ainsi, 27 % des enfants de cadres partiraient en colonie contre seulement 10 % des enfants d’ouvriers ou d’employés. « Les disparités sont extrêmement fortes et un constat s’impose : les classes dites moyennes, non éligibles aux aides, ne peuvent plus envoyer leurs enfants en colonie », pointe Yasmine Boudjenah.
Hervé, bénévole soutenu par le Secours populaire à Rennes, témoigne : « Sans aide, je devrais débourser 3 300 euros pour mes trois enfants. C’est impossible pour une famille très modeste comme la nôtre. » Grâce au village Copain du monde organisé sur la presqu’île de Rhuys (Morbihan), ses enfants partent pour la deuxième année consécutive. L’organisation prend en charge 90 % du coût du séjour, il reste alors 110 eurdos à payer par enfant. Audrey, mère de six enfants en Bretagne, se réjouit de pouvoir en envoyer deux en colonie cet été. « Une immense chance », dit-elle. En recherche d’emploi, elle souligne que « c’est un budget que (son) foyer ne peut pas assumer seul ». À Paris, Rafaële Arditti, comédienne et mère célibataire, partage ce constat : « C’est devenu un luxe. Chaque année, c’est ce qui plombe mon budget. »
Si les dispositifs solidaires comme ceux du Secours populaire permettent à certains enfants de partir, la hausse des prix affecte directement la qualité et la durée des séjours. « Des familles se réjouissent de pouvoir envoyer leurs enfants à moindre coût, mais cela se fait au détriment de la durée de séjour, plus courte, regrette Yasmine Boudjenah. À mon époque, on partait trois semaines à un mois. Aujourd’hui, les séjours de cinq jours se multiplient. Ce n’est plus vraiment l’esprit colonie. »
Des politiques publiques insuffisantes
Pour redorer le blason des colonies, le gouvernement a lancé, en avril 2024, le « pass Colo » : une aide de 200 à 300 euros pour les enfants de 10 à 11 ans, vivant dans les foyers aux revenus mensuels inférieurs à 4 000 euros net. Cumulable avec les aides de la CAF, cette mesure peine à convaincre : seulement 16 000 enfants en ont bénéficié en 2024, soit moins de 3 % des éligibles, d’après un bilan dressé par la Caisse nationale des allocations familiales. Un million de jeunes pourraient y prétendre en 2025. Encore faudrait-il que les familles soient bien informées.
« C’est passé inaperçu, faute de communication efficace de l’État, déplore Yasmine Boudjenah. Les familles ignorent même que ce dispositif existe. C’est une aide précieuse, mais son déploiement doit être simplifié. » Même écho chez Hervé : « Je sais que cela existe, mais c’est un vrai casse-tête administratif. » Si les associations d’éducation populaire saluent un « bon début », elles pointent aussi ses limites : l’aide ne concerne qu’une tranche d’âge très restreinte.
Autre outil dégainé par le gouvernement : les « colos apprenantes ». Lancés en 2020, ces séjours labellisés ambitionnent de faire partir gratuitement des enfants de 3 à 17 ans – notamment ceux des quartiers prioritaires. L’État subventionne les organisateurs à hauteur de 100 euros par nuitée. Mais l’aide est limitée aux séjours de quatre à huit nuits. « L’intention était bonne, mais il y a un effet pervers, analyse Patrice Leclerc, maire PCF de Gennevilliers, commune qui organise une trentaine de colos chaque année. Avec cette contrainte, on est limité dans la longueur. Or, pour qu’une colonie soit bénéfique, il faut au moins deux semaines. Sinon, on perd l’intérêt éducatif. »
Au-delà des aides au départ, d’autres difficultés pèsent sur le secteur des colonies, notamment l’entretien des infrastructures. Face à la stagnation des subventions aux collectivités, certaines municipalités se résignent à céder leur patrimoine, trop coûteux à réhabiliter, pour acheter des séjours sur catalogue auprès d’opérateurs privés. « La qualité d’une colonie dépend de la capacité de la commune à entretenir ses centres d’accueil, souligne Patrice Leclerc. Or, avec la baisse des ressources allouées aux collectivités, ces coûts deviennent intenables. » Yasmine Boudjenah abonde : « Beaucoup de villes vendent leurs centres, faute de moyens. Les besoins de réhabilitation se chiffrent en millions d’euros. Et l’État ne fait rien. Pire : il n’existe aucune ligne budgétaire dédiée. C’est un angle mort des politiques publiques. »
Redonner sens à l’éducation populaire
Autant d’obstacles qui participent au déclin des colonies de vacances, dont la vocation éducative gagnerait à être valorisée, selon Jean-Baptiste Clerico : « Une bonne politique publique consisterait à financer les acteurs pour qu’ils expliquent aux familles à quel point la colonie est un facteur de réussite éducative et d’intégration. Il y a un enjeu pédagogique : la colonie commence avant l’inscription, pas le jour J. »
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