Sans appeler directement au harcèlement en ligne, le collectif qui se dit « féministe » cible régulièrement des figures de gauche sur les réseaux sociaux, souvent des femmes, sur lesquelles se déversent ensuite des torrents de haine.

Elles se proclament « féministes » mais conduisent des femmes à se faire harceler. Le collectif Némésis, proche de Reconquête et du Rassemblement National, a bien compris comment provoquer le harcèlement en ligne de militants et personnalités de gauche – parmi lesquelles des féministes – sans pouvoir être directement tenu pour responsable. L’Humanité donne la parole à plusieurs victimes de ces méthodes. Contacté, Némésis n’a pas voulu répondre à nos questions.
Marie Coquille-Chambel, militante féministe du #MeToo théâtre, est une cible régulière du collectif d’extrême droite, notamment sur X. Or, à chaque fois que Némésis retweete un de ses posts pour lui répondre, s’ensuit une vague de harcèlement.
« Ce collectif a une grosse influence à droite, alors quand elles reprennent mes tweets, elles font des statistiques (d’audience – NDLR) énormes, et je reçois des photos montages ignobles, témoigne la militante. Après notre dernier échange sur X avec quelqu’un de Némésis, je me suis fait insulter sur mon physique pendant deux jours. Ce sont des insultes, des menaces de mort et de viol… » À aucun moment, Némésis n’a explicitement appelé à son harcèlement, mais le collectif fondé par Alice Cordier, 28 ans, sait très bien comment fonctionnent les comptes militants, proches de la fachosphère, qui le suivent.
Marie Coquille-Chambel a aussi le malheur de soutenir les personnes exilées, une gageure pour Némésis, qui prétend que l’insécurité qui pèse sur les femmes est principalement, voire exclusivement, liée à l’immigration, notamment musulmane. Sur les réseaux, là encore, la haine se déverse : « On me dit que je fais des gang bangs avec des mineurs isolés, que je n’aime que les ”Noirs et les Arabes”. » La jeune femme s’est fait connaître en 2020, après avoir déposé plainte pour viol contre son ex-compagnon, le comédien Nâzim Boudjenah.
Une affaire instrumentalisée par Némésis : « Quand mon agresseur a été condamné, ils ont communiqué dessus. Je leur ai dit que je ne voulais pas qu’elles en parlent, car je refuse l’instrumentalisation des violences sexuelles à des fins racistes. » Peine perdue. La communication de Némésis déclenche une nouvelle vague de messages : « Ils m’accusent de n’aimer que les hommes violents. On ne me traite pas seulement de salope, on va chercher dans mes traumatismes pour m’atteindre. »
Des élues harcelées
Ce n’est pas la seule fois où Némésis s’est abaissé à rendre public des détails privés sur des adversaires politiques. La députée LFI Ersilia Soudais en témoigne. Le collectif l’a dans le viseur depuis son élection, en 2022. Le 8 mars dernier, les militantes d’extrême droite scandaient en chœur, « Ersilia, on t’aime pas », grands sourires aux lèvres. Ersilia Soudais a porté plainte pour viol contre son ex-conjoint en mars 2024.
« Némésis a dévoilé des informations sur les réseaux sociaux qui ont nui au bon déroulement de l’enquête, accuse-t-elle. Elles ont rendu publique la plainte avant que mon ex-conjoint ne soit au courant, si bien qu’il a eu le temps de faire ses affaires et de partir avant la perquisition. » Selon la députée LFI, « elles l’ont appris de source policière ».
La maire écologiste de Besançon (Doubs), Anne Vignot, a elle aussi été victime de cyberharcèlement après plusieurs coups d’éclat de la militante de Némésis Yona Faedda, originaire de la région. La séquence a démarré en avril 2024. La militante débarque au carnaval de Besançon avec une pancarte ironique « Violeurs étrangers bienvenus ». Sa cible : la politique d’accueil de réfugiés de la maire.
Le 8 janvier 2025, Yona Faedda s’incruste dans une soirée privée où l’édile présentait ses vœux aux agents de la ville, munie de la même pancarte. Le soir même, sur Twitter, elle publie le commentaire suivant : « soutien aux violeurs étrangers », accompagné d’une photo d’Anne Vignot. La fachosphère se jette en meute sur l’édile.
Cela vaudra à Yona Faedda de passer au tribunal pour diffamation publique, sans pour autant stopper sa croisade numérique : « Je suis convoquée au tribunal parce qu’un tract a heurté la sensibilité de notre pauvre maire Anne Vignot… Un bout de papier l’a bouleversée la pauvre ! Imaginez le drame… » ironise-t-elle sur ses réseaux après sa convocation, relançant le harcèlement.
« Je ne m’aventure pas à interpréter leur stratégie de communication, mais elles m’ont diffamé en m’associant à des viols », témoigne Anne Vignot. Face à ces tentatives d’intimidation, l’écologiste refuse de se taire : « J’ai pu lire dans beaucoup de médias que certains élus refusaient de s’exprimer pour éviter un cyberharcèlement qui les desservirait politiquement. Je considère personnellement que la justice doit jouer son rôle. » L’édile dit ne pas craindre le cyberharcèlement que le procès risque de raviver, comme ce fut le cas le 6 juin dernier lorsqu’une première version de la plainte, annulée pour vice de procédure, avait été examinée par le tribunal de Besançon.
Des mises en scène bien rodées
Dans la commune, la maire n’a pas été la seule harcelée. Plusieurs de ses conseillers municipaux ont été à leur tour ciblés, après avoir défendu l’élue. Le communiste Hasni Alem, adjoint à la maire, en a fait les frais : « J’ai posté une petite vidéo pour dénoncer les agissements de Némésis. Il y a eu des partages, des repartages… On a commencé à dire que j’étais un étranger, et donc que j’étais sans doute un violeur. Elles sont très fortes sur les réseaux sociaux et bénéficient d’une visibilité quasiment nationale. »
Un de ses camarades de la région, Jean-Christophe Delbende, a été lynché sur les réseaux sociaux au point qu’il a dû se raser la barbe pour ne pas être reconnaissable dans la rue et déménager quelque temps. En mai 2024, pendant une manifestation festive et culturelle à Dole, près de Besançon, des militantes de Némésis ont débarqué, comme à leur habitude, avec une énième pancarte liant agressions sexuelles et personnes étrangères.
Remarquant l’affiche, Jean-Christophe Delbende s’approche et la déchire. « J’ai bien fait attention à ne pas toucher les militantes », assure-t-il aujourd’hui. Mais celles-ci crient à l’agression : « C’est une stratégie de victimisation. Lorsque je me suis approché d’elle, elle était d’un côté du lac. J’ai aperçu des hommes postés de l’autre côté avec des caméras, prêts à filmer si elles se mettaient à crier », se souvient-il.
Sa tête est mise à prix sur les réseaux sociaux. Son adresse, ses nom et prénom ont également été diffusés – la pratique est connue sous le nom de doxing, à savoir le fait de divulguer les données personnelles d’un adversaire afin de lui nuire.
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