À droite et à son extrême, de Jean-Michel Blanquer à Éric Zemmour en passant par Valérie Pécresse et Marine Le Pen, tous veulent réformer les programmes d’histoire et d’éducation civique.
La France n’échappe pas aux tentatives des partis politiques les plus réactionnaires de modifier les contenus des cours d’histoire et d’éducation civique. Valérie Pécresse, candidate « Les Républicains » à l’élection présidentielle, se réfère ainsi régulièrement à un « récit national » qu’il s’agirait de « remettre au centre des programmes ».
Marine Le Pen et Éric Zemmour évoquent plutôt le « roman national », avec cette même idée : réapprendre ce que sont la France et sa grandeur, quitte à la fantasmer et à occulter des passages de l’histoire nationale et mondiale, tout en bridant les réflexions. Des offensives qu’ils justifient par le mythe d’un « endoctrinement » des élèves par des professeurs aux idées de gauche, mais aussi par la supposée « pénétration grandissante de l’islamisme dans les écoles », dixit Christian Jacob, président LR. Deux arguments que l’actuel ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, a aussi pris à son compte.
Un climat qui inquiète Laurence de Cock, spécialiste des instrumentalisations politiques de l’histoire.
Les candidats de droite et d’extrême droite veulent s’attaquer aux programmes scolaires, faut-il y voir une tentative d’instrumentalisation de l’enseignement à des fins idéologiques ?
Oui, c’est même un signal fort. Dès qu’une personnalité ou un parti réclame un retour à l’enseignement de ce qu’ils nomment récit national ou roman national, c’est toujours le signal d’un retour à une vision franco-centrée, très nationaliste, de l’histoire et de l’enseignement, qui s’accompagne d’une vision très autoritaire. Ce qu’on peut voir dans le programme d’Éric Zemmour, qui veut revenir aux blouses, au certificat d’études… Ces deux éléments sont liés car le récit national, censé inculquer l’amour de la France, renvoie à la manière avec laquelle on enseigne l’histoire à la fin du XIXe siècle. C’est-à-dire une histoire volontairement mise au service du nationalisme et du patriotisme. Aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas, le récit national est très éloigné de la science historique. Depuis un siècle et demi, nous avons beaucoup évolué, avec désormais d’autres sources et d’autres manières de raconter l’histoire, à travers l’histoire économique et sociale, l’histoire populaire, l’histoire du monde et non pas seulement de la France… Même si cela reste insatisfaisant, les programmes scolaires se sont plus ou moins adaptés à ces nouvelles manières de raconter l’histoire.
Les droites insistent sur l’enseignement des « valeurs de la République » et d’une certaine vision de la « laïcité ». Notons que l’actuelle présidente du Conseil supérieur des programmes, Souâd Ayada, veut faire apprendre à travers « la transmission de connaissances » et « non par le débat ». Cela vous inquiète ?
C’est une vision de l’éducation civique très dogmatique sur ce que doivent être les valeurs de la République. Or, depuis soixante ans, l’éducation civique vise plutôt à ouvrir les élèves aux débats et à l’esprit critique sur la mise en pratique de ces valeurs. Ce que l’on comprend dans les discours de Jean-Michel Blanquer et Souâd Ayada, c’est qu’ils souhaitent un apprentissage, presque par cœur, d’une norme républicaine comme si elle était figée et ne s’éprouvait pas, ne se pratiquait pas. Or, si les valeurs de la République sont expliquées, pour qu’elles prennent un sens auprès des élèves, il faut qu’ils puissent éprouver leur utilité. Vouloir supprimer ces débats, c’est vouloir caporaliser les élèves, en les empêchant de fabriquer un argumentaire, le doute, la question.
Pourquoi voit-on de telles offensives sur le contenu des programmes et la façon de les enseigner ?
Ce sont des réactions à des craintes, à un prétendu endoctrinement idéologique à l’école, un entrisme de l’islam… Depuis les années 1980, ces débats reviennent régulièrement. Depuis en réalité que l’enseignement de l’histoire a été retravaillé pour s’adapter à la présence d’autres cultures, en enseignant davantage l’histoire de l’immigration, du fait colonial, du fait religieux. Cela a suscité des crispations, la droite y voyant un coup porté à l’intégrité et à l’image de la nation française. Ces dernières années il y a un retour très fort de ces crispations, qui est à mettre en relation avec les débats nauséabonds sur l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités, le wokisme… Ce qui est effrayant, c’est que les élèves sont pris en étau dans des débats politiques qui les dépassent, par des gens qui décrètent qu’il ne doit pas y avoir d’idéologie dans l’école.
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