Extrême droite. Marine Le Pen, une décennie de dédiabolisation

Marine Le Pen apparaît encore bien placée pour parvenir au second tour en 2022. Pis, les idées du FN-RN ont irrigué la société. © Thomas Coex/AFP

Marine Le Pen apparaît encore bien placée pour parvenir au second tour en 2022. Pis, les idées du FN-RN ont irrigué la société. © Thomas Coex/AFP

En janvier 2011, l’héritière de Montretout prenait la présidence du parti, à la suite de son père. Dans une nouvelle stratégie d’accession au pouvoir, elle en a policé la ligne, le style, le vocabulaire. Mais le RN demeure bien le rejeton du FN de Jean-Marie Le Pen.

C’est une décennie de pouvoir qui a débuté, en réalité, il y a près de… quatorze ans. Car, si Marine Le Pen a « pris le parti » d’extrême droite lors du congrès de Tours en 2011, c’est bien en 2007, au congrès de Bordeaux, que l’héritière s’est imposée face à son principal concurrent, Bruno Gollnisch, longtemps dauphin désigné du patriarche Jean-Marie Le Pen.

Un seul objectif

À 42 ans, et après plus de quarante ans de règne de son père sur la galaxie d’extrême droite, voilà la benjamine des Le Pen aux manettes d’un mouvement qu’elle entend alors moderniser afin d’atteindre son objectif : le pouvoir. Son premier discours de cheffe du FN est sans équivoque : « C’est de ce moment que datera l’irrésistible ascension de notre mouvement vers le pouvoir ! »

Dix ans plus tard, le parti, avec son nouveau nom de Rassemblement national, est ancré dans le paysage politique français, est arrivé en tête deux fois aux élections européennes, dirige plusieurs villes dont une de plus de 100 000 habitants (Perpignan), compte des députés en France et en Europe. Marine Le Pen est parvenue au second tour de l’élection présidentielle de 2017, et apparaît encore – à l’heure actuelle – comme bien placée pour y parvenir en 2022.

Une main de fer contestée

Pis : les thèmes et les idées du FN-RN ont irrigué l’ensemble de la société, abondamment relayés par d’autres formations et personnalités politiques – à commencer par Nicolas Sarkozy –, ainsi que par des médias dominants. Mais, paradoxalement, si Marine Le Pen tient le RN d’une main de fer avec quelques proches, elle est contestée à la fois en interne et en externe, par le reste de la droite « hors les murs », notamment sa nièce, Marion Maréchal, ou le maire de Béziers, Robert Ménard. Son empreinte sur l’extrême droite française demeure toutefois incontestable.

Un repaire d’identitaires

Pour le politologue, chercheur au CNRS et au Cevipof Bruno Cautrès, « s’il est difficile de résumer ces dix ans, le principal changement est la vraie rupture par rapport au FN de son père, dans le style et dans sa démarche de dynamique vers le pouvoir ». C’est à ce titre qu’elle engage sa fameuse « stratégie de dédiabolisation », mettant en scène un discours plus policé, multipliant les hommages aux victimes du Vél’d’Hiv ou au général de Gaulle, prenant ses distances – officiellement – avec les groupuscules extrémistes. Avec, en point d’orgue, l’exclusion de son père du FN, en 2015, pour mieux mettre en scène son refus de l’antisémitisme.

Mais, sur ce plan idéologique, et malgré sa stratégie, le RN ressemble furieusement au FN : « Son cheval de bataille n° 1 reste l’immigration », analyse Bruno Cautrès. Même si elle a ajouté au vocabulaire du RN la défense de la République et de la laïcité, son électorat sait qu’elle vise les musulmans. Et, en réalité, les éléments les plus fascisants, notamment les identitaires, sont toujours très nombreux dans l’appareil du RN, même s’ils ont été exclus des instances dirigeantes.

Marine Le Pen, comme son père, est adepte d’un fonctionnement clanique, obsédée par la trahison.

Entre 2011 et 2017, la stratégie de Marine Le Pen est personnalisée par un homme : Florian Philippot. Il s’agit alors de défendre une ligne plus « sociale et souverainiste », se plaçant dans une posture du « ni droite ni gauche », ce que Bruno Cautrès résume par une formule : « Un État protecteur, mais pour les seuls nationaux. » Pour le protégé de l’époque, une ascension jusqu’au poste de vice-président du FN qui finit par la défaite au second tour en 2017 et son départ du FN. Depuis, comme de nombreux cadres avant lui et dans la tradition des partis d’extrême droite, l’influence de Florian Philippot a disparu avec lui.

Récemment, plusieurs autres dirigeants du RN ont été écartés, car Marine Le Pen, comme son père, est adepte d’un fonctionnement clanique, obsédée par la trahison. Le dernier en date est Nicolas Bay, figure de l’aile identitaire et ancien du MNR de Bruno Mégret, proche de Marion Maréchal, qui a riposté en déclarant que « Marine Le Pen n’avait pas vocation à gagner seule ». Car, au sein de l’extrême droite française, la stratégie opposée de « l’union des droites » gagne du terrain, surtout depuis 2017 où son débat raté entre les deux tours lui vaut une forte contestation de ligne et de stratégie.

Un électorat élargi

Cependant, précise Bruno Cautrès, « Marine Le Pen a repris la main, notamment avec le succès de son protégé Jordan Bardella aux européennes de 2019, et on ne voit pas, pour la droite “hors les murs”, qui peut proposer une alternative ».

Le nombre d’adhérents est passé de 60 000 à 25 000 en quatre ans.

Sur le plan organisationnel, le bilan est peu glorieux : le nombre d’adhérents est passé de 60 000 à 25 000 en quatre ans. Marine Le Pen a cependant réussi à mener le RN aux portes du pouvoir et à considérablement élargir son électorat. Là où son père, au second tour en 2002, plafonnait à 5,5 millions de voix (17,79 %), elle a obtenu, en 2017, un peu moins de 10,7 millions de suffrages (33,9 %), lors du second tour.

Macron joue avec le feu

Elle dispose aujourd’hui d’un « ancrage fort chez les précaires, notamment les jeunes », précise Bruno Cautrès, qui rappelle que les ressorts du vote RN sont toujours là, à savoir « la crise sociale et démocratique ». Et le chef de l’État joue comme d’autres avant lui un jeu (très) dangereux : installer un duel entre lui et Marine Le Pen pour se poser en « sauveur de la démocratie ». Or, rien n’est moins sûr que ce jeu fonctionne encore. Aujourd’hui, seuls 30 % des Français considèrent le RN comme dangereux pour la démocratie contre 13 % de plus vingt ans plus tôt. Ils étaient 63 % à le penser raciste contre seulement 38 % aujourd’hui…

Des sondages donne désormais Marine le Pen proche des fatidiques 50 % au second tour de la prochaine présidentielle. D’ores et déjà candidate, elle joue son avenir politique de cheffe de file de l’extrême droite. « Pour elle, c’est une balle de match capitale », pointe Bruno Cautrès. Et derrière se profile Marion Maréchal, plus proche des identitaires et adepte d’une union des droites. Mais à dix-sept mois de la présidentielle, nous n’en sommes pas (encore) là.

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