École inclusive : « Il y a des situations terribles de souffrance »

Anne Falciola estime "que l'accompagnement au plus tôt, dès le premier degré, conditionne la suite et la possibilité de poursuivre sa scolarité". © R. Quadrini

Anne Falciola estime « que l’accompagnement au plus tôt, dès le premier degré, conditionne la suite et la possibilité de poursuivre sa scolarité ». © R. Quadrini

Anne Falciola accompagne des élèves en situation de handicap depuis plus de douze ans. Dans la rue avec ses collègues le 11 février, cette AESH raconte le quotidien de sa profession.

« On a ce cliché qui dit que nous sommes forcément des chômeurs de longue durée en réinsertion… Je l’ai en horreur, parce qu’il nous enferme dans une vision négative, péjorative. C’est la treizième année que je fais ce métier : je sais par expérience qu’on ne reste pas longtemps si on n’a pas vraiment envie. Nous sommes nombreux à exercer ce métier par choix, alors qu’on sait que les conditions ne sont pas géniales, pour permettre à tous les enfants d’avoir accès à l’école et les aider à avancer. » Anne Falciola est AESH (accompagnante d’élèves en situation de handicap) à Lagneux, dans l’Ain. Elle est aussi membre du collectif national AESH de la CGT Éduc’action : à ce titre elle a, bien sûr, pris part à la journée nationale de mobilisation de ces précaires de l’éducation nationale, le 11 février, à l’occasion du 16e anniversaire de la loi de 2005 sur le handicap. Alors elle ne tient pas trop à se mettre en avant et pense surtout à expliquer leurs revendications.

Mais elle a plus, bien plus à dire.

C’est dans le Nord, d’où elle vient, qu’elle a découvert le monde du handicap… par la danse. « En même temps que mes études en langues étrangères appliquées, je faisais de la danse contemporaine. C’est avec l’école de danse, où on accueillait des groupes d’enfants en situation de handicap, que j’ai été sensibilisée à cette problématique. Ça a été un élément déclencheur pour la suite de mon parcours. » Arrivée dans la région lyonnaise, Anne continue la danse mais suit une formation d’auxiliaire de vie sociale (AVS), employée directement par des personnes qui la paient en chèque emploi service. Là, elle découvre que « certains ne savaient pas lire, ne savaient ou ne pouvaient pas écrire ». Parce que leur handicap les avait privés d’accès à l’éducation.

Des journées non-stop

Alors, quand la loi sur le handicap entraîne la création de postes d’AVS en milieu scolaire, elle décide de postuler. Il s’agit d’abord de contrats aidés, qui deviendront ensuite des contrats de droit public, renommés AESH en 2014 – « mais les derniers contrats aidés n’ont cessé qu’en 2020 », précise Anne. Deux CDD de trois ans chacun et puis, peut-être, un CDI au bout de ces six ans. Anne est dans ce cas : « C’est pas le Graal ! On reste dans la même précarité et sur un siège éjectable. On n’est jamais titulaires de la fonction publique. » Quand le gouvernement prétend avoir « déprécarisé » les AESH en mettant fin aux contrats aidés, elle met les choses au point : « On gagne en moyenne 760 euros par mois, avec une progression de carrière si faible qu’on ne peut pas espérer une augmentation dépassant 150 euros.  » Bien loin des quelque 1 500 euros mensuels mis en avant par le gouvernement : « Nous sommes censés faire 39 heures par semaine, plus 2 heures pour les activités connexes : préparation, concertation, réunions… Mais 2 % seul ement des AESH sont à temps plein. »

Anne Falciola a un contrat de 28,5 heures hebdomadaires. Alors, pour joindre les deux bouts, « on est obligé de cumuler. On ne peut pas faire autrement ». Elle fait du soutien scolaire. Des journées non-stop parfois, de 7 h 15 le matin à 19 heures le soir : « Déjà une journée d’AESH, ce n’est pas de tout repos. On fatigue et, au niveau familial, ça devient ingérable. » D’autres sont AESH le jour et travaillent en intérim la nuit. Une de ses collègues a fini par perdre son logement et se retrouve ballottée d’hôtel en foyer, avec ses deux enfants… « On voit de plus en plus de démissions, de burn-out, de dépressions, constate Anne. Mais quand quelqu’un est absent, on ne sait pas ce qui se passe, sauf si la personne contacte le syndicat. Dans les établissements il est fréquent d’entendre : “Celle-là, on n’est pas près de la revoir…” Ce n’est ni digne, ni humain. Il y a des situations terribles de souffrance, de maltraitance. »

« On nous demande un peu tout »

La généralisation des pôles inclusifs d’accompagnement localisés (Pial) à partir de la rentrée 2019, après un an d’une expérimentation dont aucun bilan n’a jamais été tiré, n’a fait qu’aggraver la situation. Chaque Pial regroupe au minimum cinq établissements, mélangeant maternelle, primaire et secondaire. Les AESH sont « mutualisés » entre ces établissements, sans tenir compte des distances (qui peuvent être importantes en milieu rural) ni des profils, ceux des professionnels comme ceux des élèves. Cette réforme s’est accompagnée d’une baisse parfois importante du nombre d’heures d’accompagnement accordées à chaque élève : « C’est une gestion par tableau Excel, purement comptable, déplore Anne. On ne tient plus compte des besoins réels de l’élève. Alors, oui, on peut parler d’école inclusive et afficher qu’il y a de plus en plus d’élèves accompagnés. Mais les conditions de travail, d’accueil, de suivi de scolarité se sont dégradées. »

Calme, maniant l’ironie plutôt que les grands mots, elle laisse cette fois poindre sa colère : « Notre mission est importante pour ces jeunes ! On sait que l’accompagnement au plus tôt, dès le premier degré, conditionne la suite et la possibilité de poursuivre sa scolarité. » Cette souffrance due à l’impossibilité de travailler correctement se double du regard des autres, dans des écoles en manque de moyens : « On nous demande parfois un peu tout, de remplacer des Atsem ou, avec le Covid, de faire l’entretien des locaux… Et comme les chefs d’établissement participent à notre évaluation, on ne peut pas toujours dire non. Tant qu’on n’aura pas de vrai statut, ce sera comme ça. » Alors, « on se bat, et on ne lâchera pas ». Parce que ce métier « est un vrai métier, qu’il y aura de plus en plus de besoins et, j’espère, de plus en plus d’enfants scolarisés. Et parce que c’est la société qui doit s’adapter et respecter la personne en situation de handicap telle qu’elle est ».


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