L’agriculture fragilisée par les gelées d’avril

PHILIPPE DESMAZES - AFP

PHILIPPE DESMAZES – AFP

Il est encore trop tôt pour établir un bilan complet des dégâts imputables aux gelées nocturnes de ces derniers jours, mais  on sait qu’il sera  élevé. De la vigne aux arbres fruitiers,  les baisses de rendements seront sensibles cette année. Il en ira de même pour le colza et les semis de betterave à sucre sont à refaire  sur de nombreuses  exploitations. Alors que la FAO fait de 2021 l’année des fruits et légumes, la France doit aussi repenser sa politique de souveraineté alimentaire  dans ces deux filières.

Il y a quelques jours,  dans un article consacré a la dégradation du revenu  des paysans dans de nombreuses filières, nous citions aussi les conséquences  néfastes du changement climatique à partir d’une étude  de la revue Environnemental Research  Letters. Elle précisait que « la gravité des impacts combinés de la canicule  et de la sécheresse  sur la production  agricole a triplé  au cours des 50 dernières années, passant de -2% entre 1964-1990  à -7% entre 1991 et 2015 (…) Les résultats indiquent une augmentation annuelle de la fréquence des sécheresses, des vagues de chaleur, des inondations et des vagues de froid en Europe . Le nombre de sécheresses  et de vagues de chaleur  est passé de 13 jours au cours de la période 1964-1990 à 62 entre 1991 et 2015. De même, il y a eu 38 inondations et 4 vagues de froid au cours de  la première période, et 103 et 56 au cours de la seconde  respectivement », lisait-on dans cette étude.

En France, la semaine du 5 au 11 avril dernier est venue confirmer la pertinence de cette étude, via les gelées nocturnes de plus en plus fréquences au printemps, suite à la douceur hivernale. Qu’il s’agisse des vignobles bourgeonnants, des arbres fruitiers en fleur, des cultures maraîchères de plein champ ou en serre non chauffée, il a fallu mettre en place des systèmes de protection coûteux avec une importante charge de travail  pour des résultats souvent aléatoires concernant la protection des cultures. Dans certaines de nos régions, les gelées nocturnes du mois d’avril succèdent  aux inondations de l’hiver, lesquelles ont aussi causé des dégâts sur des cultures céréalières qu’il a parfois fallu ressemer au printemps, ce qui se traduit par une augmentation sensible  des coûts de production.

Des dégâts impressionnants chez les viticulteurs et les arboriculteurs

Il est encore trop tôt pour faire un bilan complet  des gelées qui ont frappé le pays en ce début du mois d’avril. Surtout que d’autres épisodes de gel nocturne peuvent encore survenir. Toutefois, dans un communiqué daté du 8 avril, la FNSEA indique que « dans de nombreuses régions, du nord au sud et de l’est à l’ouest, les dégâts sont impressionnants chez les viticulteurs et les arboriculteurs. La détresse est grande aussi dans le monde des grandes cultures ! Les impacts sur le colza, en pleine floraison, sont dramatiques, comme  sur les semis de betteraves : de très nombreux planteurs vont devoir ressemer  plus de la moitié de leurs surfaces ».

Du coup, le syndicat majoritaire souhaite « une réaction  rapide des pouvoirs publics  pour permettre aux agriculteurs de retrouver de la visibilité, notamment quant aux conditions de nouveau semis des betteraves,  et à envisager dès à présent  les mesures d’indemnisation permettant  à chacun de passer l’année difficile qui s’annonce ».  Il ajoute que « les agriculteurs attendent une détermination sans faille pour traduire en actes les possibilités  ouvertes par le règlement européen « Omnibus », la rénovation du régime des calamités agricoles ou encore la mise en place d’une nouvelle gouvernance de l’assurance récolte permettant d’associer les  agriculteurs, assureurs et pouvoirs publics ». Car « le gel de ces dernières nuits nous montre une fois de plus l’urgence d’agir ».

2021: année internationale des fruits et légumes

On sait déjà que ces gelées font faire reculer sensiblement la production de vin en France tout comme celle des fruits et légumes, elle-même très en recul depuis des années du fait de la stratégie commerciale de la grande distribution. Le 15 décembre 2020,  l’Organisation des Nations Unies  pour l’alimentation  et l’agriculture, plus connue sous le sigle FAO, décidait que  2021  serait « Année internationale des fruits  et légumes ». Il est prévu que les principaux thèmes de cette campagne soient les suivants : sensibiliser la population aux bienfaits   de la consommation de fruits et légumes pour la santé; favoriser, via leur consommation régulière, une alimentation plus saine ; faire connaître au niveau international les efforts pour accroître durablement leur production ; lutter contre les pertes et les gaspillages  tout au long  de la chaîne  d’approvisionnement.

Si chacune de ces mesures  est souhaitable, le texte de la FAO omet d’aborder les effets pervers  de la concurrence planétaire souvent fondée sur le dumping social et environnemental  qui accroît les difficultés de tous les producteurs  au bénéfice des transformateurs et plus encore des enseignes de la grande distribution dans les pays développés dont la France fait partie . Dans notre pays l’Interprofession  des fruits et légumes frais (Interfel)  et l’Agence pour l’information en fruits et légumes (Aprifel) ont décidé qu’en France la semaine du 11 au 20 juin serait consacrée  « au plaisir de cuisiner, partager  et consommer des fruits et légumes frais » à travers une multitude d’initiatives  dans tout le pays.

La France importe 60% des fruits et légumes que nous consommons

Mais le dossier de presse d’Interfel nous rappelle  aussi « qu’il y a plus de  20 ans,  65%  des fruits et légumes frais (hors pommes de terre) consommés en France  étaient produits en France, aujourd’hui nous sommes à 40% (…) C’est pourquoi Interfel souhaite cette année interpeller les pouvoirs publics, mais aussi la société civile au travers d’une communication axée sur la solidarité et la réciprocité. Tout au long de l’année  Interfel sera présent au cœur des territoires».

Votée en 2018 par la majorité parlementaire,  la loi EGAlim promise  le 11 octobre 2017 par le président Macron de mettre en place « une construction du prix partant des coûts de production » n’a pas abouti à ce résultat, bien au contraire. Car les négociations annuelles sur les prix entre les distributeurs et leurs fournisseurs obéissent à un rapport de force dont les distributeurs peuvent sortir gagnant via le recours aux importations  dans le seul but de faire baisser les prix de la production nationale de ces denrée périssables au départ de la ferme.


 En finir avec les ruineux accords de libre-échange 

 Face au réchauffement climatique, un pays comme la France dispose encore de bons atouts pour verdir sa production agricole  et pour moins dépendre des importations. Cela  passe en premier lieu par des prix agricoles tenant compte des coûts de production,  ce qui suppose aussi d’en finir avec les ruineux  accords de libre-échange entre l’Europe et les pays tiers sur fond de dumping social , fiscal et environnemental  alors que  se prépare une nouvelle forme de la Politique agricole commune  avec moins de moyens au niveau budgétaire . Notre ministre de l’Agriculture devrait donc  défendre un changement  d’orientation devant ses pairs plutôt que de rechercher le plus petit dénominateur commun avec  les orientations incohérentes  d’une Commission incompétente  acquise à l’ultralibéralisme sans en mesurer les conséquences   catastrophiques pour les prochaines décennies. Mais rien n’indique   à ce jour qu’il est prêt à le faire.

 

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