Jean-Luc Mélenchon : un « avenir en commun » soumis… à la bonne volonté du capital ? in ECO. & POL.

Oubliés le « bruit » et la « fureur » ! Désormais, Jean-Luc Mélenchon brandit avec fierté un brevet de respectabilité décerné par le président du MEDEF : « vous êtes prêt à gouverner », lui a confié Geoffroy Roux de Bézieux devant deux millions de téléspectateurs.

Gouverner, mais pour quoi faire ? Le programme du leader des « Insoumis » contient un grand nombre de propositions sociales et écologiques mais – à la différence du programme La France des jours heureux de Fabien Roussel qui consacre un chapitre entier aux moyens financiers d’atteindre six grands objectifs sociaux, écologiques et féministes – il est fort peu explicite sur les moyens de les réaliser.

Faute d’indiquer comment seront produits plusieurs centaines de milliards de richesses supplémentaires, la lecture de L’avenir en commun laisse le sentiment que ce programme n’est pas financé, qu’il s’agisse des dépenses publiques, de celles de la Sécurité sociale mais aussi de celles des entreprises. Pour y voir plus clair, on a consulté un document publié le 7 février sur le site melenchon2022.fr et intitulé Comment nous allons atteindre le plein emploi, qui a nourri le discours sur les questions économiques prononcé par le candidat en meeting à Montpellier le 13 février.

C’est en effet « le plein emploi » que vise le programme de Jean-Luc Mélenchon, et non pas un projet de sécurité de l’emploi et de la formation rendant effectifs le droit universel à l’emploi, jusqu’à l’éradication du chômage. Le document est explicite sur ce point : « le plein emploi ne veut pas dire que toute forme de chômage disparaît. Les périodes de chômage continueront d’exister, entre deux contrats » (p. 13). De fait, le plein emploi, en France, correspond à un taux de chômage de 7 % ou davantage, soit plusieurs millions de personnes.

La stratégie économique adoptée pour y parvenir est très clairement assumée : c’est un « choc de demande » avec ses deux composantes traditionnelles. La première d’entre elles est une relance de la consommation : « dégel » non chiffré du point d’indice des fonctionnaires et « hausse du SMIC à 1 400 euros net, qui impacte tous les salaires jusqu’à 2 000 euros, et représenterait, d’après ce même document, un coût de 1,8 milliard d’euros par an pour l’État ». Cette dernière indication est particulièrement énigmatique. Cela veut-il dire que l’État, et non les entreprises, prendrait à sa charge le coût de la mesure pour en faire cadeau aux employeurs ? Mais ce coût, compte tenu de la distribution actuelle des salaires dont beaucoup se retrouveraient sinon en-dessous du nouveau SMIC, est en réalité bien supérieur, de l’ordre de 20 milliards, soit dix fois plus. Ou faut-il comprendre que la somme d’1,8 milliard correspond à une baisse des cotisations sociales, qui permettrait d’augmenter le salaire net sans augmenter le salaire brut comme le préconise, par exemple, Valérie Pécresse ? Ce serait cohérent avec l’instauration d’une progressivité de la CSG en 14 tranches, préconisée par le programme L’avenir en commun et ouvrant la voie à sa fusion avec l’impôt sur le revenu, même si, contrairement à sa version de 2017, le programme actuel de Jean-Luc Mélenchon est prudemment muet sur ce dernier point.

L’autre composante du choc de demande serait « un plan de 200 milliards d’euros d’investissements (publics) écologiquement et socialement utiles, qui rempliront les carnets de commande des entreprises pour des années, leur donneront de la visibilité et leur permettront à la fois d’investir et d’embaucher ».

Laisser les patrons « faire leur métier » ?

Mais qui nous dit que les entreprises décideront effectivement d’embaucher ? C’est précisément ce qu’elles ne font pas aujourd’hui quand elles sont inondées d’aides publiques. Dans son dialogue avec Jean-Luc Mélenchon, le président du MEDEF a eu beau jeu d’annoncer, au nom de la « liberté » des chefs d’entreprises, qu’en cas de victoire de son interlocuteur « ils vont arrêter d’embaucher, ils vont arrêter d’investir ». Et même s’ils investissent, le feront-ils pour embaucher, ou bien pour supprimer des emplois et baisser le coût du travail ? Non seulement les emplois, les salaires et les recettes publiques promis par les « Insoumis » ne seront pas au rendez-vous mais la gauche sera discréditée pour longtemps, comme elle l’a été après l’échec de 1983, après celui de 1997 et après celui de 2012.

Comment Jean-Luc Mélenchon prétend-il les faire changer d’avis ? Par une « planification écologique » qui « donnerait de la visibilité » aux chefs d’entreprises et stimulerait leur appétit de produire et d’embaucher : bref, le grand retour du « Plan réducteur d’incertitude » qui avait fait merveille au service de la rentabilité des grands groupes privés, de Jean Monnet à Georges Pompidou, avant que le capitalisme monopoliste d’État n’entre dans la crise où il se débat encore aujourd’hui.

En un mot, le « keynésianisme » traditionnel et fort peu révolutionnaire dont se réclame très explicitement le programme « insoumis » ignore une réalité : le capital, ses exigences de rentabilité et la loi qu’il fait régner sur la gestion des entreprises.

Rien – ni pouvoirs d’intervention et de décision des salariés sur les choix d’investissements et de production, ni nationalisation des grandes banques et de grands groupes stratégiques, ni action concrète pour réorienter le crédit bancaire et la création monétaire de la BCE, ni mobilisation des acteurs économiques dans des conférences pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique – n’est prévu dans ce programme pour opposer au capital une autre logique, matérialisée dans d’autres critères.

Le mot « nationalisation » ne figure nulle part dans L’avenir en commun, sauf à propos de la branche énergie marine d’Alstom et de la branche éolienne offshore d’Areva. La création d’un « pôle public » du médicament ne comporterait pas la nationalisation de Sanofi. Le « pôle public bancaire » ne reposerait pas sur la nationalisation des banques privées mais sur une « socialisation » des « banques généralistes » dont on lit pourtant au paragraphe précédent qu’elles disparaîtraient sous l’effet d’une séparation entre les banques d’affaires et les banques de détail. Tout au plus la « modulation de l’impôt sur les sociétés pour encourager l’investissement en France et pénaliser le versement de dividendes » garde-t-elle une trace de l’alliance de Jean-Luc Mélenchon avec le PCF aux temps lointains du Front de gauche. Lorsqu’il est question de « poser un cadre aux entreprises en termes de salaire minimum, d’écarts de salaire maximum, d’impératif de protection des travailleur·ses », il s’agit seulement de « mieux partager des richesses qui existent déjà » (p. 23 du document cité plus haut). On ne saurait être plus clair.

« Garantie d’emploi » : après l’« État providence », un État ambulance ?

Dès lors qu’on renonce à agir à la fois sur la demande et sur l’offre, sous prétexte que « nous ne pouvons pas compter sur l’arbitraire du CAC 40 pour être utile au bien commun et créer les millions d’emplois dont nous avons besoin », il ne reste plus qu’à proposer à 1,8 million de chômeurs de longue durée une « garantie d’emploi » qui consiste à les embaucher aux frais de l’État et des collectivités territoriales, non dans un statut de fonctionnaires assorti des formations nécessaires à l’exercice de véritables emplois (en particulier pour des pré-embauches de jeunes soignants ou enseignants), mais dans un statut qui ne soit ni public ni privé, pour des durées hebdomadaires « comprises entre 20 et 35 heures » et avec une enveloppe budgétaire de 18 milliards d’euros qui correspond à une rémunération moyenne de 833 euros bruts par mois.

En un mot, en renvoyant toute l’application du programme à l’État et aux finances publiques, tout en s’en remettant, conformément à sa doctrine constante, aux choix des patrons, donc du capital, pour l’offre et la création de richesses, Jean-Luc Mélenchon ne prévoit rien pour échapper au scénario que nous avons déjà connu sous Jospin et sous Hollande : une dénonciation enflammée de « la finance » et des inégalités sociales, des tentatives d’augmenter les impôts en début de mandat, vite balayées par la résistance d’un patronat trop content de mettre, sur ce sujet, la population de son côté, et finalement un ralliement sans gloire aux politiques d’austérité et de baisse du coût du travail.

Éviter la répétition de ces enchaînements désastreux pour la gauche en donnant de la force à une autre logique économique, à une prise de pouvoir des travailleurs et des citoyens sur l’utilisation de l’argent des entreprises et des banques : c’est précisément là l’utilité de la campagne de Fabien Roussel, du programme dont il est porteur, et de l’influence que pourront lui donner les millions d’électeurs qui manifestent désormais leur intérêt pour sa candidature.

 

 


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