Des augmentations de 11 % en un an, des salaires qui stagnent, des épisodes climatiques extrêmes… Un cocktail explosif pour les consommateurs et les producteurs. Pourtant des solutions existent, assurent le PCF et le Modef.
Entre l’explosion du prix des intrants agricoles, la sécheresse et la canicule, les agriculteurs voient leurs coûts de production flamber. Suffisant pour expliquer l’inflation galopante de ces denrées de première nécessité ? Pas selon le Modef, qui pointe plutôt la responsabilité de la grande distribution et des centrales d’achats. En réponse à ce modèle qui détruit à la fois la planète, le pouvoir d’achat des consommateurs et les exploitations agricoles, le syndicat et le PCF s’associent, comme chaque année, pour une vente solidaire de fruits et légumes, à partir du 18 août. « Cette initiative prend une dimension toute particulière dans une période où le pouvoir d’achat des Français est exsangue », justifie Ian Brossat, porte-parole communiste.
1. Comment expliquer la valse des étiquettes ?
L’hiver dernier a été plutôt doux et le gel avait épargné les cultures, laissant présager une saison estivale 2022 plutôt positive pour le maraîchage. Mais c’était compter sans l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a provoqué le renchérissement des engrais et de l’énergie, et sans la sécheresse qui s’est installée depuis mai et les différentes vagues caniculaires. La hausse des coûts de production et la météo impitoyable seraient, nous dit-on, l’explication à l’explosion des prix des fruits et légumes. À cause du manque d’eau et de la chaleur, les salades, les choux-fleurs et les pommes de terre poussent mal. « Au-delà de 35 degrés, les fleurs de tomate tombent. C’est la même chose pour les haricots verts », explique Vincent Delmas, secrétaire national de la Confédération paysanne. Certains s’interrogent même sur un risque imminent de pénurie, faute de pouvoir faire pousser, dans nos contrées, de quoi nous sustenter. La production française a diminué de 25 à 35 %, cet été.
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Pour autant, « les étals ne sont pas vides car on importe, relève Raymond Girardi, vice-président du Modef (lire notre entretien p. 4). Alors, pourquoi les fruits et les légumes sont chers ? » D’après le syndicaliste, la réponse n’est pas à chercher du côté du ciel mais plutôt de la grande distribution. « L’augmentation des prix est purement spéculative, pour faire des marges sur ces produits d’appel », dénonce-t-il. Comment justifier, en effet, que des tomates vendues aux distributeurs entre 1,10 et 1,20 euro se retrouvent à quasiment 5 euros dans les supermarchés ?
Les prix des légumes bio ont, en revanche, diminué de 3 % selon Familles rurales. « Les prix n’ont jamais été aussi bas, note Vincent Delmas. Mais c’est parce que l’offre a augmenté du fait des reconversions liées au Covid et que la demande s’est tassée. » Reste que ces produits, parfois deux fois plus chers que leurs équivalents conventionnels, sont hors d’atteinte pour nombre de Français au pouvoir d’achat modeste.
2. Agriculteurs, premières victimes de l’inflation
« Si les consommateurs paient trop cher leurs fruits et légumes, ce n’est pas parce que les paysans gagnent trop », alerte Raymond Girardi. Ces derniers sont même, comme souvent, les premiers perdants de la hausse des prix. Ils ne bénéficient en rien du renchérissement des fruits et légumes. D’un côté, le montant de leurs dépenses augmente (essence, engrais, produits phytosanitaires…) ; de l’autre, leurs revenus n’augmentent pas. « La crise énergétique et le prix des intrants sont uniquement supportés par les producteurs », assure Raymond Girardi. Et Vincent Delmas de renchérir : « La grande distribution s’en fiche. Ça fait trente ans qu’elle fait disparaître les petits agriculteurs ! »
La sécheresse et la canicule ont déjà fragilisé leurs sols, voilà que la grande distribution, qui refuse toujours de rogner sur ses marges pour offrir un prix rémunérateur aux paysans, vient s’attaquer à leur compte en banque. Selon le Modef, un maraîcher sur deux risque de disparaître à court terme. « Cela veut dire que ces producteurs n’ont pas de revenu et sont obligés de piocher dans leur épargne, s’ils en ont, pour compenser le manque à gagner », s’alarme Raymond Girardi.
3. Consommateurs, des arbitrages au détriment de la santé
Côté consommateurs, à l’heure des courses, ticket de caisse rime de plus en plus souvent avec sueurs froides. « Je n’ai plus d’autres choix que de tout compter et je n’achète que le strict minimum », résume une femme de ménage à deux pas du marché de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), quand Ahmed, un enseignant qui vit seul avec son fils, explique près d’un étal parisien qu’avec un « salaire qui ne compense pas l’inflation », il « n’arrive plus à joindre les deux bouts ». Et pour cause, derrière l’inflation de 11 % entre 2021 et 2022, le coût des fruits et légumes « a explosé de près de 40 % en une décennie, soit trois fois plus que le niveau général des prix », calcule Familles rurales.
Et les plus précaires sont en première ligne : selon une enquête de la Fédération française des banques alimentaires réalisée au début de l’été, 80 % des bénéficiaires font part d’un besoin de soutien accru et 90 % pointent en particulier l’accès, aux côtés de la viande, aux fruits et légumes. « Pour une famille de quatre, manger en respectant les recommandations de l’OMS – dont les cinq fruits et légumes par jour – représente entre 450, avec un strict minimum, et 700 euros par mois, avec un panier plus classique », pointe Jean-Baptiste Baud, l’un des responsables de Familles rurales. Pour les seuls fruits et légumes, c’est entre 8 et 16 % d’un Smic par mois pour le panier type constitué par l’association. Conséquence directe : des arbitrages au détriment d’une alimentation saine et équilibrée. Or, « chaque année on dépense en France plus de 20 milliards d’euros pour lutter contre les maladies liées à une mauvaise alimentation. Si on n’agit pas, d’ici à 2050, du fait de l’obésité, on pourrait perdre 2,3 années d’espérance de vie », souligne Jean-Baptiste Baud.
4. La question du mode de production sur la table
Face à l’urgence encore accrue cette année, « nous défendons à fois la garantie de prix rémunérateurs pour les producteurs et un contrôle des prix pour les consommateurs, avec une restriction des marges de la grande distribution », explique Adrien Tiberti, secrétaire du PCF Paris, qui sera à pied d’œuvre dès l’aube ce jeudi matin sur la place de la Bastille. Établir ce « juste prix » passerait notamment par un « coefficient multiplicateur » : « Quand 1 kilo de tomates est acheté 1 euro à un producteur, il ne pourrait être revendu à plus de 1,70 euro », détaille Raymond Girardi.
Outre le modèle de distribution, avec la crise environnementale, la question du mode de production est aussi sur la table. Après les opérations de ce jeudi à Paris et dans le Val-de-Marne, en Seine-Saint-Denis le PCF s’associera à Kelbongoo, une entreprise de l’économie sociale et solidaire, pour de nouvelles ventes directes le 24 août. « Il s’agit de plaider pour l’accès, dans les quartiers populaires, à des petits producteurs de proximité et de qualité, en bio ou agriculture raisonnée. C’est une question importante pour tous, pas seulement pour ceux qui en ont aujourd’hui les moyens », assure Nathalie Simonnet, responsable du PCF dans le département. D’autant que, face à l’inflation, les mesures du gouvernement votées au début de l’été sont loin d’être à la hauteur. « La revalorisation des allocations, des pensions, du point d’indice… tout est en dessous de l’inflation. Sans parler des salaires que les droites ont refusé d’augmenter », dénonce la communiste. Familles rurales comme d’autres organisations plaident pour que l’exécutif mette en œuvre sa promesse de chèque alimentation, soit « une aide ciblée sous conditions de ressources sur des produits alimentaires sains ». Modef et PCF, eux, pointent avant tout l’urgence d’augmenter le Smic, les salaires et les pensions.
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