Encore faut-il « voir la réalité en face » et bien mesurer le rapport des forces, nous dit Franck Marsal, en commentaire au texte d’hier La machine de guerre continue de tourner et en réaction au vote inique du Conseil constitutionnel (note de Marianne Dunlop pour Histoire et Société)
Nous ne pouvons pas penser que des “changements comme il ne s’en est pas passé depuis cent ans” ne nous concerneront pas, ne nous bousculeront pas ou pourront simplement se dérouler à l’extérieur, se régler entre la Russie, la Chine et les USA. Non, nous aussi nous allons vivre, d’abord subir des changements et nous aussi nous devrons en être acteurs, les imposer. Surtout si l’on se veut communistes.
Au fond, ce qui nous est présenté comme “la décision du conseil constitutionnel” et ce que nous dit cette (pour l’instant) inexorable montée vers la guerre, c’est cette même chose. L’avenir nous appartient, mais on pourra nous le voler aussi longtemps que nous ne nous en saisirons pas. On nous volera notre retraite tout comme on volera les vies des jeunes, fauchés par la guerre.
Le premier changement est celui-là : la machine tourne, elle est en marche, elle ne se laisse pas arrêter par quelque sentiment, elle n’admet plus de faux-semblants. Elle s’expose et s’impose par la force. Elle fait même de son absence totale de pudeur et de sentiment son choix délibéré. Montrer que rien n’arrête la machine, voilà le premier objectif. Piétiner le parlement fût une démonstration. Soumettre le conseil constitutionnel est juste une formalité. Montrer qu’on est prêt à avoir des morts dans la répression des manifestations, ce fût fait à Sainte Soline. L’objectif de la manifestation n’était pas important. L’important, ce fut la démonstration, pas même de force, mais d’absence totale de scrupule.
Absence de scrupule, mensonge, volonté délibérée d’imposer, coûte que coûte. Au fond, n’est-ce pas simplement que ce qui se passait hier ailleurs, en Irak, en Afrique, dans le Donbass, est en train de se dérouler aussi ici ?
Il y a deux façons de voir ce qui se déroule, ici, comme là-bas. La première consiste à ne voir cela que comme des exceptions à la normalité, à les dénoncer, à s’offusquer. Appeler à la paix, au respect de la démocratie, au référendum … Peut-être que Macron est une erreur, que l’OTAN et sa politique belliciste sont aussi des erreurs à rectifier. Peut-être qu’en dénonçant ces erreurs, on pourra espérer revenir au monde d’avant. Dans ce vieux monde, les discussions diplomatiques réglaient en paix les questions internationales, et les discussions parlementaires et électorales réglaient les questions de politique nationale.
La seconde consiste au contraire à prendre ce qui se déroule comme quelque chose de sérieux, comme le signe d’une nouvelle “normalité”. A considérer que le monde d’avant ne reviendra pas. Que les classes sociales et les nations qu’elles dirigent sont engagées dans une lutte terrible pour leur existence et que seuls compteront les rapports de force.
Cela me mène à une phrase que j’ai entendu ces derniers temps, selon laquelle il faudrait trouver un “débouché politique” afin de “donner de l’espoir”. L’espoir fait vivre dit-on. Mais face aux dangers, la lucidité est meilleure conseillère que l’espoir. Est-ce le sens d’un appel au référendum d’initiative partagée, retoqué par le conseil, mais que l’on s’empresse de redéposer ? S’agit-il d’offrir un “débouché”, de ne pas “désespérer” ? Mais n’est-ce pas prendre surtout le risque d’une nouvelle déception ? N’est-il pas meilleur espoir que la lucidité ? Regarder la situation bien en face, mesurer le danger et les forces qui nous font face. Accepter la difficulté de la tâche afin de rassembler toutes nos forces pour les moments décisifs.
Je fais ce parallèle avec la guerre en me remémorant les phrases de ces combattants du Donbass, qui protestaient contre les marchands de bonnes nouvelles, contre ceux qui disaient que la victoire serait facile, qu’elle était inéluctable, que les armes de l’OTAN étaient de mauvaise qualité, les soldats d’en face mal formés, etc. Les combattants réclamaient la vérité et la lucidité, parce qu’elles sont des conditions nécessaires de la victoire. Parce qu’à sous-estimer l’adversaire, on ne se prépare que des réveils douloureux.
Nous en avons également besoin. Voir la réalité en face et ne compter que sur nos propres forces.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.