« Si le sport reste dans l’entre-soi, on ne peut pas mener le combat de l’éthique », analyse Marie-George Buffet

Après huit mois d’auditions et de réflexion, le Comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique dans le sport a rendu son rapport, ce jeudi 7 décembre, à la ministre, Amélie Oudéa-Castéra. Coprésidente de cette commission, l’ancienne ministre communiste Marie-George Buffet livre ses réflexions.

Marie-George Buffet, ancienne ministre des Sports, lors d’une réunion au siège du MEDEF, le 5 juin 2023 à Paris. Jeremy Paoloni/ABACAPRESS.COM

Crée à la demande de la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, au mois de mars après la démission de Noël Le Graët de la présidence de la Fédération française de football et le départ forcé de Bernard Laporte de celle du rugby, suite à sa condamnation pour corruption en première instance, le Comité national pour le renforcement de l’éthique et de la vie démocratique dans le sport a rendu son rapport, jeudi 7 décembre. Coprésidente de cette commission avec l’ancien champion d’athlétisme Stéphane Diagana, Marie-George Buffet détaille les recommandations avancées pour renforcer les institutions et promouvoir une meilleure gouvernance du sport français.

Lors de son procès, la juge avait demandé à Bernard Laporte s’il avait lu la charte d’éthique et de déontologie du sport français, la réponse de l’ancien président de la FFR avait été la suivante : « Je ne l’ai pas lu, mais j’en ai entendu parler ». N’est-ce pas là, l’aveu résumé d’une méconnaissance du sujet de nombre de dirigeants sportifs ?

Je dirais que c’est l’une des images de l’état du mouvement sportif aujourd’hui. Dans d’autres fédérations, heureusement, des bénévoles se sont emparés de cette charte. Mais il est vrai que pour nombre d’entre elles, elle est restée quelque chose de formel qui n’a pas motivé de débats internes ni prises de décisions. À chaque fois que les fédérations ne sont pas concertées directement dans la promulgation d’une loi qui va les concerner, il y a un flou… Or elles doivent s’en emparer.

Malgré l’obligation faite aux fédérations de créer leur comité d’éthique, quatre n’en ont toujours pas. N’est-ce pas aussi un problème ?

Ce n’est pas tellement le nombre que je veux retenir, mais leur composition, le rôle qui leur a été assigné et leurs moyens. Or si certaines fédérations se sont emparées du sujet et ont mis en place de vraies structures, d’autres n’ont pas fait grand-chose, et surtout ont laissé à leur seul président la possibilité de saisir ce comité. Grâce aux auditions, nous avons appris que certains clubs n’étaient même pas au courant qu’un comité d’éthique existait au sein de leur fédération. Enfin, il y a aussi toutes ces petites fédérations qui n’ont pas les moyens humains de mettre en place ce genre de structure. C’est pour cela que nous voulons responsabiliser le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) et transformer son comité de déontologie en comité d’éthique supra fédéral, en charge de s’autosaisir de tous les problèmes du mouvement sportif français, mais aussi de se substituer à des comités d’éthique inopérants.

Ces dernières années, nombre de fédérations ont connu des dysfonctionnements. L’absence d’une réelle vie démocratique au sein des instances semble être la cause de nombreux problèmes. Comment y remédier ?

Lorsque Madame la ministre des Sports nous a confié cette mission, la vie démocratique venait bien loin dans ses préoccupations. Mais plus nous avons auditionné le monde du sport, et plus nous avons eu la conviction que si nous ne faisions pas évoluer la vie démocratique au sein du mouvement sportif, nous ne pourrions pas mener le combat de l’éthique et de la protection des pratiquantes et des pratiquants. S’il n’y a pas un débat au sein des fédérations, des Ligues etc., si l’on reste dans l’entre-soi, si ce sont les hommes du président qui dirigent les affaires, il est impossible de faire bouger les choses. Cet entre-soi, je l’ai fortement ressenti et il ne permet pas de prendre en charge toutes les exigences sociétales, sociales et éthiques d’aujourd’hui.

Nous proposons donc que les clubs qui sont au cœur du système constituent dorénavant un corps électoral et participent à l’élection de leur direction. Il faut qu’ils puissent être aux AG et même se saisir de questions qu’ils considèrent comme importantes pour les mettre à l’ordre du jour. Si nous voulons qu’il y ait débat, il faut que les oppositions soient aussi mieux représentées. Cela veut dire de véritables élections à la proportionnelle. Cela passe évidemment par une rapide parité entre les hommes et les femmes dans les instances de direction. Celles-ci doivent imposer leurs compétences et leurs visions, ce qui permettrait d’aller beaucoup plus vite dans ce combat pour l’éthique. Dernier point, il est nécessaire que la gestion financière des fédérations soit totalement transparente avec un règlement conforme à toutes les fédérations.

Cela veut-il dire qu’il y a eu des abus ?

Nous avons constaté que dans certaines fédérations, il y avait des rémunérations de certains dirigeants qui n’obéissaient à aucune règle. Nous avons aussi vu, au travers de certaines affaires récentes, qu’il y avait un cumul entre une responsabilité de dirigeant dans une fédération et des contrats passés par cette fédération avec des fournisseurs. La gestion des ligues professionnelles interpelle aussi avec des contrats passés avec des fonds financiers, avec des commissions versées aussi à certains membres de ces ligues… Dans la vie publique, il y a dorénavant une volonté de plus grande de transparence des indemnités des élus, ce qui est très bien, je pense qu’il faut appliquer les mêmes règles pour les dirigeants du mouvement sportif.

Justement que proposez-vous pour lutter contre la diminution des bénévoles exerçant des fonctions dirigeantes et rendre le bénévolat plus attractif ?

Si nous voulons que des gens qui exercent une activité professionnelle, que des femmes prennent des responsabilités au niveau des directions des fédérations, des ligues, ou des districts, il est nécessaire de mettre en place un système d’indemnisation comme cela se fait pour les élus au niveau territorial. Ils sont certes bénévoles, mais ils ont le droit d’être indemnisés pour le temps et la compétence qu’ils mettent dans leur engagement. Il y a aussi d’autres voies possibles, comme le bénéfice de trimestres de retraite ou encore les décharges horaires qui existent pour l’engagement syndical.

Ces dernières années, l’État s’est trouvé souvent démuni face aux dysfonctionnements des fédérations. Que proposez-vous pour lui donner des leviers d’action supplémentaires ?

Aujourd’hui l’État, à travers le ministère des Sports, a assez peu de moyens d’action. Un contrat est signé entre les fédérations et la puissance publique sur les objectifs, mais il y a peu de moyens de contrôle ou d’évaluation pour savoir où en est une fédération dans la mise en œuvre. Bien sûr, l’État peut toujours enlever l’agrément d’une fédération sportive, mais c’est l’arme atomique.

Ce que nous proposons, ce sont des moyens de contrôle et des modes de sanctions gradués, comme la mise en demeure, puis limiter le versement de la subvention prévue, pour donner à l’État les moyens d’agir afin que la fédération redresse la situation. On propose aussi que le comité d’éthique supra fédéral, à la demande de la puissance publique ou du comité d’éthique fédéral, puisse suspendre tel ou tel dirigeant de ses responsabilités. C’est un outil qui permettrait à la fédération concernée de rouvrir le débat, de voir ce qui se passe, sans que le ou les dirigeants incriminés ne soient là pour faire pression.

Pour lutter contre les violences sexuelles et sexistes, vous préconisez la création d’une agence indépendante. Les comités d’éthique fédéraux ne sont-ils pas en mesure de régler ces problèmes ?

Ce point a fait l’objet d’un long débat au sein du comité. Nous avons voulu responsabiliser le mouvement sportif à travers la valorisation des comités d’éthique et du comité d’éthique supra fédéral. Mais, après maintes auditions, nous avons considéré que, pour les violences sexistes et sexuelles, il fallait absolument permettre aux victimes de pouvoir s’adresser en dehors du lieu où elles avaient été victimes de violences, c’est-à-dire qu’elles puissent avoir vraiment un interlocuteur extérieur au mouvement sportif.

Il est extrêmement difficile, notamment pour des jeunes gens qui sont en préparation de compétition et en lien très direct avec leurs entraîneurs et dirigeants, d’échapper à toute emprise et de parler. Il faut que ces victimes puissent s’adresser de façon, bien sûr anonyme, à une institution exogène capable de donner suite à ces signalements, d’accompagner la victime et puis de se tourner soit vers la justice, selon les cas, soit vers les comités d’éthique rénovés pour qu’il y ait une sanction. Si on ne met pas en place cette agence, on ne pourra pas aller au bout, car il y a encore beaucoup d’endroits dans le mouvement sportif où on n’est pas apte à prendre en compte les exigences sociétales et éthiques de notre époque.

En ce qui concerne la formation initiale et continue des encadrants (entraîneurs, éducateurs…), le comité appelle à la création d’un institut dédié aux enjeux de formation, porté par le mouvement sportif. Qu’en est-il ?

L’idée, c’est surtout de rendre obligatoires, au-delà de la préparation physique et du rapport à la performance, des modules de formation liés à tout ce qui concerne le respect de l’individu, de son intégrité physique et psychique. Aujourd’hui, les fédérations font souvent appel à des associations ; nous pensons qu’il faut aussi un institut qui aide les dirigeants et les encadrants sur ces questions puisqu’ils n’ont pas reçu ce type de formation. Un institut existait jusqu’en 2016 au sein du CNOSF, mais il a disparu…

Quelle mise en œuvre de vos recommandations et quels délais préconisez-vous ?

Concernant la mise en œuvre, je le dis : ne refaisons pas les erreurs commises ces dernières années ! Organisons un vrai débat au sein du mouvement sportif pour qu’il puisse se saisir de ces outils. Il faut qu’on prenne le temps d’une consultation structurée, pourquoi pas dès le premier trimestre 2024 avant les JO puisque l’activité physique a été décrétée grande cause nationale, pour aboutir à une loi-cadre fin 2024. Ensuite, ce combat ne peut pas rester franco-français.

Il faut que la France se tourne vers l’Union européenne pour qu’on réfléchisse ensemble à comment avancer sur ces questions d’éthique et de démocratie dans le sport et peut-être aller plus loin avec l’UNESCO, comme on l’a fait pour la création de l’agence mondiale antidopage, afin de porter ces idées au niveau international.

En cette période de restriction budgétaire, pensez-vous que les propositions du comité trouveront un financement ?

On ne peut pas dire qu’on va organiser des JOP 2024 magnifiques, se féliciter que la candidature française a été retenue pour les JOP d’hiver 2030 et, ensuite, qu’entre ces deux échéances, les moyens du ministère des Sports restent atones. Ce serait totalement contradictoire. Si on veut, soi-disant, que la France soit une nation sportive, alors il faut mettre les moyens et faire passer le budget des Sports de 0,3 % à 1 % du budget de l’État.

 


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