Loi des finances 2024. Pour Olivier Morin ( Modef) : « Les paysans sont les victimes de ce nouveau 49.3 » + N° 1 & 2 de TerreMer

La Première Ministre a de nouveau dégainé l’article 49.3 de la Constitution, ce jeudi 14 décembre, faisant ainsi passer sans vote la partie recettes du projet de loi de finances (PLF) 2024. Ce texte législatif ne répond pas aux attentes des petits exploitants agricoles, déplore Olivier Morin, secrétaire national du Modef et agriculteur biologique dans l’Indre.

« Le paysan doit pouvoir disposer d’un temps libre des paysans plus ou moins calqué sur celui des salariés »
GAIZKA IROZ / AFP

 

Champagne pour la FNSEA, soupe à la grimace pour l’agriculture paysanne. En faisant adopter en force la partie recettes du projet de loi du budget de l’Etat (PLF) 2024, via une vingt-et-unième utilisation du 49.3, Elisabeth Borne a fait une heureuse jeudi dernier. La fédération patronale a obtenu un amendement de dernière minute revenant sur une hausse de taxes destinées à limiter l’usage des pesticides et les prélèvements d’eau.

Pas de quoi cependant ravir tout le monde paysan. « Ce budget est néfaste pour l’agriculture familiale », a dénoncé le Modef qui a manifesté contre jeudi dernier. Et ce n’est pas le « projet de loi d’orientation et d’avenir » censée assurer la souveraineté alimentaire, que le ministre Marc Fesneau dévoile par petits bouts ces derniers jours avant un éventuel examen au Parlement au premier trimestre, qui rassure le syndicat revendiquant une « agriculture rémunératrice, solidaire, durable et responsable »

Vous avez organisé un rassemblement ce jeudi 14 décembre devant l’Assemblée nationale pour dénoncer les faiblesses du PLF 2024 concernant les agriculteurs. En quoi ce texte ne répond-il pas aux attentes du monde paysan ?

Le budget du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire s’établit pour 2024 à 7 milliards d’euros, dont 2 milliards pour l’enseignement agricole. C’est largement inférieur aux besoins. Prenons l’exemple des mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) que les agriculteurs contractent via les crédits de la Politique agricole commune (ces financements concernent un ensemble de mesures permettant de soutenir des exploitations agricoles qui s’engagent dans le développement de pratiques agro-environnementales telles que l’entretien des haies, des mares… ndlr). Les crédits de paiement pour ces pratiques baisseront de 35 % par rapport à 2023, alors que les budgets actuels sont déjà insuffisants pour honorer les contrats signés. Par exemple, en Bretagne, le budget pour 5 ans est de 90 millions d’euros, alors que les besoins estimés s’élèvent à 150 millions d’euros.

Vous êtes aussi très remontés au sujet du bio

L’agriculture biologique se trouve en grande difficulté du fait de la baisse de consommation de ses productions, conséquence de l’inflation et de la perte de pouvoir d’achat. Aujourd’hui, les ventes de bio reculent. Sa part dans la surface agricole utile stagne à 10,7 %, alors que le gouvernement s’était quand même fixé un objectif de 15 % pour 2022 et 18 % pour 2027. La tonne de blé bio est vendue presque au même prix que celle en agriculture conventionnelle : 230 euros contre 200 euros. Mais les coûts de production sont bien supérieurs en bio. Cela fait longtemps que nous réclamons une fixation du prix des denrées alimentaires, notamment des céréales, par des conférences annuelles entre les différents acteurs. Rappelons que 100 000 exploitations agricoles ont disparu entre 2010 et 2020 et que 45 % des agriculteurs devraient cesser leur activité d’ici à 2026. Il y a donc urgence à agir.

Mais dans le même temps, la majorité prévoit de doter le fonds « Avenir bio » de 18 millions d’euros. N’est-ce pas une bonne réponse ?

C’est bien, certes, mais rien n’est prévu pour faire face aux difficultés des producteurs bio. On en arrive à à ce que certains commencent à envisager un passage à l’agriculture conventionnelle puisque que ce qu’ils gagnent ne leur suffit pas pour vivre. La bascule peut arriver dans les jours ou dans les mois suivants, notamment pour les producteurs de porc, ou de céréales. La filière bio doit être mieux accompagnée par le gouvernement. Selon nos calculs, un soutien renforcé à l’agriculture biologique nécessiterait 151 millions d’euros, fléchée en fonction des demandes et des besoins évidemment. Mais il est évident que le soutien à ce type d’agriculture doit se faire via un soutien aux revenus des paysans. D’autant que nous parlons d’une aide exceptionnelle. Nous n’évoquons pas des mesures plus globales d’encadrement des prix, de prix plancher rémunérateurs en fonction des volets de production…

« La filière bio doit être mieux accompagnée par le gouvernement »

Vous dénoncez un budget insuffisant alloué à l’agriculture familiale. Mais selon vous, à qui sont alloués justement ces fonds à la place ?

Nous n’avons pas encore étudié toutes les lignes budgétaires. Mais nous avons déjà pointé le fait que l’assurance récolte dispose d’un budget dont le montant atteint 580 millions d’euros. Une dotation de 125 millions d’euros a été provisionné en plus par rapport au budget 2023 pour faire face aux aléas et aux crises sanitaires. Cela paraît positif. Mais l’assurance climatique telle qu’elle fonctionne aujourd’hui conditionne le versement des aides de l’État en cas de calamité à la signature au préalable d’un contrat d’assurance récolte avec une compagnie d’assurance privée. Ainsi, si jamais la grêle vient abîmer tes récoltes, si tu n’as pas souscrit de contrat avec Groupama ou un autre, non seulement tu ne touches évidemment pas les dédommagements liés à ton assurance, mais en plus, les aides d’Etat te passe sous le nez. Il faut aussi noter par ailleurs que 578 millions d’euros seront consacrés en 2024 aux dispositifs d’exonération de cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels.

Comment avez-vous réagi lorsqu’Elisabeth Borne a de nouveau utilisé l’article 49.3 pour faire passer ce projet de loi de budget 2024 ?

Ce 49.3, les paysans en sont victimes. Et ça, il faut que le gouvernement en prenne conscience. Quand le Parlement n’a pas la possibilité de discuter ni d’amender le budget de l’Etat, nous, les petits et moyens paysans, nous sentons floués. Car les mesures contenues dans ce projet de loi de finances ne sont pas en faveur de notre modèle familial, résilient, d’exploitation agricole.

Quelles sont donc les revendications du Modef ?

La souveraineté alimentaire est un grand enjeu. Il nécessite donc des mesures concernant l’installation des paysans, le renouvellement des générations, la transition écologique et la régulation du foncier. Pour tout cela, nous revendiquons un budget spécifique supplémentaire de 1,1 milliard d’euros, pour que l’engagement de l’Etat soit à la hauteur de celui du monde paysan. Ensuite se pose aussi la question de l’attractivité du métier. Pour le rendre plus séduisant, il faut une aide complémentaire aux revenus. On sait que, lorsqu’ils s’installent, les jeunes agriculteurs ne se dégagent parfois pas de revenus les premières années, car ils doivent faire face à tout un tas d’emprunts. Nous demandons ainsi une augmentation de 60 millions d’euros du budget d’aide complémentaire aux revenus pour les jeunes agriculteurs. Enfin, nous souhaitons également que l’on puisse augmenter le nombre de jours de services de remplacement. Quand on fait de l’élevage, nous sommes contraints d’être présents au côté de nos animaux sept jours sur sept. Donc, si l’on veut s’absenter, pour tout un tas de raisons, il faut que l’on puisse avoir des jours de substitution. Nous ne devons plus avoir à craindre le lendemain. Le paysan doit pouvoir disposer d’un temps libre des paysans plus ou moins calqué sur celui des salariés.


Lire aussi: Retrouvez ici les numéros de TerreMer, la lettre de la commission Agriculture du PCF



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