Djéhanne Gani est enseignante, professeure dans un collège public d’éducation prioritaire et attachée à l’école publique. Comme beaucoup de ses collègues, elle s’est indignée des propos tenus par la Ministre mais se réjouit que ces derniers permettent de lever le voile sur le sujet essentiel qu’est l’absence de mixité dans certains établissements publics français.
Merci madame la Ministre,
D’avoir remis à l’idée du jour dès les premières heures de votre mandat la question centrale – souvent esquivée – de l’enseignement privé sous contrat, un sujet majeur de l’École.
Comme vous, je fais partie des nombreux citoyens, préoccupés par l’éducation des enfants de la République, de tous nos enfants. Comme vous, nous leur souhaitons une éducation de qualité épanouissante et heureuse. Le choix du service public d’éducation doit être fait pour eux, comme pour notre démocratie.
Alors que certains craignaient l’effacement de l’éducation nationale dans votre large portefeuille, vous avez su démentir cette crainte et nous vous en remercions. L’école publique mérite d’être au cœur du débat public. Grâce à vous, c’est aujourd’hui le cas, et vous en avez saisi l’enjeu et le levier principal : oui, il est urgent et nécessaire de débattre de l’école privée sous contrat, financée à trois quart par l’argent public au service des familles souvent les plus favorisées. En effet, comme vous devez le savoir, cette école «subventionnée», n’est soumise à aucune condition de mixité sociale ou de carte scolaire. Or, elle est un (f)acteur de l’absence de mixité, notamment dans la capitale. Les données du ministère sont des preuves de la non-mixité révèlent l’épreuve de la mixité. L’enjeu n’est-il pas social et politique dans un contexte de creusement des inégalités et des reproductions de celles-ci dans une École inégalitaire, de plus en plus ségréguée ? L’état des lieux est sans appel : le privé sous contrat accueille deux fois plus d’élèves socialement très favorisés que les établissements publics et deux fois moins d’élèves défavorisés, avec un écart particulièrement marqué dans les agglomérations. La mise en concurrence joue un rôle dans le séparatisme social et scolaire, fragilisant l’école publique.
Enfin, merci d’avoir rassemblé les citoyennes et citoyens – partis politiques, syndicats enseignants comme des personnels de direction, fédérations des parents d’élèves – tous attachés au service public d’éducation, s’inquiétant du recul de la mixité sociale et scolaire comme de ses effets délétères.
Oui, les services publics, et donc l’école publique, sont la priorité qui rassemble les Françaises et les Français. C’est une des préoccupations fondamentales et quotidiennes à laquelle il est de votre responsabilité de répondre, au nom de l’intérêt général et commun. L’affaiblissement de l’École publique et le recul de la mixité jouent un rôle dans l’affaiblissement des liens sociaux et dans la perte de confiance dans l’École et les institutions en général. L’Etat ne doit-il pas s’assurer que l’éducation reste un service public, un bien commun, gratuit et équitable pour toutes et tous ?
Vous pointez les heures de cours manquées, vous avez raison, aujourd’hui cette question est d’autant plus préoccupante que le métier peine à recruter, que des postes sont supprimés et que les postes de remplacement manquent depuis des années. Si les raisons en sont multiples, il existe deux leviers d’action possibles à très court terme et aux effets immédiats. Augmenter les salaires des enseignants et réduire les effectifs des classes permettraient à la France de rejoindre la moyenne des pays européens, et garantiraient de meilleures conditions de travail comme d’apprentissage. Le climat scolaire, le bien-être dans la classe pour les enfants comme les enseignants seraient améliorés, ce qui ne manquerait pas d’avoir des effets bénéfiques sur des résultats, la prise de parole, le temps accordé à chaque élève, les pratiques pédagogiques. Ensuite, à moyen terme, favoriser les conditions de la mixité sociale et scolaire relève de la cohésion nationale et sociale, pour réconcilier et apaiser notre démocratie. Transformer l’école et l’ouvrir à des pratiques manuelles et de débat philosophique pour tous les enfants de la République déhiérachiserait les savoirs et leur perception sociale en rendant l’école plus accueillante à tous les talents.
Il faut aimer l’école publique, la chérir, la protéger : faisons le défi de l’apprendre et du faire, ensemble, durant le temps de la scolarité pour une éducation «nationale» en actes, faisant nation. Et si une éducation commune, ouverte à l’altérité, éduquait à la démocratie et faisait vivre la devise républicaine «liberté, égalité, fraternité» ?
Djéhanne Gani
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