Le chercheur Pierre Wadlow travaille sur la politisation des classes populaires de la métropole de Lens, dans le Pas-de-Calais. Alors que le Rassemblement national a remporté toutes les circonscriptions de cet ancien bastion ouvrier lors des législatives anticipées, il analyse la progression du vote d’extrême droite dans ce territoire.
Le Rassemblement national a réalisé des scores historiques dans le bassin minier du Pas-de-Calais lors des dernières législatives (quatre circonscriptions sur cinq remportées dès le 1er tour, avec des scores entre 52 et 60 %), confirmant une tendance lourde observée ces dernières années lors des scrutins nationaux ou européens. Le politologue Pierre Wadlow décrypte les évolutions de l’électorat du parti d’extrême droite dans ce territoire populaire.
Comment caractériser l’électorat Rassemblement national dans le Pas-de-Calais, et notamment dans le bassin minier ?
Pierre Wadlow, Politologue
Il n’y a pas de profil type de l’électeur du RN. C’est même devenu une force pour ce parti d’extrême droite, au niveau national comme aussi au niveau du bassin minier. Son électorat est interclassiste et touche désormais de plus en plus de professions, y compris dans le secteur public. Le constat est identique si on prend le critère de genre : pendant longtemps, les femmes votaient nettement moins pour le RN que les hommes. C’est moins le cas désormais.
En fait, il y a plusieurs motivations derrière le vote frontiste. Toutefois, l’un des éléments qui ressort assez fortement dans ma recherche, c’est que les électeurs du RN sont un peu moins insérés sur la scène locale que les électeurs de gauche. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer dans une sorte de cliché, les électeurs frontistes ne sont pas enfermés chez eux, volets baissés, à ne plus voir personne.
« Ces électeurs sont très désillusionnés et considèrent que la gauche n’est plus significative de réel changement. »
Au contraire, ce sont des personnes qui s’insèrent dans un certain nombre de sociabilités, qui ne sont pas des sociabilités associatives, syndicales ou autres, mais des sociabilités privées (voisinage, amis, famille…).
Les électeurs RN se retrouvent, mais entre eux, dans des espaces très majoritairement blancs, dans lesquels la parole raciste est valorisée ou en tout cas n’est jamais remise en cause. Dans ces processus de renfermement des sociabilités peuvent alors émerger des figures, patronales ou autres, qui s’avèrent extrêmement influentes.
Comment l’électorat RN justifie son vote ?
Le discours du RN arrive à toucher des personnes moins diplômées et plus précaires, des populations qui sont le plus mises en concurrence sur le marché de l’emploi, qui ont une moins grande stabilité professionnelle et qui finalement ont vraiment des choses à perdre (ou l’impression de pouvoir les perdre) ou très peu à gagner.
En ce sens, il s’agit vraiment d’un vote réactionnaire, au sens littéral. Pour ces électeurs, le monde ne pourra pas changer. Ils ont perdu espoir que leur situation puisse véritablement s’améliorer. Par conséquent, ils préfèrent essayer de préserver le peu qu’ils ont, surtout si c’est au détriment d’autres populations, notamment des populations racisées par exemple. Ces électeurs sont très désillusionnés et considèrent que la gauche n’est plus significative de réel changement.
« Une partie de la jeunesse a grandi dans un monde dans lequel le RN a toujours été normalisé. »
Raison pour laquelle, quand le RN est revenu sur un certain nombre de mesures sociales pendant la campagne des législatives (par exemple sur les retraites), cela n’a pas eu de conséquences sur les intentions de vote. Cela ne constitue pas une priorité pour cet électorat qui considère ces mesures comme quelque peu angéliques.
Que pensez-vous de l’affirmation selon laquelle, dans le bassin minier, l’électorat populaire aurait basculé d’un vote de gauche vers un vote d’extrême droite ?
C’est une théorie assez ancienne. À première vue, le bassin minier du Pas-de-Calais pourrait être l’incarnation la plus archétypale de cette idée, dans la mesure où jusqu’en 2007, ce territoire était géré de manière hégémonique par la gauche. Quand on voit désormais les scores du RN, on serait tenté d’expliquer cette évolution par ce phénomène de basculement.
Ce que j’observe est plus nuancé. Tout d’abord, il existe une base d’électeurs des classes populaires qui votaient déjà pour le Front national de Jean-Marie Le Pen. Il s’agit de personnes convaincues qui votent à toutes les élections pour le parti d’extrême droite.
Ensuite, il y a un phénomène de renouvellement générationnel. Le RN s’est nourri de l’électorat des jeunes et ce pour plusieurs raisons : une partie de la jeunesse a grandi dans un monde dans lequel le RN a toujours été normalisé ; par ailleurs, ces jeunes ont été beaucoup moins socialisés à la gauche et à ses représentants.
Enfin, le phénomène d’abstention a augmenté en France, et encore plus dans le bassin minier. Lors des scrutins, il y a régulièrement de 5 à 10 (parfois 15) points d’abstention en plus localement. En réalité, une partie des anciens électeurs de gauche se sont tournés vers l’abstention, plutôt que vers le RN.
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