Recruté comme directeur de la stratégie du groupe, Alban du Rostu peine à convaincre en interne qu’il a coupé les ponts avec le milliardaire Pierre-Édouard Stérin, à l’origine du plan Périclès révélé par l’Humanité. Les journalistes mobilisés continuent de réclamer son départ avant même son arrivée effective, ce lundi 2 décembre.
Recruté par François Morinière, le président du directoire entré en fonction début novembre, Alban du Rostu doit en principe débarquer au siège du grand groupe de presse et d’édition catholique Bayard ce lundi 2 décembre. Mais rien ne se passe comme prévu, car, après les révélations de l’Humanité en début de semaine dernière, la sidération et la consternation ont, parmi les personnels, laissé la place à la défiance et à la mobilisation… À la fois contre le partenariat noué avec Bolloré et d’autres pour le rachat de l’école de journalisme ESJ Paris, mais surtout contre l’embauche, en tant que directeur de la stratégie et numéro deux de Bayard, de l’ancien bras droit de Pierre-Édouard Stérin.
Derrière ces décisions prises dans leur dos, les journalistes de la Croix, du Pèlerin, de Notre Temps ou de la presse jeunesse craignent de voir Périclès, le plan échafaudé par le milliardaire ultralibéral et archi-conservateur pour faire gagner les droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes, s’infiltrer dans leur vieille maison indépendante depuis toujours.
Du Rostu aux manettes pendant “l’incubation” du plan Périclès
Après un premier débrayage d’une ampleur inédite, jeudi 28 novembre dans l’après-midi, c’est face à des salariés très remontés que François Morinière, en tournée de déminage, s’est retrouvé. Dans un échange interne dont nous avons pu prendre connaissance, le nouveau patron de Bayard, lui-même lié à la mouvance Stérin via le fonds de dotation de la Nuit du bien commun, un événement caritatif très marqué catho-conservateur, qu’il préside depuis fin 2023, entrouvre le parapluie : « Si j’ai les preuves qu’Alban du Rostu m’a menti et qu’il m’a roulé dans la farine, je prendrai mes responsabilités. »
Première mission, donc, pour le nouveau dirigeant chez Bayard : démentir toute implication dans le plan de Stérin, totalement secret jusqu’à sa publication détaillée dans l’Humanité en juillet dernier. À ce stade, c’est hors de Bayard qu’il s’exécute : après avoir dénoncé une « caricature » et un « procès d’intention » auprès de l’AFP, il nous a adressé, comme à d’autres, un droit de réponse. « Alban du Rostu n’est ni fondateur ni administrateur de Périclès et n’a aucun engagement dans ce projet », fait-il savoir.
Dans la présentation de Périclès, en « comité exécutif » le 28 septembre 2023, qui a servi de base à nos révélations, Alban du Rostu figure bel et bien, aux côtés de Pierre-Édouard Stérin et de François Durvye, parmi ses « fondateurs et administrateurs », en tant que directeur général du Fonds du bien commun (FBC), l’organisme de philanthropie du milliardaire exilé fiscal en Belgique.
Dans une autre page qui fixe un calendrier de mise en œuvre, ses concepteurs évoquent une période d’« incubation » de Périclès au sein du FBC, alors dirigé par du Rostu, et ne cachent pas vouloir se « protéger au plan légal et réputationnel ». Et, par la suite, la porosité demeure puisque c’est, d’après le plan, « en lien avec le FBC » et « en s’appuyant sur ses réseaux », que « la réserve » de 1 000 technocrates « alignés » et « convaincus », aptes à exercer le pouvoir après la victoire des droites extrêmes, serait constituée.
Selon des informations du Monde, ce week-end, Alban du Rostu aurait bel et bien organisé le recrutement de plusieurs cadres de Périclès et participé lui-même à leurs entretiens. D’après nos confrères, Périclès est, à cette époque, une mission parmi d’autres confiées au FBC. Arnaud Rérolle et Thibault Cambournac, deux des membres de « l’équipe opérationnelle » de Périclès figurant dans le document que nous avons publié en juillet, sont issus du sérail géré par du Rostu.
Désormais directeur général de Périclès, Rérolle, dont le Monde révèle aussi la participation à plusieurs réunions avec Jordan Bardella à l’été 2023 en vue des municipales, n’apparaîtra qu’ultérieurement comme dirigeant de deux satellites de Périclès : selon les pièces dont nous disposons, le premier a été créé fin septembre 2023 et le deuxième, domicilié au siège parisien d’Otium Capital, le fonds d’investissement de Stérin, a vu le jour en février 2024.
Tous ces éléments risquent de ne pas arranger les affaires à la tête du groupe Bayard. En fin de semaine, la Copec, qui fait office de société des journalistes à la Croix, a, en complément des syndicats unanimes, transmis des « informations factuelles sur le profil d’Alban du Rostu » au directoire. « Nous vous demandons d’écouter les inquiétudes et de considérer sérieusement ces éléments », revendique l’instance. Très attendu dans ce contexte, le communiqué que le directoire a promis de publier ce lundi 2 décembre devra pouvoir être lu sans exégèse ni herméneutique.
Pierre-Édouard Stérin a encore de l’estomac pour les médias
Son ombre plane aujourd’hui sur le groupe Bayard, mais, dans l’entretien qu’il a donné au Point, Pierre-Édouard Stérin n’en souffle mot. Repoussé par les salariés à Marianne, celui qui rêve toujours de « devenir saint » ne cache pas un appétit intact pour les médias : « Radio, magazine, chaîne de télévision… Plusieurs dossiers font actuellement l’objet de discussions, mais ils sont insuffisamment avancés pour que j’en parle. »
Pour le reste, celui qui doit sa fortune aux coffrets cadeaux Smartbox et qui est prêt à brûler 150 millions d’euros pour faire gagner ses idées à la fois réactionnaires et ultralibérales, voit dans George Soros, la figure honnie d’Orban et de Trump, une « anti-inspiration ». Disant se situer au « centre de la droite » et saluant la « sincérité » de Marine Le Pen, Stérin s’insurge d’une « caricature de la part d’une presse d’extrême gauche radicale affiliée à la FI », dans une pataude référence aux révélations de l’Humanité sur son plan Périclès. Signe que l’exilé fiscal en Belgique est un peu aux fraises quand même…
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