« Les cuisines d’établissement sont reléguées comme vestiges d’un monde ancien en même temps que comme marchés à investir ». Cette phrase écrite en introduction par Geneviève Zoïa et Laurent Visier laisse bien entrevoir le champ de leur investigation. Leur ouvrage est à la fois un état des lieux cinglant et un combat pour l’éducation à l’alimentation de nos enfants, et donc leur santé.
Place aux industriels
Manger ça s’apprend à l’école et c’est aussi se distinguer de l’animal. Au risque de fabriquer de nouveaux consommateurs de livraisons à vélo… Seulement à partir des années 70, le réfectoire est déconnecté du lieu festif ou éducatif qu’il était. Sous couvert de normes et de protection sanitaire, il ne sera consacré qu’à l’alimentation et les enseignants n’y auront plus aucune responsabilité ou devoir. Place aux diététiciens et aux industriels !
Le projet d’unification de la restauration scolaire s’inscrit dans un mouvement d’industrialisation qui disqualifie la cuisine domestique, celle de femmes, cantinières aussi bien que ménagères, pour la magnifier dans une version professionnelle technique, élitiste et experte, où des humains perdent le sens de leur travail.
À l’image de l’agriculture, les « cantines de la nation » veulent, elles aussi, connaître une marche forcée à l’industrialisation. Et voici l’avènement d’un « fait maison » sorti d’usine qui serait en plus sensé résoudre l’incapacité des pauvres à « exercer des choix éclairés pour s’alimenter ». La sauce fera le reste et la mise en avant des terroirs y rajoutera la touche finale. Mais de là à insérer « convivialité et partage dans les cuisines centrales…»
L’ouvrage ne dénigre pas pour autant les travailleurs de ces cantines qui parfois « tirent des bénéfices symboliques en contribuant à l’éducation des enfants ». Un personnel souvent dénigré par leur direction comme par le corps enseignant. Derrière les fourneaux (quand il en reste) des hommes et des femmes venus de la restauration traditionnelle pour raison familiale. Ils intègrent ainsi les rangs de ceux qui ne casseront jamais d’œufs. En restauration, collective, ces derniers se présentent en bidon.
Ainsi les agentes de la cantine sont regardées comme usant de styles et de modèles éducatifs qui sont remis en question par ceux qui sont du bon côté du savoir : enseignants, responsables des cuisines, diététiciennes et différents experts en éducation au goût qui ont réussi à anoblir leurs tâches en les technicisant et les professionnalisant.
En filigrane du décryptage de l’industrialisation à outrance qui a été faite des cantines scolaires, se lit aussi une étude sociale de ceux qui les fréquentent. « Pour certains enfants, le repas de la cantine est le seul repas équilibré de la journée » rappelle le conseil national de l’alimentation. Et voilà que resurgit l’a priori selon lequel, à l’extérieur de l’école, « les pauvres mangent mal alors qu’ils dépensent trop pour ce poste budgétaire ».
Et pour les auteurs, « prétendre aujourd’hui que la cantine scolaire participe à la réduction des inégalités sociales conduit non seulement à produire une représentation erronée, mais empêche de débattre des enjeux écologiques, éducatifs, moraux, sanitaires que porte la restauration scolaire ».
Résistance
Ce mouvement de centralisation et de modernisation des cantines n’est toutefois pas inéluctable. Il rappelle d’ailleurs le mouvement amorcé dans l’agriculture de notre pays quasiment à la même époque. Face aux mots galvaudés que sont devenus « fait maison », produits naturels » ou même « mangeurs citoyens », une résistance s’organise souvent du fait des femmes ou des hommes de services comme on les appelle.
Ici des enseignants mènent des ateliers culinaires, là la restauration scolaire est reprise en main par un collectif de parents d’élèves ou encore ailleurs, le département de la Dordogne relocalise les cuisines de ses collèges en les passant en 100% bio. Le tout en se rapprochant à nouveau des producteurs pour recréer les fameux « circuits courts ».
Une nourriture transformée en marchandise
Cet ouvrage ne rappelle finalement qu’une ambition qui devrait être celle de tout un chacun, en dehors des grands groupes qui font leur beurre du système actuel : éduquer les futurs adultes à bien se nourrir et permettre de le faire facilement et à moindre coût. Sauver la cantine, « ce lieu de sociabilisation et prodigieuse loupe sur notre monde » sera à ce prix.
« Les cuisines de la nation », Geneviève Zoïa et Laurent Visier, éditions Wildproject.
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