Comment le gouvernement bafoue les principes républicains et propulse le RN en s’attaquant au droit du sol
Tandis que François Bayrou souhaite engager un débat public sur ce qu’est « être français », son ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, en a donné une vision basée sur la religion et la couleur de peau. Une rupture profonde avec les principes républicains.

© Elodie Gregoire / ABACA
Le pire est sans doute que cela ne choque plus. Qu’un ministre classe des êtres humains en fonction de leur apparence ou de leur culte ne suscite en 2025 aucun appel massif à la démission, à peine une indignation. C’est pourtant bien ce qu’a développé le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, jeudi sur LCI, pour justifier sa volonté de restreindre le droit du sol sur tout le territoire français : « Là (à Mayotte – NDLR), vous avez un exemple, sur un petit territoire, d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs… Voilà. C’est simplement qu’aucune société, quelle que soit la culture, ne peut supporter une proportion où il y a, comme disait le premier ministre, une submersion. »
Pour Bruno Retailleau, les immigrés seraient donc dangereux pour notre société surtout s’ils sont « noirs » et « musulmans » ? Ou est-ce en ces termes qu’il désigne les Mahorais ? En utilisant ces mots en plein débat sur le droit du sol, le ministre de l’Intérieur va dans tous les cas plus loin que ses saillies anti-immigration habituelles. Une expression à rebours de la conception républicaine, indifférente à la couleur de peau et la religion. Une insulte à l’article 1er de la Constitution, selon lequel la France « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
« On a fini par s’habituer à une xénophobie, voire un racisme totalement décomplexé, s’indigne le sénateur communiste Ian Brossat. Il faut être clair : ce qui se dessine dans ces propos est la contestation de ce qu’est la nation française, qui n’est pas ethnique mais une conception politique fondée sur des valeurs. »
François Bayrou 2009 contre François Bayrou 2025
Cette sortie s’inscrit dans une surenchère du camp macroniste pour fustiger une immigration considérée comme trop importante et menaçante pour la France. C’est dans ce sens que, vendredi 7 février, François Bayrou s’est dit favorable à ouvrir un grand débat non seulement sur le droit du sol, comme l’a suggéré le garde des Sceaux Gérald Darmanin, mais sur la nationalité plus largement.
« Ce qui fermente, c’est : qu’est-ce que c’est qu’être français ? Qu’est-ce que ça donne comme droits ? Qu’est-ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est-ce que ça procure comme avantages ? a développé le premier ministre sur RMC. Il faut réfléchir à la façon dont ce débat se développe, est organisé. »
Le locataire de Matignon refait le coup de Nicolas Sarkozy, qui en 2009 avait lancé un « grand débat national sur l’identité nationale et l’immigration ». Auquel François Bayrou s’était opposé, avec ces mots : « Rien n’est pire que d’en faire un sujet d’affrontement politique. »
Dans le contexte politique de 2025, ce débat pourrait aboutir à une grave remise en cause de ce qui fonde la nationalité française, mais aussi les droits des étrangers – la question des « avantages » renvoyant à la notion de « préférence nationale » chère au RN.
Un droit « au fondement de notre identité nationale »
Quelques macronistes l’ont fait remarquer, comme Élisabeth Borne, « pas favorable » à ce débat, tandis que le député Belkhir Belhaddad a annoncé le même jour quitter le groupe Ensemble pour la République. Celui-ci a voulu se désolidariser du vote des macronistes en faveur d’un texte porté par LR pour limiter encore davantage le droit du sol à Mayotte.
Dénonçant un « glissement vers les idées du Rassemblement national », il rappelle que le droit du sol est « un des fondements de notre République » et regrette que son camp veuille le limiter. À Mayotte, comme dans le texte voté jeudi au prétexte que ce principe serait la cause principale de l’arrivée de Comoriens sur l’archipel – alors même que sa première limitation en 2018 n’a pas réduit l’immigration. Mais aussi sur le reste du territoire, comme le souhaitent Bruno Retailleau et Gérald Darmanin.
Or, le droit du sol, instauré en 1515 et réaffirmé à la Révolution, « est au fondement de notre identité nationale, tellement que même le régime de Vichy n’a pas osé le discuter », détaille l’historien Patrick Weil. Il rappelle que celle-ci se base sur « un rattachement à un territoire, à la République quelle que soit la nationalité des parents » et non sur le seul droit du sang.
Le PS ouvert au débat
Que ce soit sur le droit du sol ou plus largement sur le débat proposé par François Bayrou, les voix dissonantes restent très rares en Macronie. Le premier ministre assure d’ailleurs qu’il « n’y aura pas de conflit à l’intérieur du gouvernement ». Or, avec les prises de position très claires exprimées à l’Intérieur comme à la Justice, ces discussions ne peuvent aboutir qu’à un rétrécissement de la notion de nationalité française. Et offrent un boulevard à l’extrême droite.
Marine Le Pen, qui souhaite un référendum sur la suppression pure et simple du droit du sol, a tout le loisir de critiquer la position du gouvernement : « On arrête de débattre, on arrête de blablater, on propose aux Français de donner leur avis et on va le respecter », a-t-elle réagi.
À gauche pourtant, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, considère que « le débat sur l’identité nationale n’est pas tabou ». Ce qui a suscité un tollé de la France insoumise, en opposition frontale avec le PS depuis que ce dernier n’a pas voté la censure du gouvernement, le 5 février.
« Personne ne doit être naïf » à gauche
« C’est cynique de présenter cela comme autre chose qu’une accélération de l’offensive raciste et xénophobe du bloc bourgeois, considère la députée FI Danièle Obono. Je pense qu’Olivier Faure se fourvoie totalement en validant cette offensive. » Pour l’intéressé, ce débat pourrait à l’inverse permettre de « refuser la reprise des mots et des concepts de l’extrême droite et être sur le terrain de la confrontation contre ceux qui dérivent ».
« Un débat demandé par l’extrême droite, porté par une droite qui court après ses idées, ne peut se poser qu’en des termes extrêmement racistes et xénophobes », lui répond l’insoumise. « Évidemment que la gauche a des choses à dire sur ce qu’est être français mais, en l’occurrence, personne ne doit être naïf. Il y a une volonté du gouvernement d’enfermer le débat », ajoute Ian Brossat.
Difficile en effet d’imaginer une issue progressiste à un débat dans lequel on peut différencier, sans choquer, les Noirs et les musulmans du reste de la population.
En savoir plus sur Moissac Au Coeur
Subscribe to get the latest posts sent to your email.