Manque de structure et autoformation versus ambition et proclamations politique. Méfiance et sentiment d’incompétence. Dans sa chronique, Bruno Devauchelle sonde la posture éducative de la France, écartelée et ambivalente ?

L’enquête TALIS 2025 peut inquiéter ou rassurer… Inquiéter car mettant la France en décalage (et non pas en infériorité…) avec les autres pays de l’OCDE ; rassurer car la France développe une forme d’exception culturelle (école sanctuaire ?) aussi pour ce qui concerne la scolarisation, les enseignants, les technologies etc. Ces deux pôles de notre réflexion sont à mettre en débat : devons-nous continuer de faire de l’école un à distance de la vie hors école, ou devons-nous poursuivre la compétition mondiale de la réussite scolaire.

Si l’on se situe sous l’angle des technologies éducatives et de l’IA, dernier avatar de ces évolutions, force est de constater à nouveau ce décalage qui met en évidence, ce que nous avons déjà évoqué précédemment, les technologies numériques ne sont pas réellement présentes dans les préoccupations professionnelles du monde de l’éducation, concurrencées par d’autres priorité. Comme de plus les enquêtes sont déclaratives, difficile parfois de comparer les pays entre eux. De plus les contextes spécifiques au fonctionnement des systèmes éducatifs n’aident pas à approfondir les résultats de ces enquêtes. Par contre il est possible d’identifier les dynamiques en cours pour pousser à l’utilisation du numérique et de l’IA dans les systèmes éducatifs. La France et le Japon semblent être les moins pro-actifs….

Des infrastructures défaillantes…

Ce qui est premier dans les explications évoquées pour un faible usage, c’est la question des infrastructures permettant aux enseignants d’utiliser les moyens numériques dans leur classe. L’engagement des pays dans les infrastructures numériques en contexte scolaire articule des moyens financiers et des choix pédagogiques, voire stratégiques. Pour les enseignants la facilité d’accès, la fluidité, à l’usage des moyens numériques a été dès le début de années 1980 un problème majeur. Il suffit de relire l’histoire des plans d’incitation au numérique en analysant les politiques d’équipement pour comprendre qu’il y a là à chaque fois une forme de « valse-hésitation ». L’arrivée des smartphones dans le grand public avait suscité une réflexion sur le BYOD. Mais en 2018, le ministre met de fortes limites à cette possibilité. Les propositions d’équipement individuels des élèves (exemple des Landes dès 2002, puis lycées dans le Grand Est et en Ile de France, vers 2017) ont été remises en question (exemple de l’Ille et Vilaine ou de des Bouches du Rhône) et contestées. La crise sanitaire de 2020 a pourtant été un signal fort sur des besoins individuels dans et hors l’école. Mais ces projets n’ont pas été poursuivis et n’ont pas été réellement soutenus par l’institution éducative. Pas étonnant donc, que, en France comme dans de nombreux pays cette question des infrastructures soit posée. Ne négligeons pas cependant les équipements de vidéoprojection. Ils se sont généralisés un peu partout dans les pays en ayant les moyens financiers. Mais ils ne sont que des substituts au tableau traditionnel et n’amènent pas réellement à des usages du numérique par les élèves. Ils ont cependant permis aux enseignants de prendre la mesure de la facilitation permise pour leur travail (articuler préparation des enseignements et supports utilisables).

Le syndrome de l’imposteur : un besoin de légitimation

Dans les explications complémentaires, on trouve bien sûr la question des compétences nécessaires à ces utilisations ce qui renvoie à la formation des enseignants. Comme pour les équipements et infrastructures, le sentiment d’incompétence est constamment répété par les enseignants depuis le début des années 1980. C’est une sorte de syndrome de l’imposteur que l’on peut entendre dans les réponses que les enseignants font, constamment, aux enquêtes sur le numérique éducatif et encore davantage en ce moment à propos de l’IA. En proposant une formation au plus près des communautés éducatives, l’Inspection Générale de l’Education Nationale (au printemps 2025), a mis le focus sur d’une part l’adéquation entre l’offre et le besoin de formation, et d’autre part sur la prise en compte des « communautés d’apprentissage » que constituent potentiellement les équipes éducatives. Manifestement l’organisation actuelle de la formation continue des enseignants n’est pas adaptée aux réalités quotidiennes. Mais dans le même temps, les effets de mode et d’opportunité contribuent à ce sentiment d’une offre de formation en décalage ainsi que des dispositifs de formation.

A quoi servent donc les grandes messes du numérique ?

Alors qu’Educatech va accueillir le public en novembre, et en écho avec Ludovia fin août, on s’étonne du peu de transformation de toutes ces propositions auprès des enseignants au quotidien. Une grande partie des enseignants s’auto-forment surtout dans les domaines qui ne sont pas directement liés aux contraintes posées par la hiérarchie (inspection) et la politique (ministres). Cet écart entre ces manifestations et les réalités de mise en œuvre révèle aussi les écarts culturels qui se développent dans la société. Alors que les moyens numériques sont devenus omniprésents dans de nombreux milieux professionnels et que désormais ce sont aussi les espaces personnels privés qui en sont envahis, la transformation scolaire n’est pas à l’ordre du jour.

Effets de mode, disruption et forme scolaire !

Dans nos enquêtes sur les besoins exprimés par les enseignants, nous notons beaucoup de méfiance et d’interrogations. Mieux connaître pour ne pas perdre le contrôle de la classe, des élèves et – plus largement – la maîtrise du métier. A intervalles réguliers des propositions surgissent dans l’espace médiatique et scolaire comme par exemple la classe inversée, les pédagogies de projet ou encore, en ce moment la « Conception Universelle de l’Apprentissage » qui s’ajoute à l’enseignement explicite. A chaque proposition les enseignants sont sollicités et nombreux sont ceux qui « adhèrent » à telle ou telle sollicitation. Mais aussi nombreux soient-ils à en parler, les traductions effectives dans les pratiques réelles restent largement minoritaires.

A l’opposé de la proposition du nouveau prix Nobel d’économie, Monsieur Ph. Aghion, le monde académique ne semble pas prêt à aller dans le sens de ses propositions. Les disruptions possibles avec les technologies ne semblent pas se traduire au quotidien. TALIS, comme PISA, montre bien l’écart culturel et surtout l’exception culturelle que constitue la posture de notre système éducatif vis-à-vis des technologies. Rappelons ici deux discours clés prononcés à Poitiers sur le sujet : celui de J. Castex premier ministre puis celui de P. Ndiaye. Nous avions évoqué leur double discours, avec Talis, on en voit les effets (comme les enquêtes de la DEPP).

Bruno Devauchelle