L’inclusion en héritage : des slogans au bilan posé par l’Inspection générale
Pour sa part, Tony Estanguet clamait, le 28 août, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques, que la révolution de l’inclusion commence ce soir. Et il poursuivait : « La compétition doit permettre de changer de regard, changer d’attitude, changer de société », laissant Andrew Parsons, président du Comité international paralympique (IPC) conclure ainsi : « Vive la révolution de l’inclusion ». Au final, ce fut « une cérémonie grandiose et inclusive », selon France info. Moins d’un an plus tard, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) publie un rapport sur l’héritage des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 au plan éducatif. La question de l’inclusion y est omniprésente, directement (45 occurrences du terme inclusion et de ses déclinaisons), ou indirectement, en évoquant la sensibilisation au parasport et le changement de regard sur le handicap. La conclusion du rapport est univoque : « Cette dimension paralympique et inclusive des Jeux constitue un héritage éducatif de tout premier plan (…). L’inclusion (est) un héritage fondateur des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, à pérenniser et à renforcer ». Quant aux leviers mentionnés pour tendre vers cette inclusion, ils tournent autour de l’introduction de parasports à l’école.
L’accent porté sur les activités parasportives en EPS dans un dessein inclusif
Selon le rapport de l’Inspection générale, « la sensibilisation des élèves aux activités parasportives (à l’occasion des Jeux Paralympiques – ndlr) doit se poursuivre et s’approfondir (…) en proposant une séquence handisport en EPS dans le parcours de formation de tous les élèves ». Il s’agit donc de sensibiliser aux activités parasportives en programmant une séquence de handisport, ce qui n’est pas explicite si l’on ignore que Parasport est un terme générique désignant le sport propre aux personnes en situation de handicap et qu’il se répartit en deux branches : le handisport, pour les personnes ayant une déficience motrice et/ou sensorielle, et le sport adapté pour celles qui ont des troubles intellectuels et/ou psychiques, ou encore inscrits dans le spectre de l’autisme. Une fédération sportive est dédiée à chacun de ces sports : la Fédération française handisport (FFH) pour le premier, la Fédération française du sport adapté pour le second.
L’accent porté sur l’introduction d’activités parasportives en EPS dans un dessein inclusif est dans le droit fil de l’avis formulé par le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en 2023. Il y est question de « faire du parasport un levier d’éducation à la diversité et aux droits de chacun et chacune ». Dans ce but, le CESE « préconise d’inscrire un cycle obligatoire de parasport en EPS pour tous les élèves à l’école primaire, au collège et au lycée. Ce cycle permettra aux élèves d’appréhender les enjeux d’inclusion, de diversité et de respect des droits de chaque citoyen et citoyenne ».
Dans le rapport de l’IGESR, ce sont des activités parasportives participant du handisport qui sont convoquées, à l’exclusion de celles faisant partie du sport adapté – Il faut dire que ces dernières ne se distinguent guère des activités sportives classiques. Soulignant que « les expériences de sport partagé permettent à des élèves valides et en situation de handicap de vivre un temps de pratiques communes », le rapport donne des exemples : « basket-fauteuil, sarbacane, boccia sur cible, parcours à l’aveugle, etc. », toutes activités qui relèvent de la FFH.
On peut se demander si le choix de faire essentiellement reposer l’inclusivité de l’EPS sur ce type d’activités, même partagées, est cohérent avec l’orientation dessinée par une récente circulaire sur la place de l’activité physique et sportive à l’école. Elle avance que l’EPS « doit garantir une pratique physique pour tous les élèves en assurant l’inclusion des élèves à besoins éducatifs particuliers », avec une insistance sur les « jeunes générations ». Les parasports retenus sont-ils cohérents avec la diversité des élèves en situation de handicap (ESH) ? Est-ce que l’enseignement de l’EPS aux élèves les plus jeunes s’appuie essentiellement sur des activités sportives, à proprement parler ? L’inclusivité de l’EPS se réduit-elle à la sensibilisation des élèves valides au parasport et au changement de regard sur le handicap ?
Au-delà d’activités parasportives, d’autres, à partager par des élèves divers
Axer l’inclusivité de l’EPS sur la pratique de parasports, en l’occurence des activités relevant du handisport, néglige la majorité des ESH et de leurs pratiques. En effet, les activités parasportives retenues pour être partagées ne concernent que les personnes ayant une déficience motrice ou visuelle. Or, si l’on regarde les caractéristiques des ESH accueillis à l’école ordinaire sur le site de la DEEP (p.125) on constate qu’une minorité d’élèves ont ce type de déficience. Au collège, par exemple, ils et elles sont environ 7200, contre plus de 39000 élèves présentant des troubles intellectuels ou cognitifs, ou encore psychiques. Ajoutons que sur les quelque 9900 ESH à ce niveau de la scolarité plus de 11200 ont des troubles du spectre de l’autisme. Dans ces conditions, ce ne sont pas les activités propres à l’handisport, éventuellement partagées avec des élèves valides, qui sont susceptibles de contribuer à l’inclusion de la majorité des ESH. Le « changement de regard » tant prôné touche ses limites.
Par ailleurs, l’attention aux plus jeunes, dont témoigne la circulaire évoquée plus haut, invite à questionner la place du sport et du parasport à l’école. L’enseignement de l’EPS s’appuie sur des activités physiques, sportives et artistiques (APSA) qui ne se réduisent pas au sport fédéral, même aménagé. À l’école maternelle et élémentaire, par exemple, les jeux traditionnels du patrimoine ludique enfantin ont leur place. Et les activités physiques artistiques s’avèrent, à tous les niveaux de la scolarité, pertinentes pour favoriser des pratiques partagées. Enfin, l’inclusivité de l’EPS ne s’épuise pas dans le changement du regard porté sur les ESH et le parasport, d’autant plus que les ESH sont loin d’être tous et toutes en mesure de produire des performances étonnantes aux yeux de qui se réfère aux exploits réalisés lors des Jeux paralympiques. Il importe plutôt de construire dès le plus jeune âge, dans la mesure du possible et sans exclure des regroupements d’élèves avec des besoins particuliers, les conditions d’un « vivre ensemble » à travers une pratique d’activités communes entre des élèves aux profils différents, et qui soient source d’émotions gratifiantes et partagées en même temps que d’apprentissages. Ce qui suppose une démarche d’enseignement distincte du traitement de l’hétérogénéité des pratiquants en vigueur dans les fédérations sportives, comme il est proposé ici, et ce qui invite à rompre avec des assignations.
S’émanciper des assignations
Si la pratique de parasports est sans conteste pertinente, y assigner les ESH est contestable lorsqu’ils et elles sont capables d’autre chose. Les APSA sont riches d’autres possibilités de pratiques partagées avec leurs camarades valides, à la mesure de chacune et chacun si elles sont adaptées, et susceptibles de nourrir des compétences et des attitudes aux vertus inclusives. L’assignation tient ici à une conception différentialiste du handicap, qui essentialise la différence et conduit donc à ignorer le caractère relatif du handicap. Aussi fait-elle obstacle au travail d’accessibilité des situations rencontrées par une personne ayant des incapacités et conduit-elle à la cantonner à des activités et des espaces sociaux particuliers.
L’assignation à un type d’activités est dans la logique d’une assignation identitaire sous la figure du manque, posée par une personne valide sur une personne « handicapée », voire par cette dernière sur elle-même, comme en témoigne la fréquence de la réponse « je suis un handicapé »[1] à la question posée par une psychologue à des enfants porteurs d’une infirmité cérébrale.
Vu le fonctionnement vertical du système scolaire, on peut considérer aussi que les enseignant.e.s d’EPS risquent de se voir assigné.e.s à de « bonnes pratiques », en fait discutables dès lors que les actions préconisées par l’IGSER en faveur de l’inclusion se limitent à l’introduction de parasports à l’école et à faire, selon la circulaire sur la place des l’activité physique et du sport à l’école, des deux fédérations sportives spécialisées « des acteurs clés pour accompagner les établissements scolaires dans la mise en place d’activités sportives et sensibiliser chacun à la richesse du parasport ».
Certes, les connaissances et les compétences de la FFH et de la FFSA sont utiles, mais elles ne suffisent pas, car l’enseignement de l’EPS s’exerce dans un contexte différent de celui qui prévaut dans un cadre fédéral. Il doit satisfaire à des objectifs et des contenus qui lui sont propres ; il est confronté souvent à des classes nombreuses et hétérogènes ainsi qu’à des conditions matérielles insatisfaisantes. Enfin, les enseignant.e.s pâtissent d’un manque de formation adaptée à l’accueil d’un public nouveau et parfois déstabilisant, et aussi de l’absence de soutien nécessaire en cas de besoin.
Quand les conditions sont réunies, on voit des professeur.e.s d’EPS arriver à adapter leur enseignement aux ESH, voire à innnover. C’est le cas au lycée-Erea Toulouse-Lautrec de Vaucresson, où furent inventées des activités sportives dont certaines ont été reprises par la FFH et ont pu parfois donner lieu à des compétitions nationales et internationales, tel le foot-fauteuil. Ces réussites ne viennent pas de nulle part. Elles ont été fabriquées dans un contexte favorable, caractérisé notamment par de petits effectifs d’élèves, de bonnes conditions matérielles, et des marges de liberté dont ont profité les professeurs pour déployer des talents d’ingénieur et de bricoleur.
Jean-Pierre Garel
[1] Gérard É. (1991). « Être infirme moteur cérébral », dans R. Perron (dir.), Les représentations de soi : développements, dynamiques, conflits, Toulouse, Privat
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