Reprendre la main sur le logement : défendre et amplifier la loi SRU

Par Eddie Jacquemart, président de la confédération nationale du logement (CNL).

 

Le 13 décembre, la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU) fête ses 25 ans.

Peu d’actualité lui fera de la place. Pourtant, l’oublier serait une faute. Cette loi porte l’un des principes les plus essentiels de notre République sociale : chaque commune doit garantir à toutes et tous l’accès à un logement digne. La mixité sociale n’est pas une option. C’est une condition démocratique pour vivre dignement.

Or, ce principe fondamental est bafoué. La crise du logement atteint un niveau inédit. Fin 2024, 2,767 millions de ménages attendaient un logement social : 1,8 million pour un premier logement, 870 000 pour une mutation adaptée. Dans le même temps, seules 384 000 attributions ont été réalisées, soit moins de 10 % des demandes.

Ces chiffres racontent des vies suspendues, des familles contraintes, des jeunes empêchés de construire leur avenir, des retraités fragilisés. Des salariés qui renoncent à des postes ou qui s’essoufflent dans les transports pour rejoindre leur lieu de travail. Dans les zones tendues, il faut désormais attendre 6 à 10 ans. Le parc social — 5,4 millions de logements, soit 15,9 % des résidences principales — est loin de répondre aux besoins.

La SRU n’est pas une formalité administrative : c’est un outil de justice.

Depuis vingt-cinq ans, la loi SRU tient bon. Attaquée sans relâche par celles et ceux qui n’ont jamais accepté que la mixité sociale devienne une obligation républicaine, elle a pourtant résisté. Et mieux encore : elle s’est renforcée. Deux piliers la structurent, et il faut les rappeler avec force, parce que c’est sur eux que repose l’intérêt des locataires et l’avenir de nos territoires.

Le premier pilier, c’est le quota de 20 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitant·es. Une exigence simple, lisible, efficace : chaque commune doit accueillir sa part de logements sociaux. Cette règle, confirmée et consolidée notamment par la loi ALUR (quota porté à 25 %), a permis d’arracher à l’idéologie du marché un espace où le droit prime sur la spéculation. Sans cela, des milliers de ménages populaires seraient encore maintenus à distance, assignés à résidence dans les territoires déjà fragilisés.

Le second pilier, moins connu mais tout aussi décisif, c’est la concertation obligatoire. Renforcé par la loi Égalité et Citoyenneté, il garantit que la participation des locataires ne soit plus une option : elle devient un droit et une méthode. Elle oblige les bailleurs et les collectivités à entendre celles et ceux qui vivent, paient, entretiennent et font vivre le logement social. C’est un progrès démocratique majeur, un levier pour améliorer la qualité de vie et un outil de pouvoir pour les locataires.

Enfin, la loi SRU porte aussi une ambition écologique : construire du logement de qualité, limiter l’étalement urbain, réduire les besoins en voiture, requalifier l’existant, créer des villes sobres, vivables et résilientes.

Cet équilibre est aujourd’hui menacé.

Le désengagement de l’État, la chute de la construction et les coups répétés portés au logement social (RLS, loi ELAN, ponctions multiples), ainsi que la guerre sans relâche menée par les derniers gouvernements contre les locataires les plus pauvres, mettent en péril la loi et ses ambitions.

À cela s’ajoute le refus obstiné de certaines communes ou de certains maires qui préfèrent payer des pénalités plutôt qu’appliquer la loi. Près de la moitié des communes concernées sont hors des clous. Neuilly, Saint-Mandé… autant de multirécidivistes qui préfèrent l’entre-soi des beaux quartiers à la cohabitation. Des « maires voyous » refusent le métissage social et culturel qui fait la richesse de ce pays.

La dérégulation a désormais des relais nationaux. Elle est assumée et théorisée.
C’est Édouard Philippe défendant le marché contre l’intérêt général : « Il faut arrêter de punir fiscalement les propriétaires », expliquait-il devant la FNAIM. Résultat : 11 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux propriétaires privés ces dix dernières années, contre 13 milliards prélevés sur les bailleurs sociaux. Qui punit qui, monsieur l’ancien Premier ministre ?

C’est Valérie Pécresse qui propose de plafonner la part des HLM à 30 % dans les communes d’Île-de-France, comme si la véritable menace pour la région était d’être « submergée » par les classes populaires.

C’est, début décembre, la sénatrice Dominique Estrosi Sassone qui dépose un texte visant à assouplir la SRU en comptant le logement intermédiaire dans le décompte. Une nouvelle attaque directe contre le logement social et public.

C’est le RN et l’extrême droite qui font de la lutte contre les HLM et la mixité sociale leur cheval de bataille, transformant la crise de la construction en crise identitaire. « La loi qui impose 25 % de logements sociaux essaime l’immigration », éructait Éric Zemmour en 2022.

La réalité reste que les HLM sont attribués selon les revenus, les urgences et les situations familiales – pas selon l’origine, la religion ou la couleur de peau. 70 % des Francilien·nes sont éligibles au logement social. Le problème n’est pas le « trop de métissage », mais le manque de moyens pour construire et accueillir davantage d’habitant·es.

Mais les attaques s’amplifient. Non contents de remettre en cause la loi SRU et son application, certains responsables politiques vont désormais jusqu’à réprimer celles et ceux qui la défendent. La CNL 94 en a fait l’amère expérience : le département l’a privée de subventions pour avoir mené une campagne publique dénonçant les maires voyous qui refusent obstinément d’atteindre les 25 % de logements sociaux dans leurs communes. Cette sanction est aussi injuste qu’inacceptable : elle vise à faire taire celles et ceux qui se battent pour le droit au logement et pour l’égalité territoriale.

Face à ces attaques, il ne suffit plus de dénoncer les carences.

La loi SRU reste un pilier de notre République sociale : c’est pourquoi il est de la responsabilité de l’État, sans trembler, d’en assurer le respect partout et par tous.tes.

Nous devons reprendre la main sur la politique du logement, en faire un levier de justice sociale, d’égalité territoriale et de transformation écologique. Si le gouvernement Lecornu ne relève pas ce défi, la crise du logement restera un terreau pour l’extrême droite, qui prospère sur le sentiment d’abandon et la colère légitime des habitant.es.

L’État doit défendre la loi SRU, la faire appliquer. La CNL propose de sanctionner lourdement les maires qui la bafouent, jusqu’à l’inéligibilité des « multirécidivistes récalcitrants » à la mixité sociale.

L’État doit organiser l’égalité territoriale en lançant un plan massif de construction de logements sociaux, capable de répondre aux besoins réels des millions de ménages en attente.

L’État doit garantir le droit à un logement de qualité pour toutes et tous, en développant une politique écologique ambitieuse intégrée au logement public : rénovation massive, lutte contre les passoires énergétiques, maîtrise du foncier.

L’État doit protéger les locataires en créant une Sécurité sociale du logement, pour prolonger la logique de la SRU et garantir un droit universel, stable et effectif au logement.

La loi SRU, comme le droit au logement, ne sont plus négociables.


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