Emploi, salaires, dette… 10 idées pour une relance sociale et écologique (Je soutiens…)

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Alors que la France s’enlise dans la pandémie, économistes, syndicalistes et partis politiques mettent sur la table des propositions innovantes pour sortir de l’ornière et dessiner un nouvel avenir.

« Relancer l’économie. » A priori, le mot d’ordre tombe sous le sens – qui peut être « pour » la récession ? – et, malgré tout, c’est une proposition à ne surtout pas prendre au pied de la lettre : relancer l’existant, sans imagination ni discernement, c’est remettre sur les rails la machine qui nous a envoyés dans le mur, et préparer le terrain à la prochaine catastrophe.

« Le concept est piégeux, désamorce Mireille Bruyère, économiste à l’université de Toulouse. Car cela implique de relancer les rapports sociaux existants, c’est-à-dire le système capitaliste, avec tous les dégâts que cela comporte, notamment en matière d’écologie. Pour ma part, je préfère parler de relance de l’activité, plutôt que de relance de l’économie : quelles activités doit-on soutenir, pour quelles finalités ? Et avec quel mode d’organisation ? »

Vaste programme, qui suppose de se projeter sur le long terme… Sans perdre de vue le moment présent. Pour les économistes dits « hétérodoxes » – c’est-à-dire tous ceux qui pensent à rebours des dogmes libéraux –, il n’est pas question de laisser péricliter les secteurs frappés de plein fouet, ni regarder s’enchaîner les plans sociaux. Les derniers chiffres de la Dares sont implacables.

Depuis le 1 er janvier, près de 30 000 suppressions de postes ont été programmées dans le cadre d’un PSE, soit trois fois plus que sur la même période l’année précédente. En moyenne, une douzaine de restructurations sont annoncées chaque semaine en France, et il est possible que les nouvelles mesures de restriction gouvernementales pèsent encore davantage sur l’emploi.

C’est sur cette nécessité d’articuler urgence et temps long que planchent économistes, syndicalistes et associations. Ils ne parlent pas d’une seule voix, loin de là, mais tombent d’accord pour dénoncer les insuffisances françaises et européennes : « Pour l’instant, il n’y a pas de plan de relance en France, ni en Europe, pointe Pierre Khalfa, économiste et ex-coprésident de la Fondation Copernic. Uniquement des mesures budgétaires permettant aux entreprises et aux ménages de survivre, plus ou moins bien, dans la crise actuelle. »

Alors qu’aux États-Unis le Congrès a adopté en mars dernier un plan de relance de 1 900 milliards de dollars, qui s’ajoute aux 2 200 milliards déjà votés il y a un an, il n’existe pas d’élan comparable de ce côté-ci de l’Atlantique.

Le gouvernement français a simplement annoncé son intention de rajouter de nouvelles mesures d’aide à la fin de l’année, s’il estime que la situation économique l’oblige. Cela ne suffira pas.

Voici donc 10 propositions innovantes :

1. Sécuriser les emplois menacés et penser à l’avenir

« Il y a des entreprises qui utilisent le contexte de la crise pour procéder à des restructurations qui n’ont pas grand-chose à voir avec celle-ci. » La phrase n’a pas été prononcée par un syndicaliste, mais par un certain Emmanuel Macron, en octobre 2020. Par ces quelques mots pesés au trébuchet, le président admet ce qui saute aux yeux : quand certaines entreprises licencient dos au mur, d’autres profitent de la crise – Sanofi, Altice, Danone, etc.

Face à cette déferlante, « les salariés peuvent obtenir des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif, mais uniquement après coup, rappelle l’avocat Ralph Blindauer. Les Direccte (l’administration), chargées d’homologuer les PSE en amont, ne peuvent pas les bloquer en cas d’absence de motif économique. Il faut y remédier. »

« Atteinte à la liberté d’entreprendre ! » hurlent aussitôt les libéraux. L’argument ne tient pas pour Pascal Lokiec, professeur de droit social : « En matière de droit constitutionnel, tout est une question de proportionnalité. Ce n’est pas porter atteinte à la liberté d’entreprendre que de permettre à l’administration de vérifier la présence du motif économique : l’autorisation administrative du licenciement existait en France jusqu’en 1986… Par ailleurs, c’est toujours l’administration qui contrôle le licenciement des salariés dits protégés ! »

Préserver les emplois d’aujourd’hui ne suffit pas : combien de postes risquent d’être détruits dans les années à venir ? « Prenons le cas de l’aviation, indique l’économiste Mireille Bruyère. Dans le cadre de la transition écologique, il nous faut penser à la fois l’avion du futur et l’inévitable décroissance partielle du secteur. D’où la nécessité d’imaginer des dispositifs de formation des salariés, financés par l’État, qui ne les renvoient pas à leur solitude. »

« L’État a mis 30 milliards d’euros pour le chômage partiel, rappelle l’économiste communiste Frédéric Boccara. Mais ce dispositif, s’il reconnaît le caractère essentiel des compétences des travailleurs, consiste surtout en une gigantesque aide publique à la baisse du coût du travail. Le PCF propose, au contraire, une sécurisation de l’emploi et des compétences qui garantiraient une alternance entre activités et formation, avec une sécurité de revenu. »

Interdire les licenciements © Gros

2. Augmenter les salaires pour relancer la demande

«Augmenter le salaire minimum est contraire à l’objectif de compétitivité », martèle Emmanuel Macron. En janvier, le Smic a progressé de 0,99 %, soit une hausse de 15 euros pour atteindre 1 554,58 euros brut par mois (1 230,61 euros net). Pourtant, si la hausse des salaires est une question de justice sociale, elle est aussi un pilier de la relance économique. Tout simplement parce qu’il est démontré qu’une hausse du Smic se répercute intégralement dans l’année qui la suit sur les salaires proches de ce minimum (entre 1,1 et 1,2 Smic), puis de façon dégressive au-delà, pour s’annuler à deux Smic. Or, les trois quarts des salariés français gagnent moins de deux Smic.

« Sans attendre le grand soir, il est donc possible d’avancer », explique Nasser Mansouri. Et l’économiste de proposer une hausse du Smic à 1 500 euros net. Dans certains pays de l’Union européenne, les augmentations du salaire minimum pour 2021 ont déjà été décidées. Le gouvernement irlandais, par exemple, a approuvé une augmentation du salaire minimum à 10,20 euros de l’heure (contre 8,11 euros en France), à compter du 1er janvier 2021. En Allemagne, la Commission du salaire minimum a recommandé une hausse par étapes de 11,8 % sur les deux prochaines années.

Mais la crise a aussi montré l’importance de beaucoup de métiers essentiels, très mal rémunérés : aides à domicile, enseignants, soignants, éboueurs, caissières, ouvriers de l’agroalimentaire, agriculteurs… Las des primes, ces travailleurs veulent une reconnaissance durable sur leurs fiches de paie, en modifiant par exemple l’échelle des salaires pour tenir compte de l’efficacité sociale du travail réalisé. « Cette piste risque de chambouler les conceptions actuelles de l’économie. Mais il est temps de la poser et d’ouvrir le débat », insiste Nasser Manssouri.

Augmenter le Smic © Gros

3. Désamorcer la bombe à retardement des faillites

En 2020, on n’a enregistré « que » 33 000 faillites en France, mais ce répit sera probablement de courte durée. Les PGE, prêts garantis par l’État (plus de 135 milliards d’euros) ont maintenu à flot les trésoreries de 669 883 entreprises. Reste maintenant à les rembourser. À ce jour, seule une entreprise sur dix est parvenue à le faire. Or, le PGE est d’autant plus coûteux que la période de remboursement est longue. Et retarder son remboursement, comme le souhaite Bercy, « conduirait certainement à un fort renchérissement des coûts pour les entreprises », estime la Fédération française des banques. Le gouvernement mise aussi sur ses prêts participatifs, pour renforcer les fonds propres des entreprises.

Pour l’économiste Mathieu Plane (OFCE), « il sera nécessaire de mettre en place des mesures supplémentaires. Les aides aux entreprises n’ont pas été très réfléchies, ni très élaborées. Si les grosses boîtes industrielles sont sous les radars de l’État, et que les très petites résistent avec le fonds de solidarité (1 200 euros par mois), liste-t-il, les entreprises intermédiaires, celles qui investissent, ou celles qui ont beaucoup d’équipements ont besoin d’une aide supplémentaire, calculée sur l’amortissement des investissements ». Reste que ce dispositif d’aide proposé par l’État ne comprend aucune contrepartie, à l’exception de quelques secteurs qui se voient contraints par des exigences environnementales au rabais.

Or, sans contrainte ni sanction, les entreprises risquent fort d’agir comme avant, aiguillonnées par la seule rentabilité. L’OFCE propose la non-distribution de dividendes pendant deux ans, en fonction de la taille des entreprises par exemple. Une autre manière est de remettre en place les commissions de contrôle et d’évaluation des aides publiques mises en place par les élus communistes, dans certaines régions, puis démantelées par la droite.

4. Reprendre la main sur les entreprises stratégiques

Alors que la crise a mis en lumière les activités essentielles au bon fonctionnement du pays, elle a aussi révélé l’importance de certains secteurs hautement stratégiques. Pourtant, dans la santé, l’énergie, les transports ou encore les télécoms, l’exécutif poursuit sa politique de privatisation malgré les grands discours sur la planification industrielle, la relocalisation et même, la souveraineté nationale.

Pour que l’État reprenne la main sur ces filières stratégiques, « il faut en passer par la nationalisation de grandes entreprises comme General Electric, Sanofi ou encore Air France, mais également nationaliser la filière télécoms et s’assurer que des entreprises comme EDF ou la SNCF demeurent publiques », affirme Frédéric Boccara.

Mais, pour l’économiste communiste, il ne s’agit ni de parler d’étatisation ni de nationalisation temporaire. « L’État doit agir sur l’orientation de ces entreprises en leur fixant des objectifs stratégiques et des critères précis au premier rang desquels : la sauvegarde de l’emploi et des compétences, la création de richesses dans les territoires et la transition écologique », poursuit-il.

Pour y parvenir, un changement de gouvernance – qui passe par une « appropriation sociale » de la stratégie – et une nouvelle architecture des financements s’imposent dans une logique de « cohérence ».

Dans une véritable planification stratégique, poursuit Frédéric Boccara, « les entreprises doivent prendre des engagements auxquels sont conditionnés les versements d’aides publiques. Leurs dépenses d’investissement peuvent alors prendre la forme de crédits émis par le pôle public bancaire », détaille l’économiste qui dénonce le système des aides versées actuellement aux entreprises « qui accompagnent parfois des plans de licenciements et remboursent le capital ».

Enfin, conclut-il, « reprendre la main sur les entreprises stratégiques n’a de sens que si cette politique s’accompagne d’un développement des services publics de l’emploi, de la formation et de la recherche, indispensables pour sauvegarder les savoir-faire ».

5. Sortir la dette publique de la mainmise des marchés

La question de la dette empoisonne le débat public. La plus grande crainte des économistes « hétérodoxes » est que le poids des déficits creusés à l’occasion de la pandémie serve de prétexte à un nouveau tour de vis austéritaire. « Il faudra rembourser », martèle le ministre de l’Économie, appuyé par un rapport rédigé par Jean Arthuis, qui prône la création d’une « règle d’or » contraignant les dépenses publiques.

Une solution d’autant plus mortifère qu’elle repose sur une erreur de diagnostic, selon Pierre Khalfa, économiste, ancien coprésident de la Fondation Copernic : « Historiquement, l’envol de la dette publique n’est absolument pas lié à un excès de dépenses, mais à deux autres facteurs : la contre-révolution fiscale menée depuis vingt ans, qui a asséché les recettes de l’État ; et les taux d’intérêt, qui, durant les années 1990 étaient supérieurs aux taux de croissance, d’où un accroissement mécanique du poids de la dette dans le PIB (c’est l’“effet boule de neige”) ».

Aujourd’hui, ces taux d’intérêt sont extrêmement bas : mais pour combien de temps ? Pour en finir avec cette épée de Damoclès d’une éventuelle hausse de ces taux, de nombreux économistes plaident pour s’affranchir de la finance.

Jusque dans les années 1970, l’État se finançait grâce au « circuit du Trésor » : les grandes banques françaises – pour la plupart nationalisées au sortir de la Seconde Guerre mondiale –, étaient obligées d’acheter une certaine quantité de bons du Trésor français (au moins 30 % de leurs actifs en 1948).

À l’époque, « les souscriptions de bons du Trésor en compte courant (via un compte à la Banque de France) se déroulaient hors marché, à robinets ouverts, sans recourir aux séances de vente aux enchères de bons du Trésor et ne dépendant donc pas de l’appétit ou du désir des banques », écrit le sociologue Benjamin Lemoine.

« Il faut sortir la dette de l’emprise des marchés financiers, assure Pierre Khalfa. Soit en réactivant, d’une façon ou d’une autre, le circuit du Trésor, soit en exigeant de la BCE qu’elle prête directement aux États européens… C’est ce qui se passe, par exemple, aux États-Unis, où la Fed (Réserve fédérale – NDLR) achète directement des obligations du Trésor sans que ça ne pose de problème. »

Dette publique © Gros

6. Faire tomber le tabou du temps de travail

Pour de plus en plus d’économistes, il est temps de faire son deuil des taux de croissance mirobolants que la France a connus autrefois (autour de 6% en moyenne durant la décennie 1960). Et dans un monde de croissance faiblarde, le retour au plein emploi pourrait bien passer par la réduction du temps de travail (RTT).

Bête noire des libéraux, la réforme des 35 heures a pourtant créé ou sauvegardé entre 350 000 et 400 000 emplois nets, selon les estimations. Et entre 1998 et 2002, la France a créé 2,1 millions d’emplois, « une performance jamais égalée au cours des trente-cinq dernières années », rappelait l’économiste Éric Heyer en 2016.

Ne serait-il pas temps de passer à la vitesse supérieure ? Ardent défenseur de la semaine des 32 heures, l’économiste et parlementaire européen Pierre Larrouturou soutient qu’elle pourrait créer 1,6 million d’emplois à brève échéance. « Cela n’a rien d’une lubie, explique-t-il, 400 entreprises l’expérimentent déjà en France, dont Fleury Michon ou Mamie Nova. Au départ, cela a pu créer des problèmes d’organisation, mais le résultat à long terme est extrêmement bénéfique pour le bien-être des travailleurs. »

Deux conditions doivent être respectées, selon lui : les travailleurs ne doivent pas perdre en salaire ; les entreprises ne doivent pas voir grimper leur masse salariale. « Si une entreprise embauche 10% de salariés supplémentaires en CDI, en passant à la semaine de quatre jours, elle sera exonérée de cotisations chômage », propose-t-il. Soit un manque à gagner de 15 milliards d’euros pour l’État en année pleine, compensé selon lui par le surplus constitué par l’augmentation des cotisations de Sécurité sociale.

Réduire le temps de travail © Gros

7. Investir massivement dans les services publics

Pendant trente ans, la plupart des gouvernements ont tiré à boulets rouges sur les agents du service public, supposés trop coûteux et insuffisamment productifs… Avant de redécouvrir leurs vertus à l’occasion de la crise sanitaire, mais sans envisager, pour autant, d’investir.

« Former un médecin, c’est de l’argent qu’on dépense aujourd’hui et qui va rapporter pendant longtemps, rappelle pourtant Denis Durand, économiste communiste. L’urgence, pour les services publics, c’est d’abord d’embaucher. Nous avons besoin d’au moins 100 000 emplois dans les hôpitaux, 300 000 dans les Ehpad, et il en faut probablement autant dans l’éducation nationale, la recherche, les transports, l’énergie… Il faut mettre un terme à ces politiques de réduction des effectifs qui nous ont conduits à la catastrophe. »

Mais, pour recruter, il faut des moyens. « Il est probable que l’État n’ait pas les ressources pour embaucher 300 000 fonctionnaires dans l’année, convient Denis Durand. Il faut donc emprunter, mais pas auprès des marchés financiers : l’État doit emprunter auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Je rappelle que l’Eurosystème (la BCE et les banques centrales nationales) a acheté 1 100 milliards d’euros de titres de dette l’année dernière ! Cet argent n’a servi qu’à alimenter la spéculation, on pourrait l’investir dans les services publics. »

Concrètement, un tel emprunt s’effectuerait à travers un fonds spécialement conçu pour l’occasion, géré démocratiquement de manière décentralisée, par les différentes parties prenantes (syndicats, patronat, banques, élus locaux, associations, etc.).

8. Une ambitieuse souveraineté numérique, un terreau d’emplois durables

Il n’y a qu’à regarder les bénéfices ou les capitalisations des entreprises du secteur pour se rendre compte que le numérique concentre une large part de la valeur économique. Et la France, malgré des atouts historiques, en est grandement exclue.

L’idée de tendre vers une souveraineté numérique fait pourtant quasi-l’unanimité, politiquement. Il y a une vraie absurdité, par exemple, à ce que les services publics français payent les Gafam pour qu’ils hébergent nos données, qu’ils exploitent ensuite pour nous revendre des services ou nous abreuver de publicité ciblée.

Pour le pouvoir en place, cette souveraineté passe par la promotion de start-up abreuvées d’argent public, dans le vain espoir de voir émerger un Google européen, qui ne paiera pas davantage ses impôts en France. Sauf que, avant de produire des services en ligne, le numérique est très matériel. C’est tout un pan industriel d’avenir à sauver et à développer grâce à des investissements et la commande publics.

Des infrastructures réseaux, sur lesquelles Alcatel brillait, aux semi-conducteurs. On se rend aujourd’hui d’autant mieux compte du rôle crucial de ces derniers qu’il y a une pénurie mondiale. Avec l’informatisation de l’ensemble de l’industrie, même le secteur automobile se retrouve à l’arrêt du fait du manque de ces composants. Mais, faute de stratégie publique, ST Microelectronics, le fondeur franco-italien, abandonne petit à petit des pans entiers du secteur, quittant successivement le marché des microprocesseurs et des objets connectés. Le groupe a aussi renoncé à installer des usines en Europe, préférant sous-traiter toute la fabrication en Asie.

Là réside pourtant un vrai terreau d’emplois de qualité et de valeur ajoutée, mais c’est aussi là que se trouve la clé de la cybersécurité : les portes dérobées se cachent autant dans les processeurs que dans les logiciels. D’ailleurs, ces derniers sont la chasse gardée de géants états-uniens comme Microsoft ou Oracle, qui nous inondent de produits standardisés. Des exemples ont pourtant démontré tout l’intérêt de solutions développées au plus près des services publics, de leurs usagers ou des entreprises locales pour remettre l’humain au cœur du numérique.

9. Une réforme fiscale pour redonner sa légitimité à l’impôt

Après l’administration Biden, c’est au tour du FMI de défendre un impôt minimal sur les multinationales et les hauts revenus. Concernant les grandes entreprises, le cadre privilégié est la reprise des négociations à l’OCDE, au point mort.

Les discussions ont achoppé sur le principe de la taxation unitaire des multinationales : le fait de considérer ces groupes comme un tout et non un assemblage de filiales indépendantes. Ainsi, l’ensemble des bénéfices serait pris en compte et non ce qui est déclaré localement. Ceci couplé à un impôt minimum effectif permettrait de réduire à peau de chagrin l’intérêt des paradis fiscaux.

Le terme « effectif » est crucial : si la taxation sur les bénéfices de Total tourne autour de 27 %, l’impôt qu’il paye effectivement après divers crédits et exemptions fiscales reste inférieur à 8 %. Ce taux minimum, s’il n’est pas trop bas – Biden suggère 21 %, Oxfam au minimum 25 %, mais Bruno Le Maire 12,5 % – mettrait fin à la concurrence fiscale des pays vers le bas.

Quant à l’idée d’une taxe exceptionnelle sur les hauts revenus, elle a tout d’une fausse bonne idée. Pour Maxime Combes, ce n’est pas elle qui redonnera, seule, sa légitimité, et donc le consentement, à l’impôt sur le revenu. « La crise sanitaire n’est pas la cause première de l’accroissement des inégalités, mais c’est le résultat d’années de politiques de casse de la fiscalité progressive », rappelle l’économiste. L’important est de rajouter des tranches d’impôt sur le revenu – combien ? Cela fait débat à gauche – et de taxer efficacement la fortune, concentrée de plus en plus dans le patrimoine financier, grandement épargné par la « flat tax » qui a remplacé l’ISF.

Une autre idée discutée par les progressistes est de permettre qu’une part de l’impôt sur le revenu de chacun soit allouée selon son choix : éducation, lutte contre la pauvreté, recherche fondamentale… L’important reste que l’impôt retrouve aux yeux des contribuables son rôle premier, redistribuer les richesses et financer des services publics de qualité, et non financer sans contreparties des entreprises cotées en Bourse.

Faire payer les riches © Gros

10. Rebâtir une politique industrielle

Manque de masques, de respirateurs, de médicaments… depuis un an, la crise apparaît comme un révélateur de la fragilité du tissu industriel français. Si la délocalisation des usines et la recherche du moins-disant social expliquent en partie ce déclin, celui-ci est aussi lié à une perception tenace, relève le cabinet Trendeo : dans l’opinion, l’industrie est longtemps apparue « comme contraire à d’autres orientations émergentes – politiques environnementales, aspirations à des activités créatives peu associées à l’industrie ».

Pourtant, « toute nouvelle orientation industrielle devra s’inscrire dans le cadre de la transition écologique, estime Gabriel Colletis, économiste. C’est à la fois la difficulté et l’opportunité historique de la période actuelle ».

Prenant l’exemple du lave-linge, dont la production dans l’Hexagone s’est éteinte avec la fermeture de l’usine Whirlpool d’Amiens, l’économiste esquisse ce qu’il entend par la création d’un nouveau produit. « Il ne s’agit pas seulement de faire revenir en France la production délocalisée, il faut inventer un nouveau modèle de lave-linge, doté d’une garantie à vie : plutôt que de le changer, le consommateur aura intérêt à le faire réparer. En pratique, cela signifie qu’aucun composant (pompe, programmateur, moteur, etc.) ne devra représenter plus de 15 % de la valeur d’achat totale du lave-linge. Il va de soi qu’un tel appareil coûterait plus cher qu’aujourd’hui, d’où la nécessité d’aider les ménages à l’acquérir, mais également de repenser l’habitat collectif : pourquoi ne pas doter les nouveaux immeubles de lave-linge partagés ? »

« Le remède à nos dépendances réside plus dans une politique générale de réindustrialisation que dans des mesures spécifiquement destinées à encourager des relocalisations », estime Trendeo. L’État doit avoir un rôle de « coordinateur », avec pour première mission d’ « identifier les domaines dans lesquels les besoins fondamentaux de la population sont mal satisfaits, soit parce que la qualité n’est pas au rendez-vous, soit parce que les produits sont importés, puis fixer des objectifs de formation, de financement, etc. », conclut Gabriel Colletis.


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