Grand remplacement, identité, sécurité, islam… : les thèmes de l’extrême droite sont partout

© Stéphane Audras/REA

Le phénomène n’est pas nouveau, mais il prend une ampleur décisive en ce début de campagne présidentielle : dans les discours et les propositions, les thèmes de l’extrême droite se répandent comme une traînée de poudre. Une course à l’échalote dangereuse qui prend sa source dans de multiples causes, à commencer par le confusionnisme et le vide laissé à gauche.

La fuite en avant semble sans fin. Pas un jour ou presque sans une parole haineuse, un article accusateur, un sondage fielleux. Pas un jour sans un irresponsable politique cherchant à surfer sur la dernière polémique, pour dénoncer les « immigrés trop nombreux », « l’islamogauchisme », « la guerre civile qui vient ». Les thèmes de l’extrême droite sont partout : identité, grand remplacement, sécurité, islam, immigration, jusque dans les bouches des ministres macronistes.

De Bardella à Valls, en passant par Ciotti

Et quand des femmes et hommes de gauche sont interrogés, ils doivent répondre à propos de la dernière saillie verbale d’Éric Zemmour. Quand ils ne les relaient pas eux-mêmes, comme Manuel Valls, issu de ses rangs, qui s’est offert une tribune dans « le Figaro » du 29 septembre pour plaider une « réforme drastique de l’immigration » comportant notamment « la suspension du regroupement familial ».

Son cas n’est guère surprenant, tant l’ex-premier ministre a épousé les thèses proches de l’extrême droite depuis longtemps, mais il illustre ce que Philippe Corcuff nomme « l’aimantation des débats publics par l’extrême droite ». Le politologue, enseignant à Sciences-Po Lyon et auteur de l’ouvrage «  la Grande Confusion ». Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées! , insiste sur le « renouveau de l’extrême droite idéologique depuis le milieu des années 2000, autour “d’intellectuels” tels qu’Éric Zemmour, Alain Soral, Hervé Juvin ou Renaud Camus, théoricien du grand remplacement ». Cette thèse est un bon exemple d’une théorie d’extrême droite qui s’est peu à peu imposée dans le débat public et désormais soutenue de façon plus ou moins directe par de nombreuses personnalités politiques, de Jordan Bardella (en rupture avec la stratégie de « dédiabolisation » du RN) à Manuel Valls en passant par le député LR Éric Ciotti.

Le Pen concurrencée

Les obsessions identitaires et sécuritaires ne sont plus l’apanage du RN. Pour le chercheur en sciences politiques Gaël Brustier, qui travaille depuis longtemps sur ce phénomène de droitisation, notamment dans les ouvrages « À demain Gramsci » (2015) et « Voyage au bout de la droite » (2011), il s’agit là d’une « mutation des droites et des gauches qui deviennent porteuses de thèmes comme l’identité, la sécurité », ce qui permet « la montée de tous les démagogues ».

À cet égard, la question centrale de l’immigration est la plus révélatrice : Marine Le Pen, désormais clairement concurrencée tant le créneau semble devenu porteur, présentait le 28 septembre son projet de référendum, sa priorité, « au lendemain de (son) élection ». Un texte qui reprend des propositions anciennes du FN, notamment un projet équivalent de 2014 : préférence nationale pour l’emploi et les aides sociales – quitte à remettre en cause les signatures de la France à des conventions internationales et onusiennes –, fin du regroupement familial, de l’aide médicale d’État, du droit du sol. Et parce que toute la droite extrême et l’extrême droite – et donc parfois des personnalités issues de la gauche – reprennent ces mesures, Marine Le Pen exhortait « les Français à se méfier des faux prophètes qui, au moment des élections, invoquent je ne sais quel nettoyeur haute pression », allusion directe à Nicolas Sarkozy et son fameux « Kärcher ». Mais elle s’en est prise aussi à Éric Zemmour, parlant de « questions qui doivent être abordées avec sérieux et exigent autre chose que des constats de tribune ».

Recherche de « gains électoraux »

Si la cheffe du RN tente ainsi de se remettre en selle, c’est bien parce que nombre de politiques ont repris ces thèmes, pensant « qu’ils vont ainsi obtenir des gains électoraux », analyse Philippe Corcuff. Ce qui était déjà le pari de Nicolas Sarkozy, au reste. Alors, quoi de vraiment nouveau ? Peut-être cette façon d’avancer que la France doit désormais déroger à tous ses principes. Les récents discours de Xavier Bertrand ou Michel Barnier, tous deux postulant pour être candidat de la droite, laissent augurer un glissement profond. Le président des Hauts-de-France dénonce aujourd’hui le « laxisme migratoire » et propose, lui aussi, un référendum sur les trois questions « immigration-terrorisme-laïcité », affirmant que « ce que le peuple dit haut et fort s’imposera à tout le monde, aux juges français et européens, aux bien-pensants ». Quant à Michel Barnier, qui grenouille depuis dix ans dans les arcanes européens et connaît fort bien les engagements en matière de respect des droits de l’homme, il n’hésite plus à parler de « moratoire sur l’immigration » garanti par un « bouclier constitutionnel » afin d’empêcher que ces mesures soient remises en cause par « les engagements internationaux de la France ».

Il peut paraître stupéfiant d’entendre des responsables de la droite « classique » appeler ouvertement à ce que le pays viole ses engagements internationaux, mais, pour Gaël Brustier, cela n’est guère étonnant : « Le problème vient moins de l’extrême droite que de l’évolution de la droite. » Selon Philippe Corcuff, « les effets de l’extrême droite ne passent pas nécessairement par une victoire politique », et ce triptyque « islam-immigration-insécurité » en est arrivé à « coloniser jusqu’aux politiques publiques, comme le montre la loi séparatisme ».

Icon QuoteMacron a commencé à mettre le doigt dans ces thèmes d’extrême droite en 2018, au lendemain de la crise des gilets jaunes, qui l’avait paralysé. Philippe Corcuff

Le gouvernement n’est en effet pas en reste à force de polémiques sur « l’islamogauchisme à l’université » de la part des ministres Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer, ou bien le fameux discours de Mulhouse d’Emmanuel Macron, point de départ de l’utilisation politique du terme « séparatisme ».

« Macron a commencé à mettre le doigt dans ces thèmes d’extrême droite en 2018, au lendemain de la crise des gilets jaunes, qui l’avait paralysé », analyse Philippe Corcuff, pour qui des thèmes et postures se développent notamment sur le recul des « notions de gauche, historiquement portées par le PCF et le PS ». De la même façon, Gaël Brustier pense que cette montée des thèmes d’extrême droite prospère sur « l’effondrement des imaginaires de gauche et gaulliste ».

Pour autant, il faut remarquer que, malgré la saturation de l’espace public – politique et médiatique (lire page 12) – par l’extrême droite, la « société française semble moins contaminée, elle a une dynamique autonome », estime Philippe Corcuff. Une société en effet moins perméable à la « zemmourisation des esprits », sans doute, mais le glissement s’observe sur le long terme. Et il est temps qu’une alternative à ce bain culturel délétère émerge. C’est le travail de toute la gauche.


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