Les LGBTI discriminés mais davantage tolérés

Inégalités À l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, la Commission nationale consultative des droits de l’homme publie un rapport dressant un état des lieux contrasté de l’acceptation des gays, lesbiennes, bi, intersexes et trans par le reste de la société. Si les mentalités progressent, les violences sont nombreuses.

© Apaydin/ABC/Andia.fr

Jeudi 12 mai, Anthony sort du centre commercial de Confluence, à Lyon, lorsqu’il se fait prendre à partie par un homme : « Gros pédé ! Vieux gay ! Je vais t’enterrer ! Je vais te piétiner ! » Les insultes pleuvent sur lui alors que le jeune homme se contente de marcher. Choqué par cette agression verbale, le Lyonnais âgé de 23 ans poste la scène, qu’il avait filmée, sur Twitter pour dénoncer « ce que subit la communauté LGBT+ au quotidien ». Car les paroles et actes homophobes et transphobes continuent de se multiplier malgré la progression affichée des mentalités en la matière. Un paradoxe qu’illustre bien le nouveau rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) publié aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homo­phobie et la transphobie.

Basé notamment sur une enquête sociologique inédite consacrée à l’opinion sur les minorités sexuelles et de genre, aux préjugés, stéréotypes et attitudes de la population à l’égard des gays, lesbiennes, bisexuels, transgenres et intersexes, ce document de 478 pages dresse un état des lieux contrasté de l’acceptation sociale de ces populations par les hétérosexuels. Dans cette enquête, réalisée par Mickaël Durand, chercheur à l’Institut national d’études démographiques (Ined) et à Sciences-Po, 85 % des personnes interrogées considèrent que l’homosexualité « est une manière acceptable de vivre sa sexualité », 76 % se disent prêtes à voter pour une candidate lesbienne ou un candidat gay à l’élection présidentielle, et 74 % se déclarent favorables à l’adoption par les couples de même sexe. Fait intéressant : l’âge, le niveau de diplôme et le fait de vivre dans une grande ville ou non n’impactent pas vraiment les niveaux d’acceptation. Environ 70 % des répondants n’adhèrent pas aux stéréotypes selon lesquels les personnes LGBTI seraient « volages », les lesbiennes aimeraient les femmes « par insatisfaction sexuelle avec les hommes » ou les gays seraient efféminés. En revanche, encore un tiers des répondants considèrent qu’un enfant transgenre « doit être soigné » et 43 % des personnes interrogées estiment que l’intersexuation serait « une anomalie à réparer ». Ils sont par ailleurs 40 % à estimer « qu’aujourd’hui, on en fait un peu trop pour ces minorités ». Une position ambivalente que le rapport de la CNCDH qualifie de « banalisation en demi-teinte qui ne vaut pas toujours acceptation franche », reposant sur des « combinaisons subtiles d’opinions ouvertes et de stéréotypes persistants, de proximité et de mise à distance ».

Des crimes et délits toujours en augmentation

Car, parallèlement à ce mouvement progressiste dans l’opinion, les actes et propos haineux contre les personnes LGBTI restent malheureusement monnaie courant. Depuis 2016, date à laquelle le ministère de l’Intérieur avait recensé 1 084 infractions « commises du fait de l’orientation sexuelle réelle ou supposée ou de l’identité de genre » subies par 1 020 victimes, le nombre de crimes et délits enregistrés par les services de police n’a quasiment jamais cessé d’augmenter. En 2020, 1 590 victimes de crimes ou délits anti-LGBTI avaient fait l’objet d’une plainte ou de constatations, auprès des forces de police, transmises au parquet. Un chiffre élevé et néanmoins en baisse par rapport à 2019, qui avait vu 1 870 victimes officiellement comptabilisées, possiblement lié au contexte exceptionnel de crise sanitaire, et notamment aux périodes de confinement. Si ces chiffres officiels montrent sans conteste une dynamique haussière, ceux-ci ne documentent qu’une partie de la réalité. S’agit-il d’une augmentation réelle des actes contre les LGBTI ou plus de personnes ont-elles osé porter plainte ? Ou encore est-ce le reflet d’une meilleure prise en charge de ces victimes par la police ? Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) estime, dans une contribution au rapport de la CNCDH, que ces trois facteurs sont à prendre en compte pour expliquer ces chiffres. Des statistiques par ailleurs limitées, puisque ne reposant que sur les plaintes et constatations transmises au procureur de la République. D’après le ministère de l’Intérieur lui-même, le taux de dépôt de plainte ne serait que de 5 % pour les injures à caractère anti-LGBTI,­ et de l’ordre de 20 % pour les menaces ou violences à caractère anti-LGBTI. Dans le détail, un peu moins de trois victimes de crimes ou délits anti-LGBTI sur quatre constatés en 2020 sont des hommes, majoritairement jeunes (60 % sont âgées de moins de 35 ans). Pour près de la moitié, les faits se produisent dans l’espace public.

En 2021, SOS Homophobie a de son côté recensé 1 515 témoignages de LGBTI-phobie, via ses pôles d’écoute et de soutien aux victimes. Si Internet reste la première source (23 %) de manifestations de haine contre les gays, lesbiennes, bi, trans et intersexes, la sphère privée n’est pas en reste. « La part des signalements dans la famille et l’entourage proche continue d’être importante et représente 15 % de l’ensemble des cas en 2021 (contre 13 % en 2020) », note l’association dans son dernier rapport annuel, rendu public hier, soulignant l’impact de la pandémie dans cette augmentation des actes dans le domaine privé. Les faits relevés au travail, dans le voisinage et les commerces et services sont ex aequo, avec 11 % des signalements. SOS Homophobie relève par ailleurs que la majorité (51 %) des agresseurs sont des hommes, seuls ou en groupes, les autres émanant de groupe mixtes ou de femmes.

Des violences intrafamiliales plus nombreuses chez les lesbiennes et les bisexuelles

Reste que, derrière ces chiffres globaux, la situation des divers groupes – gays, lesbiennes, bisexuels, trans, intersexes – n’est pas homogène. Si les hommes gay cisgenres sont plus nombreux à porter plainte ou à solliciter SOS Homophobie – ils sont à l’origine de 69 % des signalements reçus par l’association –, cela ne signifie pas pour autant qu’ils seraient plus victimes de propos ou d’actes haineux.

L’enquête « Violences et rapport de genre » publiée par l’Ined en 2020 mettait d’ailleurs en évidence que « la moitié des lesbiennes et les trois quarts des bisexuelles ont été confrontées (à des agressions dans l’espace public) », une proportion plus importante que les femmes hétérosexuelles ou les hommes gay. De la même manière, les lesbiennes et bisexuelles étaient également plus nombreuses que les hommes gay et les femmes hétérosexuelles à avoir subi des violences intrafamiliales : elles étaient respectivement 23,2 % et 24,5 % à déclarer avoir été victimes de violences psychologiques (contre 8,8 % et 9,7 % des hommes gay et bisexuels), et 19,4 % et 21,7 % à avoir fait l’expérience de violences physiques (contre 11,9 % et 8,8 % des hommes gay et bisexuels) dans le cadre familial. Dans la sphère professionnelle également, les discriminations touchent fortement les femmes homosexuelles. Jeudi, l’Ifop et l’Autre Cercle rendaient publique une étude montrant que 53 % des lesbiennes avaient vu leur carrière impactée par l’homophobie (lire notre édition du 12 mai).

Dans son rapport, la CNCDH déplore d’ailleurs que certaines dimensions des discriminations rencontrées par les personnes LGBTI soient sous-documentées. Elle préconise notamment que les statistiques officielles adoptent une vision plus intersectionnelle, c’est-à-dire croisant l’orientation sexuelle avec d’autres paramètres comme le genre, les origines ethniques, la religion, le handicap, la situation administrative, etc.

L’organisme regrette en particulier l’invisibilisation des problématiques touchant les personnes trans. La seule enquête s’étant attelée à quantifier la proportion de personnes trans victimes de discrimination date de 2014. Pourtant, ses conclusions avaient de quoi alerter sur la situation vécue par ces personnes : 85 % des répondants y affirmaient avoir subi des violences verbales ou physiques. Parmi ces victimes, plus d’un tiers déclaraient avoir été agressées plus de cinq fois au cours des douze derniers mois, prouvant le caractère récurrent des paroles et actes transphobes. Dans son rapport 2022, SOS Homophobie note d’ailleurs que la transphobie a été le seul type de LGBTI-phobie pour lequel l’association a observé une augmentation de témoignages, comparé à l’année précédente.


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