Fête de l’Humanité : au fil des allées de ce «lieu idéal»

Sans frontières. Les averses n’ont pas douché l’enthousiasme des visiteurs. Jeunes plongés dans le grand bain de la fraternité, militants de la liberté au Village du monde… la Fête reste un irremplaçable carrefour des rencontres.

Lahcene ABIB

D’averses en arcs-en-ciel, le soleil a bien fini par percer, dimanche : la cité de toile émergeait du brouillard et, au fil des vastes allées, la boue laissait place à la terre battue. Mais dans l’alchimie de la Fête, la météorologie compte peu : lumière ou grisaille, il y avait la même joie de se retrouver, de débattre ou de danser, le même plaisir à être ensemble et à donner de la voix, la même quiétude, et cette inestimable et rare attention des uns aux autres.

Sur la Base 217, dans ses nouveaux quartiers de l’Essonne, loin de La Courneuve, la plus grande fête politique d’Europe s’est faite plus champêtre : son public a suivi ; les plus jeunes, les novices découvrent avec plaisir une façon d’être ensemble, un carrefour de rencontres auquel ils ne s’attendaient pas. Victor, 21 ans, projectionniste à Paris, vient pour la première fois ; il se dit « agréablement surpris ». « Ce qui me plaît beaucoup, c’est l’éclectisme. Si on vient juste assister à des concerts, écouter des musiciens, on peut trouver son bonheur, mais si on est plus intéressé par la politique, entre les stands et les grands débats, on a l’embarras du choix, sourit-il.  C’est le lieu idéal pour faire la fête, débattre, échanger. Les gens sont extrêmement sympathiques, toutes les générations sont représentées, je ne m’attendais pas à ça. »

Cette  génération-là ne goûte guère de la politique telle que trop souvent elle se pratique, les petites phrases, les disputes stériles ou les éclats de voix inutiles. Tout au long de la Fête, d’un espace à l’autre, les débats ont fait salle comble, tous empreints de la soif d’apprendre et de confronter des idées, de faire front commun dans le combat social et de dégager des alternatives émancipatrices dans le respect de la singularité de chacun, de chaque courant politique. L’exigence d’unité est bien la marque de fabrique de ce peuple de gauche bigarré, combatif, debout : elle irriguait de bout en bout ce rendez-vous ; elle porte cet élan politique qui se cherche, après les échéances électorales du printemps marquées par la reconduction sans gloire d’un pouvoir décidé à démanteler tous les droits collectifs et l’envolée d’une extrême droite mue par des idées de haine, de régression, de division.

« Agis dans ton lieu, pense avec le monde »

Ce peuple-là se joue des frontières… Dans cette fête pleinement redéployée, après la pandémie de Covid et l’édition 2021 au format réduit, un visage était partout placardé, dans l’absence : celui de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, défenseur des droits humains, arbitrairement détenu depuis cinq mois dans les geôles israéliennes. Dans les travées du Village du monde qu’il arpente d’habitude chaque année, ils étaient nombreux à donner de la voix pour exiger sa libération, pour faire valoir les droits du peuple palestinien opprimé par un système d’apartheid : affiches, pétitions, déambulation. Là encore, le stand de l’association France-Kurdistan dédiait trois jours de concert à la jeune chanteuse kurde Nûdem Durak, injustement condamnée à dix-neuf années de prison par le régime de Receip Tayyip Erdogan. Sous les drapeaux de la République du Rif, Saïd Kaddouri a échappé de peu au même sort : opposant à la monarchie marocaine, figure de la contestation sociale à Nador, il est aujourd’hui en France, dans l’attente du traitement de sa demande d’asile. « Je suis plus utile ici que derrière les barreaux, même si les miens me manquent, souffle-t-il.  Cette fête est une incroyable occasion de faire connaître nos luttes, les visages et les histoires de nos camarades emprisonnés pour avoir demandé pour tous une vie digne. »

Dans l’espace débats du Village du monde, une tribune féminine règle son compte au président brésilien d’extrême droite Jair Bolsonaro, à la veille d’un scrutin crucial. Une militante du Mouvement des sans-terre énumère tous les reculs sociaux qu’il a entérinés : « Violence, famille, patrie, voilà son slogan ! » accuse sa camarade du Parti des travailleurs en évoquant sa responsabilité dans la libération de la parole raciste, dans la recrudescence des violence policières et des violences faites aux femmes et, dans sa voix, c’est tout le fracas de la vague féministe déferlant sur l’Amérique latine, du Mexique à l’Argentine, que l’on entend.

Dans cette fête en rhizome riche d’une effervescente intelligence collective, on repense à ces mots d’Édouard Glissant : « Agis dans ton lieu, pense avec le monde. » Une partition politique, quand elle est affaire d’émancipation, se joue des frontières et se nourrit des combats d’ailleurs et d’antan. La Scène Angela Davis résonnait, ce 11 septembre, du Canto general, cette cantate du musicien grec Mikis Theodorakis, décédé l’an dernier, éponyme du recueil du poète chilien Pablo Neruda dont elle emprunte les vers, créée en 1974 à La Courneuve. Comme un appel à ne jamais mettre le genou à terre, même dans les batailles un temps perdues. Et à emprunter, toujours, le chemin de l’union.


En savoir plus sur Moissac Au Coeur

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Donnez votre avis

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.