Six ans après le début du mouvement MeToo, la réaction des pouvoirs publics est loin d’être à la hauteur des attentes du collectif féministe Nous Toutes. L’une de ses coordinatrices, Maëlle Noir, dresse un bilan amer avant la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, samedi 25 novembre.
Partout en France, des cortèges sont organisés ce samedi 25 novembre, à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. À Paris, le rendez-vous est fixé à 14 heures, place de la Nation, pour rejoindre celle de la République.
Cette année, la manifestation du 25 novembre pointe « les violences de genre, sociales et d’État ». Pourquoi ce mot d’ordre ?
Il s’agit de mettre l’accent sur le continuum des violences. Les politiques menées par l’État produisent des violences sociales qui sont souvent genrées. Retraites, RSA, assurance-chômage… depuis un an, les différentes « réformes » qui ont visé notre modèle social ont pénalisé et vulnérabilisé en premier lieu les femmes, les personnes LGBT + et les enfants.
Il y a des liens de causalité entre ces violences économiques et les violences physiques, ou même sexuelles. Ainsi, comment quitter un conjoint violent si les aides sociales sont conjugalisées, ou si on est contrainte de travailler à temps partiel ?
La ministre des Solidarités a annoncé la mise en place d’une aide d’urgence versée par la CAF, à partir du 1er décembre, pour les victimes de violences conjugales souhaitant quitter leur domicile. Qu’en pensez-vous ?
C’est loin d’être suffisant. Nous sommes habituées aux annonces gouvernementales qui précèdent le 25 novembre, cela tient surtout à de la communication. Sur le fond, il s’agit souvent de mesures qui concernent l’après-violence, pour essayer de les réparer, ou de les réprimer. Ce que nous demandons en priorité, c’est un plan de prévention massif qui permette la formation de tous les personnels qui accompagnent les victimes, dans l’éducation, la santé, la police, la justice, etc.
Vous venez de publier un manifeste, intitulé De la colère à la lutte. Militer contre les violences de genre1, qui dresse le bilan du mouvement #Metoo et du collectif #NousToutes. Qu’est-ce qui domine : les progrès réalisés depuis cinq ans, ou le niveau toujours très élevé des violences ?
On essaie de pas être trop négatives, mais le bilan reste très insatisfaisant. #Metoo a certes permis une libération de l’écoute – plus que de la parole, car la parole a toujours été là. Mais nous avons encore au gouvernement des ministres soupçonnés d’agressions sexuelles. En tout, 850 femmes sont mortes depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée, soit un féminicide tous les deux jours et demi. On comptabilise aussi un viol toutes les six minutes.
Aucun de ces chiffres ne recule, au contraire. Malgré la place prise par ce sujet dans le discours politique, les politiques publiques ne sont pas à la hauteur, on doit se contenter de mesurettes. Et au niveau budgétaire, c’est la même chose : au lieu des 2,6 milliards d’euros nécessaires pour lutter contre les violences, on plafonne à 150 millions par an. Quand le budget de la défense, lui, est de 50 milliards.
Les violences conjugales sont en hausse de 15 % en 2022, selon le ministère de l’Intérieur. Cela traduit-il une aggravation du phénomène ou une meilleure prise en compte de ces violences ?
Le gouvernement nous dit que c’est l’amélioration de l’accueil des victimes qui explique cette hausse. En réalité, c’est très difficile à dire parce que nous manquons de données statistiques. Les chiffres les plus actualisés restent ceux des organisations féministes. Par exemple, c’est nous qui décomptons les féminicides, alors que c’est un travail qui devrait être institutionnel.
Depuis le début de l’année, #NousToutes a déjà dénombré 121 féminicides. Comment expliquer la terrible constance de ce fléau ?
Si on écoutait un peu plus les associations féministes, je suis convaincue que ce chiffre baisserait… Notre revendication première, c’est la prévention. Il ne faut pas agir seulement sur le dernier échelon de la pyramide (le féminicide), mais sur les tout premiers : les propos sexistes qui banalisent les violences.
Si on ne déconstruit pas la culture patriarcale, masculiniste, raciste, classiste, validiste, islamophobe, etc., qui conditionne les violences de genre, on n’arrivera pas à prévenir les féminicides. Cela prendra du temps, bien sûr. Mais il y a aussi des mesures d’urgence à mettre en place immédiatement, comme développer les ordonnances de protection ou mettre à disposition des places d’hébergement. Des dispositifs qui ne sont pas déployés de manière uniforme sur le territoire. Grâce à une politique très volontariste, l’Espagne a réussi à faire baisser le nombre de féminicides. On doit pouvoir en faire autant.
L’affaire du sénateur Guerriau a mis sur le devant de la scène la question de la soumission chimique. C’est un problème plus vaste qu’on ne le pense ?
Oui, tout à fait. Certains imaginent qu’il ne se pose que dans un contexte festif, entre jeunes, en festival, en boîte, alors que c’est beaucoup plus large. Cette soumission chimique fait partie des mécanismes de contrôle et d’emprise à l’œuvre dans les violences de genre, et touche des milieux très différents.
Nous avions lancé une campagne, l’an dernier, baptisée #SafeBar, pour alerter sur ces risques, en précisant notamment que le GHB était loin d’être la seule drogue administrée à des fins violentes. Là aussi, c’est un sujet sur lequel les associations s’efforcent d’agir, parce que les pouvoirs publics ne font rien.
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