Le conflit en Ukraine et le massacre à Gaza percutent le scrutin du 9 juin, le premier, depuis vingt-cinq ans, à se tenir alors que des affrontements sont en cours sur le continent.
Longtemps, l’Europe s’est crue préservée du fracas des bombes réservé, dans son imaginaire, aux Afghans, Irakiens, Congolais et autres Soudanais. Depuis le 24 février 2022, les Européens savent que la guerre n’est pas l’exclusive des peuples du Sud. Premier scrutin continental à se tenir depuis le conflit au Kosovo en 1999, les européennes du 9 juin se fracassent sur les offensives en Ukraine et à Gaza.
L’Union européenne (UE), brutalement ramenée à la réalité d’un monde où les ambitions de puissance et les projections coloniales ne sont pas éteintes, prend la mesure de sa propre impuissance industrielle, militaire, énergétique et financière. Pour de nombreux dirigeants européens, dont le président français Emmanuel Macron, l’avenir, voire la survie de l’UE, se joue en Ukraine.
De son côté, l’hyper-présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dessine un horizon de militarisation et de guerre sociale sans jamais tracer d’architecture de sécurité à même de débarrasser l’espace européen des menaces.
Si changement d’époque il y a, la guerre en Ukraine appelle également un changement de paradigme qui rompe avec les logiques nationalistes auxquelles les droites et extrême droites européennes veulent faire croire des deux côtés de la ligne de front.
La séquence est lourde de propos bellicistes qui mènent à la catastrophe. Qu’il s’agisse de l’envoi de troupes au sol, suggéré par Emmanuel Macron ou la première ministre lituanienne, Ingrida Šimonytė, qui évoque de simples « missions de formation », ou du président russe, Vladimir Poutine, qui, le 9 mai, célébrait la victoire soviétique contre l’Allemagne nazie en laissant planer la menace. « La Russie fera tout pour éviter un affrontement mondial. Mais, dans le même temps, nous ne permettrons pas que l’on nous menace. Nos forces (nucléaires) stratégiques sont toujours en alerte », prévient-il.
Dans ce contexte, l’Humanité passe au crible les propositions des candidats français aux élections européennes. Le projet d’une « défense européenne », assujettie aux stratégies de l’Otan, éloigne l’idée de souveraineté dont ses partisans se prévalent par ailleurs. À cet égard, la paix demeure un projet politique d’indépendance pour l’UE et d’émancipation pour les peuples.
Sur la guerre en Ukraine, la droite sans ligne rouge
Voilà plus de deux ans que la Russie a envahi l’Ukraine. Plus de deux ans que cette guerre rythme le débat politique français. Mais l’intensité des échanges sur le sujet est monté d’un cran, notamment depuis le 26 février, lorsque Emmanuel Macron a évoqué la possibilité d’envoyer des troupes occidentales au sol pour aider les Ukrainiens. Des propos rejetés par tout le reste du spectre politique, à commencer par la gauche.
« Nous avons une ligne rouge : nous ne devons pas devenir cobelligérants », lui répond la tête de liste du PCF, Léon Deffontaines. Tout comme Manon Aubry, sa concurrente insoumise : « Cette proposition (d’Emmanuel Macron – NDLR) nous met en danger en faisant courir le risque d’une guerre généralisée entre deux puissances nucléaires. » Face aux déclarations bellicistes du chef de l’État, communistes et insoumis refusent tout engrenage guerrier.
Léon Deffontaines invité du Grand Jury RTL Le Figaro Paris Première
Léon Deffontaines propose un « traité de paix », dont « le cessez-le-feu et le retrait des troupes russes » seraient les préalables. « En contrepartie », il met sur la table « la question du statut de neutralité de l’Ukraine » et « la promesse que les armes nucléaires de l’Otan ne seront pas à quelques centaines de kilomètres de Moscou ». Pour Manon Aubry, « il faut avoir le courage de négocier », même si « Poutine ne sera jamais notre ami ». Ni l’un ni l’autre, par ailleurs, ne s’opposent à l’envoi d’armes aux Ukrainiens pour « geler le front ».
Ces positions de sortie de crise sont loin d’être partagées à gauche. Pour la tête de liste soutenue par le PS, Raphaël Glucksmann, « la France devrait déjà être totalement passée en économie de guerre », en augmentant « les capacités de production » de munitions via des « contrats de long terme avec (les) industriels ». Il propose également d’acheter des armes en commun « à l’échelle européenne et (de) les envoyer en Ukraine ». Au total, il table sur une enveloppe de 100 milliards d’euros, dédiée au « réarmement » des nations dans le cadre d’une Europe de la défense.
Si Marie Toussaint est aussi favorable à une armée européenne (comme Valérie Hayer, tête de liste Renaissance), l’écologiste voudrait d’abord activer l’ensemble des leviers économiques pour faire plier Vladimir Poutine, particulièrement en arrêtant d’importer du gaz russe, de l’uranium enrichi et des engrais.
Quant à l’extrême droite, les pro-Poutine – jadis assumés – du RN, non seulement ne s’opposent pas à la reconnaissance officielle de l’annexion russe de la Crimée, mais promettent également d’apporter à la Russie des garanties de sécurité en refusant l’adhésion de l’Ukraine à l’UE comme à l’Otan.
Par ailleurs, Marine Le Pen veut inscrire la dissuasion nucléaire française « dans la Constitution, comme élément inaliénable ». Une réponse à Emmanuel Macron qui envisage de placer l’ensemble de l’Union européenne sous le parapluie nucléaire tricolore. Sa candidate, Valérie Hayer, appelle de son côté à accélérer les livraisons d’armes à Kiev, ainsi qu’à tripler les dépenses de défense pour que chaque pays y investisse désormais 3 % de son PIB d’ici à 2030.
Gaza, la gauche unanime pour un cessez-le-feu
Autre front, autre nœud d’une campagne à couteaux tirés : le carnage à Gaza. La droite LR et son extrême voient en Israël sous gouvernance de Benyamin Netanyahou un avant-poste de leurs idées au Proche-Orient et un avant-goût de la guerre civilisationnelle qui se joue, selon eux, en France. De là en découle un soutien indéfectible, malgré les massacres en cours et les violations quotidiennes du droit international.
« Israël a été attaqué de façon barbare, terrifiante, et l’État d’Israël a le droit de se protéger pour sa sécurité », coupe Éric Ciotti, patron des LR, alors que les derniers chiffres publiés ce dimanche par le ministère de la Santé du Hamas font état de plus de 35 000 Palestiniens tués depuis le 7 octobre. Mais, rien n’y fait : le candidat LR aux européennes, François-Xavier Bellamy, considère même qu’accuser Israël de « génocide » relève d’« une honte absolue », au regard de l’Histoire. En rupture avec la tradition gaullo-chiraquienne, Éric Ciotti balaie aussi la mise en place de sanctions contre Israël car, à ses yeux, « c’est ridicule de sanctionner un État qui a vécu le pire acte terroriste depuis le 11 Septembre ».
Pour le Rassemblement national, la guerre d’Israël à Gaza est aussi et avant tout un combat civilisationnel contre le terrorisme islamiste incarné par le Hamas. Le RN s’oppose, au nom de cette lutte, au cessez-le-feu et défend la reconnaissance de l’État palestinien uniquement pour que ledit État soit comptable des crimes du Hamas devant le droit international. En octobre 2023, le RN s’était également dit favorable à la suspension des aides européennes pour Gaza.
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La gauche, elle, cherche un chemin vers la paix et l’émancipation des Palestiniens. Les communistes, les écologistes, les socialistes et les insoumis appellent unanimement à un cessez-le-feu. « Nous souhaitons une paix juste et durable entre Israéliens et Palestiniens qui passe par la reconnaissance de deux États sur les frontières de 1967 comme le préconise le droit international », défend Léon Deffontaines, tête de liste du PCF.
Une position partagée par les trois autres formations de gauche, tout comme le principe d’un embargo sur l’envoi d’armes à Israël et de sanctions économiques. Côté PS, le principe de sanctions n’est pas contesté, à condition de rappeler fermement les massacres commis par le Hamas contre Israël. Le parti à la rose défend également le réexamen de l’accord d’association entre l’UE et Israël, donnant un accès privilégié aux produits israéliens sur le marché européen.
Une option que n’exclut pas non plus, côté macroniste, Valérie Hayer. La candidate Renaissance tente une position d’équilibre, se bornant à brandir avec la droite le « droit d’Israël à se défendre », tout en appelant au cessez-le-feu et à une solution à deux États. Cessez-le-feu, solution à deux États, les quatre forces progressistes font, sur cette question, position commune – même si l’insoumise Rima Hassan s’est dite favorable à un seul État binational. Loin, bien loin de la chronique quotidienne des « clashs » inhérents à la compétition électorale.
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