Faut-il parler d’« absence », d’« absentéisme » des professeur.es ou plutôt d’une pénurie de professeur.es ? Les mots ont un sens et véhiculent des idées, des clichés. Le mot « absentéisme » a une connotation négative, signifiant une absence non justifiée. Dans le langage scolaire, il renvoie non aux professeurs, mais à des élèves qui « sèchent » les cours, les élèves qui sont absents avec une raison d’ordre médical, sont absents car malades. On voit là un curieux renversement qui dénote une vision infantilisante des agents, voire paternaliste.
Dès lors, parler d’absentéisme révèle un regard négatif et jette l’opprobre sur les personnels ainsi désignés. Une fois passé cet éclairage lexical et sémantique, qu’en est-il en réalité ? Ces propos ne véhiculent-ils pas une idée fausse ? Parler de fonctionnaires absentéistes montre et nourrit un regard dépréciatif, un lancinant #profbashing qui viendrait justifier la cure d’austérité. Le service public est ainsi désigné comme le bouc-émissaire par une politique et une communication politique qui l’attaquent.
La réalité : des fonctionnaires moins malades que dans le privé, et des professeur.es moins malades parmi eux
En 2019, il n’y a pas de grande différence entre le nombre de salariés absents au moins un jour au cours d’une semaine donnée pour des raisons de santé entre les secteurs privé et public : 5,2% des fonctionnaires contre 4,4% des salariés du privé ont eu recours aux arrêts maladie et avec 3,6% les fonctionnaires d’État connaît un taux inférieur au privé. Les professeur.es sont plutôt des « bons élèves » avec 3%.
Si les arrêts maladie augmentent, peut-être faudrait-il s’interroger sur les raisons de cette évolution, sur les phénomènes de burn out, de fatigue, de mal être, de sentiment ou d’expérience de dégradation des conditions de travail, de perte de sens comme l’indique le baromètre 2024 de l’UNSA éducation. Que 87% des personnels interrogés disent ne pas être en accord avec les choix politiques ou qu’1/3 souhaite changer de métier atteste d’un mal être systémique. Les personnels du Ministère n’ont pas de médecine du travail. Le rapport de la Cour des Comptes « La gestion des absences des enseignants » publié en 2021 relève une « médecine de prévention sous-dotée » avec 87 médecins pour 900 000 enseignants.
Une mesure pénalisante, double, voire triple peine pour les professeures
Selon le ministre de la Fonction publique Guillaume Kasbarian changer les conditions d’indemnisation des congés maladies et passer de 1 à 3 jours de carence, permettrait d’économiser 1,2 milliards, comme il l’affirme dans un entretien au Figaro. Au-delà de 3 jours d’absence, 90% du salaire serait versé. Cette mesure pénaliserait davantage les femmes, qui représentent 2/3 des fonctionnaires. Ce serait la double-peine pour les femmes, déjà davantage en temps partiels, et qui prennent plus des journées d’enfants malades. Les professeurs sont également exposés aux microbes et épidémies de leurs élèves, donc davantage malades. Pour rappel, pour une profession exposée aux maladies, aux classes plus chargées en moyenne et aux rémunérations plus basses en moyenne qu’en Europe, dans un moment de crise d’attractivité, le sens de cette mesure ne devrait pas apporter une solution aux problèmes existants et identifiés.
Intox : les professeurs privilégiés
D’ailleurs, le ministre Kasbarian ne précise pas que 2/3 des salariés du privé ne connaissent pas les 3 jours de carence, pris en charge par la prévoyance de l’entreprise. Les effets des jours de carence ont été étudiés, la piste ne semble pas être positive comme l’indiquent les données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques. Pour l’étude, la baisse ne traduit pas « nécessairement une réduction des absences qui seraient injustifiées », mais plutôt que « l’introduction du jour de carence peut encourager les personnes malades à travailler » ce qui remet en question l’argument de l’excès d’absentéisme.
Derrière les « absences » des professeurs : les activités pédagogiques
Le rapport de la Cour des Comptes sur « la gestion des absences des enseignants » publié en 2021 souligne que les absences relèvent « de l’organisation scolaire elle-même (formation continue, examens, sorties scolaires…) » Les absences des professeurs sont majoritairement dues aux projets pédagogiques. Il n’y a donc pas d’« absentéisme » des professeurs.
Les préconisations de la Cour des Comptes ont pu inspirer la mise en place du Pacte dont le Remplacement de Courte Durée (RCD) est une mesure prioritaire. Le RCD répond en effet à la volonté de pallier les absences des professeurs. Le rapport recommandait d’« annualiser les heures de service des enseignants du second degré afin, d’une part de réduire les absences institutionnelles, notamment celles liées aux formations et au travail pédagogique, et d’autre part, d’améliorer le remplacement des absences de courte durée des enseignants » et de « veiller à l’élaboration dans chaque structure du service public de l’Éducation d’un plan de continuité administrative de l’activité en cas de crise, en complément du plan de continuité pédagogique, à partir d’un cadre fixé au niveau national ».
Parler d’ « absentéisme » est donc une erreur. Comme le précise le rapport de la Cour de Comptes, des heures de cours non effectuées devant les élèves sont souvent dues, non aux absences des professeurs, mais à des projets pédagogiques au bénéfice des élèves. Les professeurs travaillent donc et ne pouvant se dédoubler, des heures de cours ne peuvent être faites devant certaines classes. Ces mêmes heures apparaissent pour des familles comme des « absences » de professeur.es, à tort donc. Parfois, les professeurs précisent aux classes les raisons de ces cours non effectués. Quand on parle des « absences » des professeur.es, on parle donc des projets de sorties par exemple, de voyages scolaires, de projets pédagogiques. Précisons qu’un voyage scolaire n’a rien de « vacances » pour les professeur.es. Ce sont des projets organisés de longue haleine : souvent, la recherche de financement, la réservation des activités ou auprès du voyagiste, l’hébergement, les réunions d’organisation en équipe pédagogique, d’information aux familles, la gestion des paiements, la récolte des chèques, la présence sur place nuit et jour sont autant d’heures non-payées… Et si ces projets perdurent, et au vu de la baisse des dotations, ils sont de plus en plus difficiles à mener, c’est pour l’apport inestimable qu’ils représentent pour les élèves.
Le réel problème que masque la question des absences est la pénurie de professeur.es. Cette pénurie est liée d’une part à l’assèchement du vivier des TZR, de remplaçant.es. Et d’autre part, la pénurie est entretenue par le manque d’attractivité d’une profession conjuguée à des suppressions de postes qui mènent à l’impossible remplacement et la continuité de service public. Le Pacte ne peut être une politique de remplacement des professeur.es, de suivi des progressions des élèves. Si le Pacte permet d’avoir un professeur devant les classes, il ne s’agit pas forcément du professeur de la discipline du professeur absent. Donc le sujet est bel et bien la pénurie des professeur.es, de l’attractivité et du recrutement. Et ce n’est pas en insultant la profession, en la dévalorisant, en colportant des idées fausses que le gouvernement trouvera la solution à la crise en cours.
Le sens des mots, le sens du métier… versus une certaine vision des professeur.es ou absence de vision et d’ambition pour le métier.
Djéhanne Gani
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