Revenus, aides de la PAC, environnement… Tout comprendre aux enjeux des élections aux chambres d’agriculture

Commerce international, respect de l’environnement, aides de la PAC, revenus… Cinq syndicats en lice pour les élections aux chambres d’agriculture défendent des idéaux radicalement différents, sur lesquels les producteurs ont jusqu’au 31 janvier pour se prononcer.

 

Voilà plus d’un an que le monde agricole brûle de colère. Depuis la fin de l’année 2023, les mobilisations paysannes se multiplient sur le territoire pour clamer exaspération et désarroi face aux difficultés qui s’accumulent de mois en mois. À partir de ce mercredi 15 janvier et jusqu’au 31 janvier prochain, les producteurs pourront exprimer leurs revendications par un nouveau canal : celui des élections aux chambres d’agriculture. Dans un contexte de crise, les agriculteurs devront se prononcer sur le modèle agricole qu’ils espèrent voir fleurir. Tour d’horizon des alternatives en lice.

FNSEA et JA, fer de lance d’une agriculture intensive et libérale

Le mastodonte du syndicat agricole va-t-il chuter de sa position privilégiée ? Au sortir de plusieurs mois de mobilisations, la position de l’alliance historique entre les Jeunes Agriculteurs (JA) et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) semble fragilisée. Assez pour perdre certaines chambres, qu’elle contrôle aujourd’hui en très grande majorité (environ 95 % d’entre elles) ?

La FNSEA et les JA, les deux faces d’une même pièce, sont largement perçus comme porteurs d’un modèle agricole productiviste intensif, attaché à l’exportation, fortement lié à l’industrie agroalimentaire et nocive pour l’environnement et la biodiversité. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, dirige une exploitation céréalière de 700 hectares (la taille moyenne d’une exploitation en France est de 63 hectares) et est président du groupe Avril, multinationale de l’agroalimentaire.

Attachées à la compétitivité de la France sur la scène internationale, les deux organisations syndicales font front contre tous les freins possibles à une agriculture concurrentielle, quitte à saborder l’environnement. Elles se prononcent ainsi contre l’interdiction des mégabassines ou de certains pesticides comme le glyphosate. Plus largement, Arnaud Rousseau réclame un coup d’arrêt des « surnormes dont les agriculteurs ne veulent plus ».

Pour répondre aux pressions des agriculteurs concernant leurs revenus, la FNSEA et les JA ne proposent pas d’encadrement des prix ou une remise à plat des aides de la politique agricole commune (PAC). Les syndicats proposent au contraire de mieux appliquer les lois Egalim, qui encadrent les négociations déterminant les prix entre les producteurs agricoles, les transformateurs et les distributeurs, et qui attirent fréquemment les critiques sur leur inefficacité.

Peu hostile aux accords de libre-échange, le duo a fini par se prononcer en défaveur de l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur. Arnaud Rousseau concède toutefois qu’il faut « continuer de commercer », quoique dans des « conditions de réciprocité ».

Coordination rurale, la chasse aux normes et aux « charges »

Présentée comme le concurrent émergent capable de détrôner le tandem FNSEA-JA, la Coordination rurale (CR), très à droite dans l’échiquier politique, a revêtu l’image d’un syndicat combatif en multipliant ces derniers mois des actions médiatiques. Aujourd’hui à la tête de trois chambres départementales (Lot-et-Garonne, Vienne et Haute-Vienne), le syndicat antilibéral espère ce mois-ci faire tomber la FNSEA sous 45 % des suffrages et prendre la tête d’une grande chambre régionale d’agriculture.

Pour ce qui est de son programme, celui-ci peut se résumer dans la formule suivante : « foutez-nous la paix et laissez-nous travailler », explique à l’Humanité Véronique Le Floc’h, présidente de la CR. C’est-à-dire, se battre contre toutes les entraves qui empêchent les producteurs de vivre correctement de leur métier. Que la CR regarde d’un œil très sévère, en particulier les contrôles environnementaux et administratifs auxquels sont soumis les producteurs, notamment quand ils reçoivent des aides de la PAC. « Il faut arrêter le harcèlement administratif en stoppant la surtransposition en France de normes européennes et arrêter les contrôles abusifs », assure la présidente.

Pour améliorer les revenus des paysans, l’organisation préconise toutefois de « réduire les charges », en installant un bouclier tarifaire contre l’augmentation des prix de l’énergie ou en réduisant le coût du travail. « Une partie de ces mesures pourrait être financée par la suppression de l’Office national de la biodiversité », aujourd’hui chargé de contrôler les exploitations et de veiller au respect de certaines prérogatives environnementales, estime la syndicaliste.

Au contraire de la FNSEA, la CR revendique un modèle agricole qui ne dépend ni des exportations ni de l’importation de produits agricoles. Un défi à l’heure où environ la moitié des produits maraîchers vendus en France est importée. « Il faut sortir l’agriculture de l’Organisation mondiale du commerce, protéger l’agriculture française des accords de libre-échange et réclamer une régulation des productions au niveau européen », estime l’éleveuse de vaches laitières.

Confédération paysanne, une paysannerie responsable et durable

Aux antipodes du modèle productiviste et libéral défendu par la FNSEA, la Confédération paysanne défend au contraire un modèle construit sur le partage des terres et des pratiques vertueuses de l’environnement. Aujourd’hui à la tête de la chambre de Mayotte, le syndicat a déposé une liste pour chacune des chambres professionnelles et espère en conquérir plusieurs dizaines.

Fortement opposée à la concentration des terres par des fermes-usines géantes, l’organisation syndicale prône un partage des terres par le biais de l’installation de nouveaux paysans lorsque des exploitations sont cédées, plutôt que leur absorption dans des exploitations existantes. « Les terres ne peuvent pas être accaparées », affirme Véronique Marchesseau, secrétaire générale de la Confédération paysanne.

Le syndicat a également fait des prix justes sa bataille prioritaire. « Nous voulons des prix minimaux garantis pour toutes les productions, qui permettent de couvrir au moins les coûts de production, les revenus et une véritable protection sociale. Cela permettra de garantir à chacun au minimum un Smic, mais l’intérêt sera évidemment d’aller au-dessus », poursuit la syndicaliste.

Réfractaire aux accords de libre-échange, l’organisation réclame la sortie de l’ensemble des alliances commerciales favorisant une « mise en concurrence déloyale » entre les paysans de différents pays. Au contraire du syndicat majoritaire, l’organisation estime aussi qu’il est important de protéger l’environnement. Elle se prononce ainsi contre les mégabassines et l’usage intensif de produits phytosanitaires, et prône une agriculture raisonnée.

Modef, des prix dignes pour les producteurs

Petit Poucet de cette campagne électorale, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef), proche du Parti communiste, est actif dans 45 départements et a présenté 17 listes aux élections. Il compte conserver la présidence de la chambre d’agriculture de Guadeloupe et gagner celle de Guyane et Mayotte. Pour séduire, le mouvement de défense des exploitations familiales compte sur l’idéal d’un modèle agricole aux antipodes de celui promu par la FNSEA, synonyme de fermes à taille humaine et de revenus rémunérateurs.

Pour ce faire, le petit syndicat a fait de l’instauration de prix planchers son cheval de bataille. « En cette époque où un tiers des paysans vivent sous le seuil de pauvreté, que 300 suicides sont déplorés chaque année, on doit faire en sorte que chacun puisse vivre dignement de son travail. Un prix plancher, et non un prix plafond, c’est la voie indispensable pour savoir où l’agriculteur met les pieds », souligne Pierre Thomas, président du Modef. Assorti de coefficients multiplicateurs, ce mécanisme empêcherait les industriels de gonfler leurs marges aux dépens des paysans.

Le Modef table aussi sur une autre répartition des aides de la politique agricole commune. Aujourd’hui distribuées à l’hectare, ces précieuses subventions sont mécaniquement accaparées par les plus grosses exploitations. Le Modef demande un plafonnement des paiements directs ainsi qu’une réorientation des milliards versés par l’Union européenne, au profit de la bio et des exploitations familiales. Le syndicat revendique également la sortie des accords de libre-échange.


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