EVARS: « Le but, c’est de décrire en détail comment faire un cunnilingus » : comment les réacs font croisade contre l’éducation à la vie affective et sexuelle

Les nouveaux cours du programme Evars vont entrer en vigueur dans les écoles, collèges et lycées en septembre 2025. Un projet victime de fake news et d’attaques de la part des conservateurs.

« Les enseignants vont expliquer aux enfants comment se masturber. » Depuis des semaines, de nombreux parents d’élèves s’inquiètent. « Ils se sont mis en tête que nous allons enseigner des pratiques sexuelles aux tout-petits », raconte Stéphanie, directrice d’une école maternelle en Seine-Saint-Denis. Car le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars), qui entrera en vigueur en septembre dans les écoles, collèges et lycées – aussi bien publics que privés sous contrat –, est victime d’une offensive de la part des réactionnaires, qui agitent les pires fausses informations.

Commandé par l’ancien ministre de l’Éducation Pap Ndiaye il y a trois ans, ce programme a pour but de promouvoir l’égalité, transmettre des valeurs fondamentales comme le respect de soi et des autres, prévenir les discriminations et lutter contre les violences et le harcèlement, en plus d’apporter, selon les âges, des informations sur la sexualité, le consentement, les maladies sexuellement transmissibles et la contraception. Ces cours, imposés dans la loi, devraient avoir lieu partout en France depuis 2001. Mais faute de moyens humains et de projet concret, seuls 15 % des élèves ont assisté aux trois séances obligatoires. Le ministère a de plus longtemps jugé le sujet « délicat ». Tout du moins pour certains parents d’élèves qui considèrent le programme trop « woke » et « militant ».

Collectifs d’extrême droite et complotiste

« Cette nouvelle version de l’Evars a pour but de décrire en détail comment faire un cunnilingus ou une fellation. C’est inadmissible ! Enseigner à envoyer des photos dénudées, c’est banaliser le sexe », tempête une mère sur les réseaux sociaux.

« Laissez aux enfants leur innocence. C’est du lavage de cerveau, assène une autre. La sexualité doit rester dans l’intimité de chaque personne, de chaque famille. » Face à la vague de désinformation, les syndicats et fédérations de parents d’élèves et d’enseignants tentent d’expliquer aux parents le réel contenu de ces quelques heures annuelles de cours adaptés en fonction des âges. Des formations et réunions organisées par la FCPE et la FSU s’enchaînent.

« Tandis que nous donnons de notre temps personnel, des associations qui s’opposent à l’Evars viennent tout défaire en propageant des fake news et en distribuant des tracts devant les établissements », poursuit Stéphanie. Parmi les groupes les plus impliqués, se trouvent des collectifs d’extrême droite et complotistes comme les Parents vigilants (mouvement créé par Éric Zemmour), les Mamans louves ou encore SOS Éducation. Ces derniers ont présenté un recours pour faire annuler l’Evars devant le conseil d’Etat. En vain.

Une caisse de résonance chez les extrémistes religieux

Bien que minoritaires, ils sont tout de même parvenus à faire supprimer le terme de « transphobie » dans la dernière version officielle, avec le soutien de certains politiques d’extrême droite, comme Marion Maréchal ou la députée RN Laurence Trochu, et de droite, comme l’ancien ministre à la Réussite scolaire de Michel Barnier, Alexandre Portier, ou encore la sénatrice LR Sylviane Noël. Cette dernière compare l’Evars à un « cheval de Troie de la théorie du genre, du transactivisme et d’un néoféminisme militant ».

« Ont-ils réellement lu le programme de l’Evars ? » se questionne une professeure d’histoire de collège. « En s’y attaquant, ils s’en prennent à l’égalité. Ces groupes et personnalités politiques se pavanent sur CNews pour cracher leur haine. Ils se servent de la peur des parents, notamment des religieux extrémistes catholiques et musulmans, pour faire passer leurs idées conservatrices », poursuit-elle.

Un père de famille musulman affirme d’ailleurs sur TikTok que l’Evars va « pervertir nos enfants. Faisons école morte, ne les mettons pas lors de ces cours ». Un chrétien surenchérit : « Refusons ce qui est appelé ”Mal”. La loi Evars est contre-nature. »

Affirmations anti scientifiques

Le Syndicat de la famille, collectif catholique issu de la Manif pour tous, refuse que l’école « détricote l’éducation parentale ». « Parler de sexe aux adolescents est délicat, nous avons besoin de personnes formées, et non de militants. Les parents craignent que les cours débordent sur d’autres sujets », alarme la porte-parole, qui remet en cause les cours de SVT : « Ce n’est pas avec un manuel scolaire qu’on apprend comment faire des enfants. »

Le syndicat d’extrême droite conteste les méthodes de l’Evars, qui imposerait « des visions de l’être humain et des courants de pensée qui laissent entendre qu’être un homme ou une femme sont des constructions sociales et qu’il faut déconstruire les stéréotypes de genre ». Or, selon la porte-parole, « chacun est libre de ses choix : qu’une femme ne veuille pas être scientifique est simplement une question de goût ».

Une affirmation réfutée par l’historienne et chercheuse Fanny Gallot. « Oui, l’être humain est libre de choisir ses loisirs et son métier. Mais cette liberté existe dans une société faite de rapports sociaux structurels. Dans certains domaines tels que l’enseignement et l’aide à domicile, il y a une écrasante majorité de femmes. C’est ce qu’on appelle la division sexuée du travail », analyse-t-elle.

« Si ces cours n’ont pas lieu, la situation risque de se dégrader »

Pour la maîtresse de conférences, l’enjeu est d’ouvrir le champ des possibles à l’enfant. Le rôle de l’Evars est de lui apprendre qu’il peut, s’il le souhaite, ne pas se conformer aux normes sociales : un garçon peut aimer la danse ou jouer à la dînette par exemple. « Apprendre cela dès l’enfance permet de ne pas répercuter ces clichés une fois adulte, de ne pas insulter autrui car il sortirait de la norme. L’égalité va de pair avec la lutte contre les discriminations et les violences sexistes et sexuelles (VSS) », précise Fanny Gallot.

Une analyse constatée sur le terrain : « Les cours de récréation sont occupées majoritairement par les garçons, qui, bien souvent, jouent au football. Les filles sont délaissées sur le côté. Partager l’espace équitablement et jouer ensemble sont foncièrement liés à l’égalité entre les genres », constate un enseignant d’école primaire. « Si ces cours n’ont pas lieu, la situation risque de se dégrader. Il y a urgence puisque aujourd’hui, bien que les filles deviennent de plus en plus féministes, les garçons se tournent vers le masculinisme », observe Hélène Bidard, adjointe PCF à la maire de Paris en charge de l’égalité femmes-hommes.

La communiste l’assure : l’éducation à la sexualité est importante dans la lutte contre les VSS. Aujourd’hui, la pornographie occupe une place centrale dans la découverte de la sexualité. Selon l’Arcom, 51 % des garçons âgés de 12 et 13 ans en consomment.

« Le gouvernement nous délaisse complètement »

Sans cours d’éducation sexuelle, sans apprendre les notions de consentement et de respect de son corps et de celui des autres, ces jeunes risquent de reproduire des archétypes patriarcaux : considérer une femme comme soumise et inférieure qui jouit dans la douleur. 50 % des vidéos comportent des violences physiques contre les femmes, et 97 % des violences verbales, selon le Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes. « Il est intolérable de se construire avec la culture du viol », poursuit Hélène Bidard.

Selon Fanny Gallot et son collègue sociologue Simon Massei, si des opposants à l’Evars s’inscrivent « explicitement dans une logique conservatrice voire réactionnaire, d’autres se nourrissent de la désillusion collective éprouvée par de nombreuses familles populaires vis-à-vis de l’institution scolaire ». Ces dernières craignent que l’Evars stigmatise davantage les classes populaires, notamment celles issues de l’immigration.

« Elles ont l’impression que l’éducation nationale se perd au travers de polémiques récurrentes sur les mères accompagnatrices voilées ou encore sur l’abaya. Ces parents ont du mal à faire confiance », poursuit la chercheuse. Et lorsqu’un parent inquiet cherche à se renseigner, le ministère concerné renvoie aux documents en ligne de l’Evars. Or, certaines familles ne parlent pas français et ne savent ni lire ni écrire.

« Nous prenons évidemment du temps pour les rassurer, mais ce n’est pas notre rôle principal. Le gouvernement nous délaisse complètement, il ne prend pas ses responsabilités », souligne Nageate Belahcen, présidente de la FCPE 94. « Comme d’habitude, ce sont les professeurs qui casquent. Dans certaines écoles, certains ramassent les pots cassés, se font insulter et subissent des menaces par courrier », poursuit la syndicaliste. « Depuis l’assassinat de Samuel Paty, tout le monde est à cran, témoigne une professeure en lycée. Aujourd’hui, nous sommes forcés de nous censurer, notamment sur les questions liées à la sexualité, par crainte des représailles des parents. »

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