Rapport sur la « menace » des Frères musulmans : le document déclassifié qui agite les passions

NDLR de MAC: La République est Une et Indivisible, Laïque et s’inscrit dans les valeurs universelles des droits de la Femme/de l’Homme: Liberté, Égalité, Fraternité/Sororité. La liberté de conscience est source d’émancipation et aucune religion, ne peut se prévaloir d’une quelconque hégémonie, ni s’imposer,  ni se substituer au droit, aux lois…

Le rapport faisant état d’une « dangereuse progression de l’islamisme » en France rendu public par le gouvernement a provoqué un important battage médiatique. Si la question doit être prise au sérieux, le spécialiste de la laïcité Nicolas Cadène a pointé une méthodologie douteuse et considère que « rien n’est surprenant » dans ce document.

 

En France, le Conseil de défense et de sécurité nationale (CDSN) se réunit chaque semaine, sans que son ordre du jour ne s’ébruite ou ne fasse la une des journaux. Il en a été tout autrement mardi 20 mai, à l’occasion de l’examen par le conseil d’un rapport « choc » sur les Frères musulmans, commandé par le gouvernement à deux hauts fonctionnaires.

Selon l’Élysée, le document de 73 pages « établit très clairement le caractère antirépublicain et subversif » de l’organisation islamiste. Ses rédacteurs pointent un « entrisme par le bas » qui constitue une « menace pour la cohésion nationale ».

Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur ayant pesé de tout son poids pour que l’étude soit déclassifiée, parle même d’un risque de « submersion » devant un « un islamisme à bas bruit qui se répand en tentant d’infiltrer les associations sportives, culturelles, sociales ou autres », et dont « l’objectif ultime est de faire basculer toute la société française dans la charia ».

Une organisation très loin d’être majoritaire chez les musulmans français

Sauf que si le rapport souhaite documenter l’organisation grandissante des Frères musulmans, dont l’activité et le danger ne sont pas à mésestimer, il pointe aussi qu’ils sont très loin d’être majoritaires parmi les musulmans.

D’après l’enquête, 139 lieux de culte seraient liés aux fréristes en France, en plus de 68 lieux « considérés comme proches de la fédération ». Un chiffre qui doit à la fois alerter – tant leur projet appelle à placer la loi de Dieu devant celle de la République, en plus de consacrer l’inégalité entre les hommes et les femmes – tout en étant relativisé.

En effet, ces sites représentent « 7 % des 2 800 lieux de culte musulmans » dans le pays, et sont fréquentés en moyenne par « 91 000 fidèles le vendredi », sur 6 millions de musulmans dans l’Hexagone, dont 1,8 million se déclarant pratiquants.

Les auteurs soulignent également que 280 associations et 21 établissements scolaires seraient liés à l’organisation, et pointent le développement sur les réseaux d’une « prédication 2.0 ». Tel est le constat du rapport, qui a été vertement accueilli par le Conseil français du culte musulman (CFCM), selon lequel l’étude pèche par « absence de définitions claires des concepts (utilisés) », ce qui l’amène à entretenir une « confusion préjudiciable ».

« Il y a des appréciations totalement farfelues et absolument pas sourcées »

Le CFCM, qui rappelle que « la lutte contre l’extrémisme se réclamant de l’islam est au cœur de (ses) priorités », exprime ainsi sa « profonde inquiétude face aux possibles dérives et instrumentalisations des données rendues publiques ».

Le fond et la forme du rapport ont aussi été critiqués par Nicolas Cadène. L’ancien rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité signale « une méthodologie peu rigoureuse, des évidences, des amalgames et du simplisme ».

« Il y a des appréciations totalement farfelues et absolument pas sourcées, ce qui est très problématique pour un rapport officiel. Quant à l’entrisme affirmé dans différents secteurs, point majeur du rapport, il n’est pas documenté et s’oppose assez largement au rapport 2024 du ministère de l’Intérieur, qui, lui, était sourcé », commente-t-il. « À l’inverse de ce qu’on lit ou entend, rien n’est surprenant dans ce rapport, sauf à n’avoir jamais rien suivi à ce sujet », ajoute le fondateur de la Vigie de la laïcité.

Dès lors, les unes « chocs » du Figaro (qui affirme au sujet des fréristes que « telle une araignée, cette organisation a tissé sa toile dans tous les replis de la société » sans que cela ne soit démontré) et du Parisien apparaissent quelque peu comme le prolongement d’une opération de communication montée par Bruno Retailleau, qui n’est jamais le dernier à instrumentaliser la question de l’islam, faisant le lien entre l’immigration, les musulmans et l’insécurité.

La surenchère

« Nous sommes parfaitement en ligne sur le fait qu’il ne faut pas faire d’amalgame », a tenu à préciser l’Élysée. Si Emmanuel Macron, au sortir du Conseil de défense, a demandé à son gouvernement de formuler des propositions pour le mois de juin, le secrétaire général de Renaissance, Gabriel Attal, a appelé dès lundi soir à interdire le port du voile pour les mineurs de moins de 15 ans dans l’espace public.

Alors qu’une surenchère est à craindre, Jean-Luc Mélenchon a fustigé la façon de faire du gouvernement. « Ce genre de méthodes a déjà été appliqué dans le passé d’abord contre les protestants et les juifs », ce qui « conduit tout droit à un déchaînement d’inquisitions cruelles contre les personnes et désastreuses pour l’unité du pays ».

Reste à savoir ce que retiendra l’exécutif. Les auteurs du rapport notent que « prenant racine dans des quartiers à majorité musulmane généralement paupérisés, (les fréristes) répondent à des besoins de la population ». Cela amènera-t-il Emmanuel Macron à mesurer que les entraves faites à la justice sociale et à la promesse républicaine constituent un dangereux terreau ? Car la lutte contre l’islamisme doit être prise dans toutes ses dimensions, et sans instrumentalisation à même de nourrir toujours plus les peurs et les divisions.


Lire aussi:

Halte à la paranoïa contre les musulmans

Communiqué LDH

Le discours de responsables politiques stigmatise depuis quelques années les musulmans, qu’ils soient Français-e-s ou résident-e-s en France, tantôt suspectés d’être au cœur d’un complot « séparatiste », tantôt désignés comme « entristes» ou pire encore.

Un rapport officiel intitulé « Frères musulmans et islamisme politique en France » a été remis au gouvernement le 21 mai 2025. Ce rapport, assis sur une méthodologie non définie et invérifiable (le rapport est construit sur des raccourcis et beaucoup d’approximations), fait l’objet d’une instrumentalisation politique à des fins de surenchère islamophobe.

Parmi ses faiblesses méthodologiques, ce rapport penche parfois dangereusement du côté du complotisme. En effet, les rapporteurs ne peuvent apporter aucune preuve de l’existence ou de l’importance de l’implantation de la confrérie en France – au motif qu’elle se dissimulerait – ils déclarent : « cette organisation est hautement probable en France, puisqu’elle existe partout ailleurs en Europe ». Bref on ne sait pas mais ils doivent y être puisqu’« ils sont partout »… Une absence de méthode scientifique qui laisse place à tous les fantasmes et fait peser un soupçon sur tous les musulmans vivant et travaillant en France, assignés comme islamistes potentiels.

La méthode du soupçon généralisé est d’autant plus pernicieuse qu’elle jette l’opprobre sur la lutte contre l’islamophobie dont le mot serait porteur de tous les vices, disqualifiant par avance toutes les critiques.

Au-delà de ces amalgames, que reproche ce rapport à la confrérie des frères musulmans ? Beaucoup de ce que l’on pourrait reprocher à nombre de groupes catholiques traditionnalistes. La commande d’un tel rapport se focalisant sur les seuls musulmans relève d’un choix éminemment politique.

Pourtant, Emmanuel Macron entouré du Premier ministre, François Bayrou, et d’autres membres du gouvernement, réunit un Conseil de défense pour décider de mesures – certaines seront rendues publiques, d’autres classifiées « secret défense » – à partir de ce rapport « gazeux ». Quelques temps après l’assassinat d‘Aboubakar Cissé à la Grand-Combe et de Djamel Bendjaballah près de Dunkerque, cette mise en scène guerrière (un Conseil de défense !) ne peut qu’aviver les flammes de la haine islamophobe.

Ce rapport et la publicité qui en a été faite contribuent à entretenir tous les fantasmes des chaînes de désinformation continue. Ses recommandations les plus nuancées (notamment lorsqu’il recommande l’apprentissage de l’arabe à l’école et la nécessité d’envoyer des signaux positifs à la population musulmane) sont ignorées au profit d’une lecture exclusivement sécuritaire. Ces instrumentalisations enfoncent encore davantage notre pays dans la division, la suspicion et le racisme.

La LDH (Ligue des droits de l’Homme) appelle le gouvernement à se ressaisir et rompre avec tout ce qui entretient l’islamophobie dans notre pays. Parmi toutes ses imperfections, ce rapport pointe comme source principale du repli communautaire « le sentiment d’une « islamophobie », qui tend à devenir la croyance en une « islamophobie d’Etat » pour une partie sans doute importante » des Français-e-s de confession musulmane. L’islamophobie est pourtant d’abord une réalité, à travers des discriminations et des actes en forte progression, alimentant crainte et défiance, entretenues par une législation (loi « séparatisme » ou proposition de loi sur la « laïcité dans le sport ») et un discours politique profondément stigmatisants. Il est temps que cela cesse ! Retissons la société fraternelle et égalitaire qui est au cœur de la promesse républicaine.

Paris, le 23 mai 2025

Télécharger le communiqué LDH « Halte à la paranoïa contre les musulmans » en pdf.


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