
Le 25e sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) s’est tenu les 31 août et 1er septembre en Chine, à Tianjin. Cet événement, défini comme le plus grand sommet de l’OCS depuis sa création en 2001, s’est voulu une démonstration spectaculaire et historique à la hauteur des revendications exprimées par les participants à un nouvel ordre mondial affranchi de la domination occidentale et de l’hégémonisme états-unien.
Une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement eurasiatiques étaient présents : outre les chefs d’État et de gouvernement des dix pays membres permanents de l’OCS – Bélarus, Chine, Inde, Iran, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Pakistan, Russie et Tadjikistan – une quinzaine de dirigeants de pays partenaires – parmi lesquels l’Égypte, la Malaisie, la Turquie, le Vietnam – ont participé à la rencontre, ainsi que le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, toujours persona non grata à la Maison-Blanche, et le Secrétaire général de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN).
Pour mieux comprendre la portée de ce sommet, rappelons que les dix États membres représentent ensemble 80 pour cent des territoires du globe, 40 pour cent de sa population et 22,5 pour cent de son PIB, cinq fois plus qu’à sa création en 2001, lequel, ajouté à celui des autres États des BRICS, dépasse la moitié de la richesse mondiale. De quoi apprécier le poids incontournable de cette région émergente sur l’échiquier mondial et longtemps ignorée des chancelleries occidentales.
Tianjin a donc consacré la « métamorphose » de l’OCS qui, d’un cadre de « coopération régionale » centrée sur des enjeux de sécurité, (terrorisme, séparatisme et extrémisme religieux), a fait évoluer ses priorités vers le développement économique. Une orientation ouvrant la voie à une nouvelle configuration de l’Eurasie confirmant son basculement vers l’Extrême-Orient. Le sommet a été l’occasion de mettre en avant une volonté commune de renforcer la coopération économique, politique et culturelle entre États membres et plusieurs initiatives ont été proposées pour consolider la structure de l’organisation, telles que la création d’une banque de développement destinée à financer des projets d’infrastructure et d’investissement dans les États membres. Cette banque, comparable à celle des BRICS, visant à réduire la dépendance des pays membres à l’égard des financements occidentaux et à promouvoir des projets locaux adaptés aux besoins régionaux.
C’est une nouvelle affirmation qu’un monde non-occidental est capable de coopérer de plus en plus hors champ des puissances occidentales traditionnelles, à l’heure des tensions géostratégiques, et qu’un autre modèle de relations internationales est possible. C’est tout le sens de la « Déclaration de Tianjin », co-signée par les chefs d’État et de gouvernement des membres, qui fera date dans l’histoire de la recomposition du monde et qui marque le rôle grandissant du « Sud Global ».
« La volonté de créer un ordre mondial multipolaire plus juste, plus équitable et plus représentatif, ouvrant de nouvelles perspectives pour le développement des États et une coopération internationale mutuellement avantageuse, se renforce », assure le long communiqué final où les signataires « réaffirment leur attachement à la mise en place d’un ordre mondial plus représentatif, démocratique, équitable et multipolaire. » Xi Jinping
Deux principales revendications sont à relever :
- La condamnation des sanctions, y compris celles de nature économique, armes par excellence, avec le dollar, de la domination occidentale qui impose au monde un double standard inacceptable.
- L’opposition à la logique des « blocs » et de la « confrontation » et le rejet de tout retour à une fracturation du monde en alliances antagoniques, du type de celle en vigueur durant la guerre froide. Chaque État aspire à garder sa marge de manœuvre en privilégiant ses intérêts propres en écartant des alliances politiques et militaires.
Ces deux points soulignent que le Sud global où s’inscrit l’OCS est un espace en construction à la recherche de nouvelles voies pour s’opposer aux décisions unilatérales des puissances impérialistes. Cet ensemble de pays hétérogènes entend pratiquer un « non-alignement actif » à l’égard de l’Occident comme de toutes autres puissances émergentes. Ces positionnements porteurs d’ambiguïtés sont-ils de nature à porter atteinte à la cohérence du mouvement et à freiner ses ambitions ? Est-ce cependant une force ou une fragilité pour l’avenir ?
Dans ce groupe peu homogène, la participation de la Turquie, membre de l’OTAN, et l’Inde, signataire du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad), alliance mise en place par les États-Unis ciblant la Chine, interpellent bien évidemment, tout en étant le signe d’une évolution notable des rapports internationaux et sans doute des poussées nationales politiques, économiques et sociales des peuples concernés.
La présence de Narendra Modi a constitué en ce sens un moment significatif. Frappée de plein fouet par les 50 % de droits de douane infligés à ses exportations par Trump en réaction à ses acquisitions de pétrole et d’équipements militaires russes, l’Inde a mis en œuvre sa stratégie du « multi- alignement ». En effectuant un rapprochement avec Pékin où il ne s’était pas rendu depuis 2018, Modi s’est inscrit dans une démarche de normalisation des relations avec son grand rival asiatique et s’est illustré dans une proximité nouvelle avec Vladimir Poutine, lequel venait de rencontrer Trump, et Xi Jinping, lui-même grand partisan d’un dialogue multilatéral qui reste à construire sur de nouvelles bases pour changer les règles obsolètes du jeu international.
D’où la date et le lieu de cette rencontre choisie par la Chine qui sont loin d’être anodines. Le Sommet a été organisé 80 ans jour pour jour après la capitulation du Japon, et dans la ville où les traités inégaux ont été imposés à Pékin par les puissances impérialistes au 19e siècle. Entrainant la perte de souveraineté du pays et le démembrement des grandes villes du pays en concessions étrangères. Par ce choix symbolique, la Chine a rappelé, avec à l’appui un impressionnant défilé militaire, que la victoire sur le nazisme et le fascisme japonais n’est pas le seul fait d’une histoire occidentale, et que les peuples asiatiques agressés y ont largement participé. Un rappel largement partagé et soutenu dans cette partie du monde.
Dominique Bari
En savoir plus sur MAC
Subscribe to get the latest posts sent to your email.