La Fête de l’Humanité qui s’ouvre ce vendredi, au Plessis-Pâté (Essonne), dans un contexte politique explosif, offrira un point de ralliement à tous ceux qui cherchent à inventer un avenir de progrès.

Traditionnellement, c’est un de ces rendez-vous qui comptent dans une rentrée sociale parfois maussade, un long week-end passé à refaire le monde que l’on attend avec une fébrilité joyeuse. Et cette année, peut-être un peu plus que d’habitude.
« Pour tout militant syndical, la Fête de l’Huma, c’est le lieu où il faut être, résume Baptiste Talbot, membre du bureau confédéral de la CGT, qui s’y rendra comme tous les ans. Mais en cette période, on a plus que jamais besoin que les forces de progrès travaillent à faire émerger une alternative pour changer la donne dans ce pays. Il faut ouvrir les voies du possible. »
Vaste programme. Il faut dire que, par un hasard du calendrier, la Fête qui démarre ce vendredi sur la Base 217 du Plessis-Pâté (Essonne) se situe à mi-chemin entre deux mobilisations : celle du 10 septembre, qui appelait à bloquer le pays et a réuni 250 000 personnes dans les rues, et l’appel du 18 lancé par l’intersyndicale au grand complet, contre les politiques antisociales de l’exécutif.
Le déni démocratique dans toutes les têtes
Si les rendez-vous se multiplient, c’est que l’histoire s’accélère. La France traverse une période d’instabilité politique comme elle n’en a pas connu depuis cinquante ans, et elle est secouée par une colère sociale d’une intensité rare. Pendant tout l’été, le désormais ex-premier ministre François Bayrou se sera attaché à éteindre l’incendie qu’il a largement contribué à allumer, en tentant de délégitimer les acteurs de la rentrée sociale, caricaturés pour l’occasion en fauteurs de chaos.
Le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau n’était pas en reste, réduisant la mobilisation du 10 septembre à un coup « de l’ultragauche ultra-violente ». En vain. Le gouvernement Bayrou a chuté le 8 septembre et il n’est pas exclu que son remplaçant précipitamment nommé, Sébastien Lecornu, connaisse le même destin, en dépit de ses promesses peu crédibles de « rompre » avec la politique de son prédécesseur.
En annonçant son intention de rouvrir la boîte de Pandore de la réforme des retraites, l’ancien ministre des Armées, fidèle de la première heure d’Emmanuel Macron, témoigne surtout de sa volonté de fracturer l’intersyndicale, en enfonçant un coin entre la CGT et la CFDT. Mais il faudra cette fois un peu plus qu’un prétendu conclave pour calmer les colères.
Quant à la dramatisation à l’excès de la crise (bien réelle) de nos finances publiques, elle ne suffira certainement pas à faire entrer les mécontents dans le rang : toutes les études indiquent que les Français sont conscients des difficultés économiques du pays, mais qu’ils refusent de se saigner aux quatre veines quand les plus riches échappent au couperet.
Un sondage publié ce jeudi par l’Humanité magazine, réalisé par l’Ifop début septembre, brosse une sorte de portrait-robot d’un pays en colère. Premier constat : lorsqu’on demande aux sondés ce que leur inspire la situation économique et sociale, c’est le sentiment de révolte qui arrive en tête (51 % des personnes interrogées) – soit le niveau le plus élevé depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron –, très loin devant celui de résignation (32 %).

Parmi les facteurs expliquant cette colère, c’est la « situation de crise que connaissent des institutions comme l’école ou l’hôpital » qui arrive en tête des réponses (citée par 92 % des sondés), devant « le fait que de nombreux salariés ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois » (89 %). Suivent la « fraude fiscale » (87 %) et la « situation de précarité touchant des millions de Français ».


Les aides publiques aux entreprises au cœur des débats
Même chose pour l’une des questions qui sera largement discutée à la Fête de l’Humanité, à travers plusieurs débats, celle des aides publiques aux entreprises. Une commission d’enquête parlementaire pilotée par le sénateur communiste Fabien Gay (par ailleurs directeur de l’Humanité) estimait en juillet à 211 milliards d’euros le montant global de ces aides, attribuées dans la plus grande opacité et le plus souvent sans contrepartie : 92 % des sondés voudraient rendre obligatoire la transparence sur l’argent touché et 89 % souhaitent que l’on conditionne les aides à des critères sociaux (emploi, salaires) et environnementaux. En cas de délocalisation, 86 % estiment normal que les multinationales remboursent les aides perçues. Là encore, le soutien à toutes ces mesures transcende largement les clivages de classe et d’orientation politique.

« Cette histoire d’aides publiques, c’est un peu la goutte d’eau qui fait déborder le vase », affirme Quentin, chômeur de 27 ans qui a participé à une grosse action de blocage à Rennes, le 10 septembre. Le jeune homme, qui vit avec sa copine dans un deux-pièces exigu, dit être venu plusieurs fois à la Fête de l’Humanité, au moins autant pour les concerts que les débats politiques.
« Autour de moi, plus personne ne gobe les discours alarmistes sur la dette, reprend-il. Dans les médias, la droite nous présente comme des assistés parce qu’on touche des allocations chômage, mais personne ne dit rien quand on accorde des millions d’euros à des boîtes qui flinguent des emplois. J’ai l’impression que la question des aides publiques a vraiment émergé dans le débat au cours des derniers mois ; avant, pas grand monde n’en parlait. »
La joie et les combats
Caisse de résonance de toutes les colères sociales, la Fête se voudra aussi le lieu de tous les possibles, où l’on tentera de dessiner un autre avenir par le pouvoir de la lutte et la force de l’imagination. Gaëtan Lecocq, délégué CGT d’ArcelorMittal, s’y rendra pour la deuxième fois seulement. La première fois, c’était il y a vingt ans.
« À l’époque, j’étais venu avant tout pour faire la fête, se souvient le quarantenaire. Cette fois-ci, ce sera pour lutter. Nous voulons à tout prix faire avancer notre projet de nationalisation (ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de restructuration en avril dernier – NDLR). Nous avons fait la démonstration chiffrée que nationaliser l’entreprise coûtait moins cher que nous laisser crever. À présent, il faut passer aux actes. »
Au fond, chacun viendra avec ses revendications. Et ses motivations. Mahé, étudiante à l’École normale supérieure (ENS) croisée place du Châtelet, à Paris, durant la journée du 10, déplorait que ses camarades ne soient pas plus nombreux à se mobiliser.
Habituée à battre le pavé depuis le premier 49.3 brandi par la Macronie, elle s’est reconnue dans l’appel « Bloquons tout », notamment dans son aspect décroissant : « Le déni démocratique et le mépris des classes populaires du gouvernement sont catastrophiques. Ça me donne encore plus envie d’aller à la Fête cette année. On a plus que jamais besoin d’allier la joie au combat politique. »

La Fête revendique pour ADN cette dimension conviviale et festive des luttes. A fortiori à une époque où l’on se laisserait facilement aller à « l’éco-anxiété », face à l’impuissance organisée contre le réchauffement climatique, ou à la « facho-anxiété », à l’heure où l’extrême droite trouve de moins en moins de contradicteurs sur les plateaux de télévision. Ou tout simplement à une forme de burn-out humaniste face au récit quotidien des violations du droit international et des droits humains, en Ukraine comme au Congo, en Iran comme à Gaza et en Cisjordanie.
L’Agora de l’Humanité, et avec elles les centaines de stands où se tiendra une sorte de débat permanent, se fera l’écho de ces préoccupations. La rentrée sociale s’annonce longue, éprouvante et combative, et elle fera forcément étape en Essonne, sous les couleurs de l’Humanité.
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