Cyril Hanouna, le bouffon au service de l’extrême droite + « rejoindre le comité des jours heureux »

Qu’on le veuille ou non, la présidentielle passe aussi par les plateaux de l’animateur star de C8. Claire Sécail étudie les contenus politiques de Touche pas à mon poste depuis la rentrée. Verdict : l’extrême droite y est comme à la maison.

53% du temps d'antenne politique de l'émission est consacré à l'extrême droite. © Philippe Mazzoni/C8

53% du temps d’antenne politique de l’émission est consacré à l’extrême droite. © Philippe Mazzoni/C8
© C8/Philippe Mazzoni

De son propre aveu, il s’est « fait manœuvrer ». Jean-Luc Mélenchon et ses équipes ont en travers de la gorge le passage du candidat FI chez Cyril Hanouna dans Face à Baba, le 27 janvier. Ils crient au traquenard, à cause entre autres d’un face-à-face avec Éric Zemmour taillé pour le polémiste, qui a duré une heure dix au lieu des vingt minutes prévues.

Surprenant, sur la chaîne de Vincent Bolloré ? Pas vraiment, répond Claire Sécail. La chercheuse au CNRS scrute et répertorie les contenus des émissions de Cyril Hanouna depuis le mois d’août, et notamment le temps d’antenne consacré aux questions politiques (17 % en moyenne).

Icon VideoA voir Notre série de décryptage vidéo « Zemmour contre l’histoire » :

  • Episode 1 avec l’historienne Mathilde Larrère.
  • Episode 2 avec l’historien Nicolas Offenstadt.  

Avec environ 1,5 million de téléspectateurs quotidiens, Touche pas à mon poste (TPMP) a bien grandi depuis sa création en 2010, où il occupait une obscure case horaire sur France 4. Douze ans plus tard, TPMP est devenu un espace fréquenté de la bataille culturelle, qui se décline avec les autres shows de Cyril Hanouna : l’hebdo Balance ton post et le plus événementiel Face à Baba.

Or, selon l’universitaire, ces émissions, sous couvert d’un esprit cool, pluraliste et détendu revendiqué par l’animateur, déroulent le tapis rouge aux idées nationalistes et identitaires.

Claire Sécail Chercheuse au CNRS, spécialiste des médiasClaire Sécail,Chercheuse au CNRS, spécialiste des médias

D’après vos résultats, est-ce qu’on peut conclure que l’extrême droite joue « à domicile » chez Hanouna, comme semble s’en rendre compte, un peu tard, la France insoumise ?

53 % du temps d’antenne politique de TPMP est consacré à l’extrême droite. Je dis ça, mais il faut noter que sur C8, comme sur CNews, on ne présente jamais les invités comme d’extrême droite, ce qui contribue à banaliser leurs idées. Éric Zemmour a la meilleure part. C’est autour de lui que se construisent les contenus, les débats, comme a pu l’apprendre à ses dépens Jean-Luc Mélenchon dans Face à Baba. Cela démontre d’ailleurs qu’il y a une stratégie idéologique au sein du groupe Bolloré dans son ensemble, et non pas seulement sur CNews. Non pas que Cyril Hanouna soit d’accord avec Éric Zemmour. Mais il est le loyal entrepreneur des idées de Vincent Bolloré, qui lui a signé un contrat à 250 millions d’euros sur cinq ans. Hanouna a par ailleurs de bonnes relations avec les insoumis, mais ils ne lui servent qu’à être des contradicteurs idéaux face à la parole d’extrême droite qui, elle, cadre le débat, dans la logique du clash. Cela permet ainsi de faire croire à un pseudo-pluralisme interne.

Et les chroniqueurs, non plus, n’assurent pas la contradiction…

Le 27 octobre, Juliette Briens, influenceuse identitaire, pro-Zemmour, invitée régulière de TPMP, peut tranquillement dire que « grâce à la France libre de Pétain, grâce à Vichy, il y a des juifs qui ont pu s’échapper de France » sans que personne ne la reprenne sur cette énormité historique. Cela tient à la constitution du plateau : les chroniqueurs n’ont pas les savoirs historiques pour lui répondre, ils sont pour la plupart issus du divertissement ou de la téléréalité. Il ne faut pas perdre de vue auprès de qui ce discours est diffusé. L’Audimat de TPMP est constitué d’un public jeune, issu des milieux populaires, avec un niveau d’éducation moindre qu’ailleurs. C’est redoutable. TPMP, en ce sens, acculture son public, en plus de dévoyer tous les principes traditionnels de production de l’information. Je pense par exemple aux consultations Twitter présentées à l’antenne comme des sondages fiables, qui rythment l’émission. Je ne comprends pas comment des ex-journalistes comme Gilles Verdez ou Isabelle Morini-Bosc peuvent participer à ce dévoiement, tout en se permettant d’accuser en plateau des confrères, comme Élise Lucet, de faire du journalisme à charge…

Quand est-ce que Touche pas à mon poste a muté en émission « politique » ?

TPMP s’est politisée par étapes. En 2013, le premier homme politique d’envergure nationale à s’y rendre a été Jean-Luc Mélenchon, alors que l’émission ne s’intéressait pas du tout à la politique. Puis, en 2017, Nicolas Dupont-Aignan était venu se plaindre chez Hanouna qu’il n’était pas invité à un débat sur TF1. Le basculement, c’est la crise des gilets jaunes, qui conduit à la création de Balance ton post (BTP), plus orienté sur les sujets de société. Cyril Hanouna se targue alors d’être le seul à inviter des figures gilets jaunes, ce qui n’est pas vrai, puisque BFM propose des dispositifs similaires.

Comment résumer la ligne éditoriale de Cyril Hanouna ?

Le récit qu’entretient Hanouna sur ses émissions, c’est l’idée que lui donne la parole à tout le monde, sous-entendu à ceux qui ne l’ont pas ailleurs. Mais TPMP est surtout la pierre philosophale du populisme. Sous couvert de pluralisme, toutes les questions objectivables y sont présentées comme des opinions, sans vérification des faits. C’est un café du commerce permanent, à l’heure de l’apéro, où on construit une vérité alternative, avec un esprit de communauté – Hanouna et ses « fanzouzes », qui lui sont tout dévoués.

TPMP peut-elle être vue comme l’héritière de ce que Tout le monde en parle était dans les années 2000 ? Thierry Ardisson aussi a eu des invités peu recommandables, comme Alain Soral ou le conspirationniste Thierry Meyssan.

En partie, à ceci près que cette émission était hebdomadaire et que ce genre d’invités ne constituait pas une ligne éditoriale, mais des coups médiatiques et provocateurs que se permettait, de temps en temps, Thierry Ardisson. Chez Hanouna, cela fait système, au service d’un projet politique qui est clair quand on regarde l’ensemble des chaînes de Bolloré.

En dehors de la FI, la gauche a-t-elle voix au chapitre sur TPMP et consorts ?

La gauche représente environ 12 % du temps d’antenne, insoumis compris. La gauche hors FI est soit invisibilisée – c’est le cas du PCF, qui n’existe tout simplement pas, ou des Verts (1,8 % du temps d’antenne) –, soit évoquée de manière systématiquement négative. Anne Hidalgo est victime d’un bashing permanent, en tant que maire de Paris. Cela tranche avec la bienveillance d’Hanouna envers ses invités d’extrême droite, comme Stanislas Rigault, de Génération Z, qu’il contribue à rendre sympathique. Les propositions de gauche ne font par ailleurs jamais l’objet de débat en plateau, là où le moindre fait politique ou parapolitique autour de Zemmour est commenté. Le 6 décembre, l’émission s’est même mise au service de sa propagande électorale, alors qu’il se lamentait d’avoir du mal à réunir ses signatures. Sa vidéo d’appel aux élus, produite exprès pour l’émission, a été relayée telle quelle.

La majorité, aussi, est un bon client…

Oui, il y a une sorte de bénéfice mutuel entre les macronistes et Hanouna. À partir du « happening » de Macron sur TPMP, pendant l’entre-deux-tours de 2017, va s’enclencher une logique de renvoi d’ascenseur entre Hanouna et le gouvernement. Marlène Schiappa a largement contribué à transformer l’animateur des nouilles dans le slip en un incontournable du débat politique, en allant régulièrement sur son plateau, et en déclarant qu’il devrait animer le débat du second tour en 2022. Il devient une courroie de transmission de la communication gouvernementale. Prenez Jean-Michel Blanquer. Il ne voulait pas aller sur TPMP par peur de la grossièreté ou d’être trop bousculé. Résultat, son passage s’est tellement bien passé, les questions étaient si inoffensives, que ses équipes n’ont qu’une envie, c’est d’y retourner.


Pour aller plus loin Notre dossier sur l’empire Bolloré


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